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Pierre Naville : Les nouveaux Bonapartes à l’œuvre

Article de Pierre Naville paru dans La Vérité, n° 193, 16 février 1934, p. 1

Le gouvernement Doumergue parle « d’apaisement », de « trêve des partis ». Pour aider sa supercherie hypocrite, Tardieu et Herriot ne disent mot en public.

Tromperie infâme ! Car en réalité, le gouvernement du sénile Doumergue instaure une forme nouvelle de la dictature du capitalisme, le bonapartisme.

Nous avions prévu cette phase. Dans nos thèses du mois d’Août, adoptées par la 2e Conférence nationale de la Ligue, nous avons montré que « l’Etat fort » de Tardieu, l’Union Nationale réclamée par la grande bourgeoisie ne pouvait pas être une simple répétition du ministère Poincaré. En France aussi, la lutte décisive dans la période actuelle est ouverte. Ou bien le pays tombera finalement sous la coupe d’un fascisme français, destructeur « totalitaire » de tout le mouvement ouvrier, ou bien le prolétariat préparera sa lutte, combattra et vaincra, imposant à la minorité d’exploiteurs bourgeois la dictature de l’immense masse prolétarienne opprimée.

Actuellement, la bourgeoisie tente d’imposer (et y réussit déjà), un gouvernement bonapartiste, du type Brüning – Papen – Schleicher, en Allemagne, du type Dollfuss en Autriche. Ce n’est pas le fascisme à proprement parler. C’est un pouvoir qui s’appuie avant tout sur l’appareil répressif d’Etat – la police, l’armée -, et qui tente de neutraliser les camps antagonistes. Il essaye de tenir en main le courant fasciste, tout en le protégeant, et d’autre part, il essaye de domestiquer le mouvement ouvrier.

Dans les mois qui viennent, Doumergue-Tardieu approfondiront cette formule. Selon eux, la dissolution de la Chambre, qui est inévitable à brève échéance, ramènera une forte majorité de droite, qui leur permettra ensuite d’envisager le remaniement de la constitution. La « trêve », c’est seulement pour empêcher les gauches bourgeoises de manœuvrer et d’intriguer jusqu’à la dissolution des Chambres.

L’Union Nationale, c’est un masque hypocrite pour empêcher la résistance des radicaux et atténuer l’effroi des petits bourgeois. Rien de plus. Derrière ce voile pudique s’abritent les plans de Tardieu, de Pétain, Weygand, de Chiappe, et autres, qui forgent l’Etat bonapartiste de demain.

Mais cela n’empêchera pas en même temps la croissance de la vague fasciste proprement dite, de ceux qui réclament la révolution « nationale », qui veulent imiter Hitler, abolir tout parlementarisme, donner une issue contre-révolutionnaire à la colère et au désarroi des classes moyennes dans la terreur anti-ouvrière, dissoudre tous les syndicats ouvriers, centraliser les fonctions économiques et politiques de l’Etat en quelques mains. Ceux-là continueront l’organisation systématique de leurs troupes d’assaut. Déjà on annonce la fusion des J.P. et de la Solidarité Française. Demain surgira le parti fasciste centralisé. Voilà le principal danger.

La démocratie petite bourgeoise est morte. Il ne lui reste qu’à disparaître devant la dictature bonapartiste, ou fasciste, ou à venir appuyer la lutte du prolétariat révolutionnaire. Aujourd’hui chacun peut mesurer l’absurdité de ceux qui parlaient de « social-fascisme », et du « fasciste Daladier ». Les mitrailleuses de Frot ont marqué le dernier sursaut de la démocratie petite bourgeoise expirante. Et, il faut le souligner, dans aucune autre pays, cette catégorie sociale n’a esquissé devant le flot réactionnaire un aussi violent geste de défense. En vain !

Aujourd’hui, en toute clarté, la classe ouvrière se révèle à tous comme le champion de la liberté, contre la dictature réactionnaire des forces du passé. Elle seule peut sortir la France – et l’Europe – de la situation actuelle qui la mène fatalement à la guerre !

Mais pour vaincre, elle a besoin d’une avant-garde clairvoyante. L’expérience tragique de l’Allemagne a ouvert bien des yeux, nous en avons la preuve déjà dans la grève générale et les manifestations de front unique qui se sont déroulées dans toute la France.

La preuve est faite que seules les forces de la classe ennemie peuvent s’opposer, directement ou indirectement, à l’organisation du front unique. La preuve est faite que si la division du front ouvrier n’avait pas empêché les révolutionnaires de prendre la tête de la lutte en Allemagne, ce n’est pas Hitler qui régnerait aujourd’hui à Berlin ; dans l’Europe entière — les luttes magnifiques de nos frères autrichiens le montre — le prolétariat voulait et veut le pouvoir. Mais pour y parvenir, il lui faut rejeter les bureaucraties pesantes qui tentent de compartimenter les efforts, qui tentent d’empêcher son rassemblement, et qui veulent ainsi empêcher que le véritable courant révolutionnaire s’en dégage et en prenne la tête !

La France est le champ de bataille d’une lutte décisive pour empêcher le retour d’un cycle nouveau de ténèbres et de terreur blanche, sous la botte réactionnaire et fasciste. Puissent les leçons meurtrières des ouvriers allemands et autrichiens, ouvrir les yeux !

Dans la lutte, le drapeau de la 4e Internationale sortira victorieux, car il a surgi des expériences antérieures et qu’il promet aux travailleurs la victoire, au lieu de la situation misérable où sont réduit leurs frères dans des pays entiers de l’Europe.

P. N.

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