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Kurt Landau : Le danger fasciste en Allemagne

Articles de Kurt Landau parus dans La Lutte de classes, 3e année, n° 24, août 1930, p. 543-550 et p. 551-554

L’extension du fascisme a mis le prolétariat en état d’alarme. Dans toutes les usines, aux permanences de pointage, partout où il y a des ouvriers on discute âprement les résultats des élections en Saxe.

Mais ce ne sont pas seulement les élections en Saxe qui ont donné tort aux dirigeants aveugles de notre parti. Le développement de la situation dans la Thuringe le fait dans une plus large mesure encore. L’article de tête de la Rote Fahne du 9 mai traitait de la politique réactionnaire de Frick en Thuringe, de l’attitude hostile des socialistes-nationaux à l’égard des ouvriers et arrivait à la conclusion suivante :

« Rien d’étonnant à ce que tout cela agisse comme une douche froide sur les éléments ouvriers à tendance national-socialiste. Ils commencent à en avoir assez des Hugenberg et des Hitler

« De même à la campagne, et surtout là où le prolétariat agricole à trouvé dans le parti communiste un guide énergique, l’extension de la croix gammée a été arrêtée ces derniers mois. »

Deux jours après les élections à Gotha (Thuringe) donnèrent le résultat suivant :

Les fascistes dépassèrent le P. C. A. et augmentèrent – malgré Frick – le nombre de leurs voix depuis décembre 1929, passant de 5.193 à 6.136.

Le 22 juin il y eut également des élections dans la ville industrielle de Zella-Mehlis (Thuringe). Là les fascistes arrivèrent à passer de 573 voix à 1.314.

QUELLES SONT LES FORCES MOTRICES DU FASCISME ?

Pendant les années 1927-1928 nous avons pu constater nettement dans les masses un développement vers la gauche. Le nombre des grèves monta de 330 (1926) à 751 (1927) et à 687 (1928) ; le nombre des grévistes passa de 54.399 (1926) à 224.131 (1927) et à 271.473 (1928).

En même temps les masses commencèrent à affluer dans les syndicats, dont les adhérents passèrent de 3.977.309 (1926) à 4 millions 150.160 (1927) et à 4.653.581 (1928).

L’activité croissante du prolétariat s’accompagna d’un développement vers la gauche dans les masses en général. La politique réactionnaire du gouvernement de bloc bourgeois alarma les masses. Des masses puissantes qui avaient été jusqu’ici à la remorque des partis bourgeois s’éveillèrent, se tournèrent vers le réformisme. Aux élections du Reichstag de 1928 le nombre de voix du parti socialiste monta d’un bond de 7.881.000 (1924) à 9.151.100, tandis que le P. C. A. gagna plus de 500.000 nouveaux électeurs.

L’accentuation de la crise économique durant l’année écoulée, a placé les masses du camp bourgeois dans une contradiction encore plus forte avec les anciens partis bourgeois. Mais une chose a foncièrement changé. Les espoirs que depuis 1928 les masses ont mis dans le réformisme furent amèrement déçus.

C’est ainsi que la direction que prirent les masses en se détournant des anciens partis bourgeois devait changer aussi, surtout parce que le P. C. A., sous sa direction actuelle, n’a pas su indiquer à ces masses une orientation concrète, pour la lutte à mener contre leur misère croissante.

Les masses semi-prolétariennes et petites bourgeoises, secouées par la politique de la bourgeoisie monopolisatrice, sont déçues par la trahison du réformisme et l’incapacité du P. C. A. à leur venir en aide ; voilà la véritable force motrice du fascisme.

En ce moment les masses semi-prolétariennes, petites-bourgeoises qui suivaient autrefois les partis bourgeois (surtout le parti nationaliste et le parti populiste (parti de la grande industrie nationale), se concentrent pour la plupart dans le camp du fascisme. Ce sont des fonctionnaires, des rentiers, des intellectuels, d’anciens officiers, et, surtout, la jeunesse petite-bourgeoise nationaliste. Mais il est certain que le fascisme a déjà commence à faire des brèches dans des bastions prolétariens, surtout en Saxe, en Thuringe et dans le nord de la Bavière.

Dès à présent le fascisme exerce une influence évidente et dangereuse sur de grandes masses prolétariennes qui, politiquement, sont loin de lui. Beaucoup d’ouvriers ont un sentiment d’impuissance en face de la montée impétueuse du fascisme ; on observe une attitude fataliste.

Ce sont justement ces phénomènes-là qui sont particulièrement dangereux chez le prolétariat, et c’est justement ce dont le fascisme a besoin pour triompher.

La direction du parti s’approche elle aussi de cette position, lorsqu’elle ramène la croissance du fascisme à « une série de causes objectives ».

Ces « causes objectives » – la misère des masses, le fait qu’elles désespèrent des anciens partis bourgeois, leur déception à l’égard du réformisme, leur recherche d’une issue plus radicale – toutes ces causes devraient, avec une stratégie juste de notre parti, amener en premier lieu une puissante croissance du mouvement communiste.

Mais ce n’est justement pas le cas, ni en ce qui concerne les chiffres, ni en ce qui concerne l’élan, l’activité et la capacité d’offensive de notre parti.

LES FAIBLESSES DE LA DIRECTION COMMUNISTE FORCE DU FASCISME

A l’époque où le fascisme se préparait à un puissant assaut, pendant la période du gouvernement de coalition, le C. C. de notre parti ne vit absolument pas la croissance du fascisme, mais se grisa de sa propre force, qui s’effritait lentement. Le 21 janvier 1930 la Rote Fahne annonçait :

« Le prolétariat allemand marche à l’assaut sous le mot d’ordre de : Dictature du Prolétariat ! »

Dix jours plus tard, le 1er février, toute la faiblesse du parti se manifesta, ce qui n’empêcha pas la Rote Fahne d’annoncer pathétiquement :

« Car encore et toujours : tout ce que les communistes veulent, ils le font ».

Cette façon insensée de se griser de soi-même, ainsi que la théorie idiote du « social-fascisme », ont paralysé le parti. A présent que la direction cherche un tournant, on a déjà pu oublier que tout récemment encore elle a constaté le début de la dictature fasciste, en disant :

« Les bonzes et les goinfres, les damnés secrétaires et fonctionnaires de l’appareil social-fasciste veulent la guerre civile et un massacre qui dépasserait tous les scandales de Noske et de Zoergiebel qu’on a vus jusqu’ici.

« Ce n’est plus là la préparation, mais le commencement du pouvoir fasciste en Allemagne établi par les mains ensanglantées du parti social-démocrate ».

(Rote Fahne du 17 janvier 1930).

On peut difficilement s’imaginer une méconnaissance plus grotesque de la différence entre le fascisme et le réformisme.

Dans la mesure où la direction du parti a vu le fascisme, la lutte s’est épuisée en paroles. « Frappez les fascistes partout où vous les rencontrez », ou bien la mémorable proclamation :

« Nous voulons un pouvoir d’Etat révolutionnaire, qui ne laisse vivre aucun fasciste … »

(Rote Fahne du 28 janvier 1930).

Comment le fascisme n’aurait-il pas grandi, alors que la direction portait des coups pareils au parti révolutionnaire !

Alors que le fascisme se mettait de plus en plus à mêler sa propagande pour le « troisième Etat » à des considérations journalières des plus précises et des plus démagogiques, tandis qu’il réalisait le système des cellules dans les usines, la direction du parti essaya de battre le fascisme en mettant à la sauce bolchéviste l’idéologie fasciste des « chefs » ; lorsque le Völkische Beobachter parlait du « grand chef Hitler », la Rote Fahne répondait en sortant le « plus grand chef Thaelmann ».

Faut-il s’étonner que de cette façon le fascisme n’ait pas rencontré d’obstacle pour devenir un mouvement de masse ?

DIFFERENCIATIONS DU FASCISME

Pour le parti, la possibilité d’une contre-offensive est favorable en ce moment, à cause de la différenciation notable qui s’effectue maintenant dans le camp fasciste.

L’affluence de grandes masses venant du camp bourgeois a fortement modifié la tactique du fascisme. Des centaines de milliers d’électeurs bourgeois, jadis adhérents des nationalistes et du parti populiste, qui se sont tournés vers Hitler, ne veulent pas se contenter de la perspective de la « révolution nationale », des prophéties du futur « troisième état », mais ils exigent des mesures immédiates pour la défense de leurs intérêts, et surtout des avantages dans le domaine de la politique douanière, du droit fiscal, etc … Sous la pression de ces couches, Hitler s’est provisoirement décidé pour le bloc avec les autres partis bourgeois et pour la participation au pouvoir.

Contre cette nouvelle ligne, conçue par Hitler comme une tactique transitoire en attendant que le mouvement de masse fasciste soit assez puissant surtout dans le prolétariat, pour accomplir un renversement, les fascistes de Berlin (groupe Strasser) montent à l’assaut. Les fascistes de Berlin connaissent l’état d’esprit des ouvriers berlinois, dont 50 % ont une tendance vers le P. C. A. (voir les élections communales du 27 novembre 1929). Ils craignent à juste titre, qu’une politique gouvernementale telle qu’Hitler et Goebbels la préconisent pour la Saxe et la réalisent déjà en Thuringe, repousse les masses prolétariennes. A côté de ces différends tactiques, qui ont une grande importance dans la lutte fasciste pour la conquête des ouvriers, il y en a d’autres ; par exemple l’orientation de la politique extérieure. Tandis que Hitler, en politique extérieure, demande des emprunts à l’Angleterre et à l’Italie, et aborde toutes les questions sous cet angle, les fascistes de Berlin défendent la ligne de 1923 du comte Reventlov, c’est-à-dire celle qui s’appuie sur la Russie.

Ces différends ont maintenant amené une scission dans le fascisme ; le groupe berlinois relativement restreint, groupé autour du Dr. Strasser (la majorité est avec Goebbels et Hitler) a formé « l’Association de lutte des socialistes-nationaux révolutionnaires », qui s’est assigné la tâche de rassembler les éléments mécontents de la politique de bloc bourgeois du fascisme et de les maintenir dans le fascisme par des phrases plus radicales, « socialistes » et « anti-capitalistes ».

ILLUSIONS ET DANGERS DU TOURNANT TACTIQUE DE LA DIRECTION DU PARTI

Le C. C. du P. C. A. espère que ce processus de différenciation amènera la décomposition du fascisme.

C’est une illusion de penser que le fascisme se brisera de lui-même, par suite de ses contradictions internes. Ces contradictions n’aboutiront pas à un sérieux affaiblissement du camp fasciste, à une séparation de ses éléments prolétariens et semi-prolétariens, si le P. C. A. ne réussit pas, par une politique juste dans la lutte pour les revendications immédiates du prolétariat, à démasquer du même coup le fascisme et le réformisme devant les masses.

Nous ne voulons pas aborder ici la tactique générale de la direction du Parti pendant ces dernières semaines, qui constitue le complément de l’aventurisme par le crétinisme parlementaire. Prochainement nous traiterons en détail cette question-là.

Nous avons donné au début de cet article un aperçu de la lutte contre le fascisme dans le passé, c’est-à-dire jusqu’au début du mois de juin. Depuis le 4 juin (Bureau politique : résolutions au sujet du danger fasciste) la direction a effectué un tournant brusque. Le mot d’ordre « frappez les fascistes partout où vous les rencontrez ! » a été remplacé par la tactique de front unique avec les ouvriers fascistes. La direction du Parti ainsi que sa presse engagent les ouvriers révolutionnaires à éclairer les « ouvriers socialistes-nationaux », à les emmener aux assemblées communistes, etc … En un mot : la façon dont devraient agir des communistes envers des ouvriers social-démocrates, est préconisée maintenant envers les ouvriers fascistes. En même temps l’attitude envers les « ouvriers social-fascistes » reste, au fond, la même !

Cette nouvelle tactique à l’égard des ouvriers fascistes est encore bien plus dangereuse que la tactique ancienne. Il est évident qu’il faut essayer de détacher les ouvriers fascistes de leurs dirigeants. Mais si cela ne réussit pas, si ces ouvriers persistent à rester dans le camp de l’ennemi de classe, alors il faut les traiter comme des traîtres à leur classe, il faut qu’ils soient chassés des usines à tout prix.

Toute illusion, toute faiblesse dans la lutte contre le fascisme coûtera cher dans la lutte pour la conquête de l’ouvrier social-démocrate. Peu de fautes ont, dans le passé, autant nui au parti communiste allemand, dans sa lutte pour la conquête des ouvriers réformistes, que la tactique « Schlageter » (1) de 1923, lorsque la droite (Fröhlich, Brandler), le centre (Remmele) et la gauche zinoviéviste (Ruth Fischer, Arthur Rosenberg) organisaient des scènes de fraternisation avec les fascistes autour de Reventlov, lorsque le comte Reventlov et M. Fröhlich discutaient dans la Rote Fahne de Berlin, sous le protectorat de Karl Radek, pour savoir si et comment on pourrait faire « un bout de chemin » ENSEMBLE.

Nous avons nettement l’impression que des éléments de cette tactique « Schlageter » sont à la base de la nouvelle attitude à l’égard du fascisme. La différenciation du fascisme, la création de « l’Association de lutte des socialistes-nationaux révolutionnaires » qui demande, en politique extérieure, à s’appuyer sur la Russie, facilite aux aventuriers malhonnêtes du sommet du Parti le glissement vers la tactique « Schlageter »

UN « 1923 » RENVERSÉ

Jusqu’ici les socialistes-nationaux ont eu des scrupules et ont évité dans les luttes ouvrières de se mettre ouvertement du coté des patrons. L’accentuation des luttes de classes en Allemagne rendra cette façon de manœuvrer du fascisme beaucoup plus difficile. Actuellement surtout, étant devenu un mouvement de masse qui possède ses assises même dans les usines, le fascisme sera forcé de prendre une position concrète dans les prochaines luttes ouvrières. Le capital « créateur » des industriels de la Rhénanie et de la Westphalie, que les fascistes reconnaissent même en théorie et qu’ils opposent au capital bancaire, bien qu’ils connaissent très bien la fusion entre le capital industriel et le capital bancaire qui constitue le capitalisme financier moderne – ce capital « national » se prépare à porter au prolétariat des coups décisifs. Les financiers du fascisme, les seigneurs du Rhin et de la Ruhr, les princes des mines et de l’industrie s’offriront-ils le luxe de renoncer au soutien matériel de leurs mercenaires fascistes ? Tout semble indiquer que dans ces luttes les socialistes-nationaux assumeront le rôle de brigade d’assaut contre les syndicats libres. Ils essayeront de transformer le profond mécontentement des ouvriers à l’égard de la bureaucratie, en un assaut contre les syndicats en général.

Mais si la collision se produit entre les masses qui utilisent leurs syndicats comme instrument de lutte et veulent les défendre, et le fascisme, cette collision peut rapidement et sans transition donner lieu à une situation révolutionnaire, qui exigera toute la capacité de manœuvre et toute l’audace du parti révolutionnaire, pour faire de cette lutte un combat décisif entre la Révolution et la Contre-Révolution.

Cette perspective, n’a rien à voir avec la théorie de « l’essor révolutionnaire » qui, depuis 1928, grandit d’une façon « impétueuse et incessante », comme l’affirment les Manouilsky, Molotov et Thaelmann.

Une telle perspective n’a rien non plus à voir avec l’analogie superficielle avec l’année 1923, qui est à la mode dans le Parti, et qui a donné naissance à la conception selon laquelle l’ère du gouvernement Muller était l’équivalent de la « période kérenskyste ».

Si on veut comparer le développement actuel à 1923, alors on pourrait plutôt dire que la situation actuelle est un 1923 renversé. Le trait significatif de 1923 fut la croissance des forces révolutionnaires par bonds. L’activité du prolétariat croissait par assauts fougueux, les masses petites-bourgeoises se concentraient dans le camp de la révolution – et en 1930 c’est exactement le contraire. En 1923 le fascisme se rassemblait en arrière de la révolution approchante, il grandissait, il se développait ; mais l’allure de son développement ne se comparaît nullement à celui de la révolution.

Si en 1930 notre parti est resté un parti de masses, malgré les fautes catastrophiques des dernières années, s’il grandit extérieurement – c’est là le signe que le prolétariat espère et tente de toutes ses forces de faire de son parti un instrument de lutte vraiment utilisable dans cette grave situation. Le sort du prolétariat allemand dépendra, pour les prochaines années, de la voie que prendra le parti. D’un 1923 renversé peut aussi résulter une situation dans laquelle la question du pouvoir se posera d’une façon plus accentuée, plus concrète et plus vivante qu’elle ne se posa jamais depuis 1923.

Hitler est devant les portes des forteresses prolétariennes. Ses cellules d’usines lèvent la tête dans les entreprises. Ses agitateurs parcourent les syndicats, ses bandes traversent les misérables quartiers prolétariens. Le combat décisif entre le communisme et le fascisme mûrit. L’enjeu de la lutte est actuellement l’ouvrier réformiste. Ou bien notre parti réussira, en changeant la tactique poursuivie jusqu’ici, à abattre le mur qui sépare les masses communistes des masses réformistes, à attirer dans la lutte les masses qui suivent encore actuellement le réformisme, et alors il abattra la direction social-démocrate, et démolira le fascisme à la tête de la classe ouvrière.

Ce qu’il faut, c’est qu’on revienne des équipées dans les champs de l’aventurisme. Pendant des années on a grisé le parti de phrases et de mensonges. Il est temps qu’il se réveille et qu’il voie l’abîme devant lequel il se trouve.

Nous, communistes de gauche, qu’une direction aveugle et incapable traite d’« ennemis du parti » et de « renégats », nous travaillons systématiquement à remédier à la décomposition intérieure du Parti, c’est nous qui sommes présents lorsque le parti fait défaut, nous qui servons le parti comme ses dirigeants devraient le faire.

De même que pendant la guerre les petits groupes révolutionnaires autour de Rosa Luxemburg, Liebknecht et Mehring, de même que Spartakus conserva la fidélité envers le drapeau de la révolution prolétarienne, – ainsi l’Opposition, à une époque où la direction du parti est vacillante et défaillante, reste fidèle. Une seule chose différencie foncièrement notre époque de celle de la guerre : l’ancien parti ouvrier sombra le 4 août 1914. Spartakus dut redresser le drapeau qui avait été traîné dans la boue ; il dut rassembler sur une nouvelle base les masses du prolétariat trahi – contre le parti de la trahison, du social-impérialisme, de la guerre.

Le drapeau de notre parti n’a pas traîné dans la boue ; notre parti a commis de lourdes fautes, une bureaucratie incapable et dénuée de scrupules lui fait violence ; mais il est le parti de la classe ouvrière, il est resté le parti communiste. Notre devoir consiste à préserver le parti de la chute, à en séparer ce qui est pourri, à le rendre capable de lutter et de vaincre.

Nous devons remplir cette tâche persécutés et pourchassés, et même en partie exclus ; c’est la une de ces contradictions dans le développement de notre parti, dont l’histoire est riche d’exemples.

Indissolublement liée au parti et à son noyau prolétarien, dont l’appareil dirigeant ne parviendra pas à nous arracher, la gauche continue inlassablement la lutte, pour faire du parti de Thaelmann le parti de Lénine.

KURT LANDAU.


(1) Schlageter était un nationaliste allemand exécuté par les autorités militaires françaises pendant la période critique de l’occupation de la Ruhr, à la suite d’un attentat terroriste. Karl Radek prononça à cette occasion des paroles empreintes du plus pur chauvinisme allemand qui avaient le sens d’une invitation ouverte au front unique avec les nationalistes. – N. D. L. R.


La révolution prolétarienne et Versailles
Communisme ou national-bolchévisme ?

Une sombre vague de nationalisme traverse l’Allemagne. Les hordes fascistes ont donné le mot de ralliement ; aux affamés, aux chômeurs, aux couches moyennes désespérées, aux petits paysans ruinés, les Hitler et Goebbels disent : « La France vous écrase et vous tire jusqu’au dernier sou. » Au cours de la dernière année, le fascisme est devenu un véritable mouvement de masse. Le combat prolétarien révolutionnaire contre le plan Young ne s’est pas déclenché en 1929 ; sous sa direction actuelle notre parti n’a pas su organiser la résistance des masses laborieuses contre la bourgeoisie allemande et le plan Young, plan dont la bourgeoisie fait automatiquement supporter les charges à la classe ouvrière, et le fascisme n’a pas été gêné pour rendre le plan Young responsable de toutes les infamies du capital allemand ; il a pu ainsi détourner les masses de la lutte contre le capital. Il a réussi, auprès d’innombrables éléments petits-bourgeois et semi-prolétariens, à inculquer la fausse conception que ce ne sont pas les barons de la Ruhr, les seigneurs de l’acier et du charbon, qui sont les véritables ennemis des masses laborieuses en Allemagne, mais le peuple français, bien que la classe ouvrière française ait à payer tout aussi chèrement la victoire de sa bourgeoisie sur la bourgeoisie allemande, que la classe ouvrière allemande, qui paye pour les conséquences de la guerre impérialiste perdue. Sous le talon de fer de l’impérialisme français triomphant, qui fait subir aux jeunes ouvriers et paysans français tantôt la guerre du Maroc, tantôt les boucheries indochinoises, le prolétariat français verse son sang et, tout en grinçant des dents, il paye les dépenses formidables de la plus forte puissance militaire de l’Europe.

Cependant le chauvinisme fasciste en délire roule à travers l’Allemagne en hurlant :

« De la place, de la terre, des colonies, la guerre ! A bas la France ! A bas la Pologne ! »

Les anciens et « honorables » partis de la bourgeoisie pâlissent de jalousie à la vue des succès extraordinaires du fascisme, qui, en toute sérénité, propose des ministres pour l’application du plan Young et, dans la rue, appelle les foules à la guerre de revanche. Treviranus est entré dans la lutte ; ses discours dominicaux résonnent de grandiloquence sur la « plaie ouverte dans le pays de la Vistule », les « frères non délivrés de la Sarre ». Et de l’autre côté Hoersing, chef du Reichsbanner et du parti socialiste, demande la liquidation du bolchévisme et « l’ouverture du marché russe ». Tout cela n’est pas dû au hasard, mais résulte, par voie de conséquence, de l’accentuation de la crise ; la classe dominante sait qu’en dernière analyse, il n’y a pas, pour elle, d’autre moyen de sortir de la crise qu’une guerre victorieuse. Donc ses domestiques crient d’un côté : « A bas la France, à bas la Pologne ! », tandis que de l’autre côté le parti socialiste poursuit systématiquement l’excitation contre la Russie soviétique.


Notre parti devrait s’élever avec une grande vigueur contre les gaz asphyxiants du national-socialisme dont le néo-impérialisme allemand fait précéder sa « politique extérieure active ». Il ne s’agit pas de proclamer, d’une façon générale, l’internationalisme, mais d’agir dans toutes les situations concrètes comme il convient à des communistes internationalistes de le faire.

La réponse de la direction du Parti à l’offensive fasciste a pour titre :

« Déclaration et programme pour la libération nationale et sociale du peuple allemand ».

Nous ne nous occuperons ici que du caractère général de cette « déclaration ».

Il est absolument hors de doute qu’à la première tentative de lutte idéologique sérieuse avec le fascisme, la direction centriste de notre parti a succombé. Comment faut-il juger le fait que le « programme » se fasse l’accusateur du parti socialiste, en le dénonçant comme agent de « l’impérialisme français et polonais » et en le chargeant du crime de « haute trahison des intérêts vitaux des masses laborieuses d’Allemagne » ? Ce sont là, presque textuellement, les accusations fascistes formulées contre le parti socialiste, mais ce ne sont pas celles que le prolétariat doit formuler contre le réformisme. Nous accusons les socialistes non pas de « haute trahison envers le pays » ; nous les accusons de trahir la classe, nous voyons en eux non pas un agent de l’impérialisme français ou polonais, mais de l’impérialisme allemand.

Les communistes n’ont jamais reconnu et ne reconnaitront jamais la paix de rapine de Versailles. Mais notre lutte contre l’impérialisme, contre la paix de Versailles n’a rien à voir avec la lutte des Treviranus et des Hitler, avec l’impérialisme allemand. Nous luttons contre Versailles en nous adressant à nos camarades de classe français et polonais, en faisant avec eux un front de lutte contre Hindenburg, Briand et Pilsudsky.

Communistes, nous savons que c’est seulement avec l’aide du prolétariat des pays vainqueurs, seulement en affirmant notre volonté en tant que prolétariat international sur le terrain allemand, français et polonais, que nous déchirerons le traite de Versailles.

Il est possible que notre révolution, qui, par chaque pas fait en avant, poussera en avant la classe ouvrière française et polonaise dans leur lutte libératrice, triomphe plus tôt chez nous qu’en Pologne ou en France. Prendrons-nous alors à tout prix les armes pour déchirer le traite de Versailles ? Seul un national-bolchévik répondra affirmativement à cette question. Or, la déclaration-programme de nos dirigeants fait la même chose en affirmant solennellement « devant tous les peuples de la terre » qu’ils ne rempliront à aucun prix les engagements de Versailles.

Nous avouons n’avoir pour de tels serments qu’un sourire méprisant. Nous ne reconnaissons pas le traite de Versailles. Mais si nous renversons le capitalisme en Allemagne, le but essentiel de notre révolution sera non pas Versailles, mais le développement de la révolution ! La question de savoir si le pouvoir soviétique allemand remplira les engagements de Versailles, cela dépendra essentiellement du développement de la révolution française.

Si la possibilité existe que le pouvoir soviétique allemand ne soit pas immédiatement assailli par l’impérialisme, alors nous ne paierons pas un sou. Mais s’il y a danger que le refus du paiement des réparations provoque une attaque des forces militaires impérialistes, et si le développement de la révolution en France et dans les pays du centre de l’Europe n’a pas encore atteint un degré tel que la classe ouvrière allemande victorieuse puisse compter sur une résistance énergique du prolétariat des pays vainqueurs contre l’intervention militaire – alors nous n’éviterons pas un Brest-Litovsk allemand.

Lénine nous a enseigné que :

« Mettre le traité de Versailles absolument, à tout prix, et immédiatement à la première place, et avant la question de la délivrance des autres pays impérialistes du joug impérialiste, n’est que du nationalisme petit-bourgeois ».

Dix ans après que Lénine a écrit ces lignes, ce nationalisme petit-bourgeois est le dernier mot de la sagesse de nos dirigeants.


Les erreurs néfastes et les déviations opportunistes de la direction centriste fournissent à la droite l’occasion de se donner de l’importance et de montrer du doigt toutes les plaies dont souffre le pauvre corps du parti. Les Brandler et Thalheimer spéculent sur le manque de mémoire des cadres.

Qui est-ce donc qui apporta en 1923 la « tactique Schlageter » et la phrase nationaliste dans le parti? Qui est donc le père spirituel de l’acoquinage avec le fascisme ? Devons-nous rappeler à ces messieurs, ce qu’ils faisaient et ce qu’ils écrivaient à cette époque ?

« Nous marcherons même avec des gens qui ont assassiné Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, s’ils veulent entrer dans nos rangs », écrivit la Rote Fahne du 18 août 1923, donc sous la Centrale brandlérienne.

Mais à ce moment « nos rangs » furent poussés bien près de « leurs rangs » ! Et Paul Fröhlich écrivait :

« C’est un devoir envers nous-mêmes et envers le peuple allemand d’éclairer la jeunesse allemande militante qui s’est ralliée aux populistes, sur ses propres buts, ses moyens, ses possibilités et ses nécessités. » (Rote Fahne du 3 août 1923).

Mais quelle était la « nécessité » sur laquelle Fröhlich voulait éclairer la jeunesse populiste ?

« Ce qui est décisif dans la situation actuelle, c’est que la question nationale est devenue la question de la révolution. » (Rote Fahne du 3 août 1923).

Le fait que Ruth Fischer dépassa encore, si possible, ces phrases nationalistes, ne pourra pas servir d’excuse pour les droitiers. Ou peut-être veulent-ils nous enseigner qu’en 1923 l’Allemagne était un Etat d’un type différent de celui d’aujourd’hui ? Qu’ils essaient donc de rompre une lance pour cette théorie.


Dans l’I.C. et dans le P.C.A. ce sont les droitiers qui sont les pères de l’opportunisme. Mais malgré tous les cris hystériques, les centristes ne peuvent pas nier leur origine : après quelques écarts aventuristes ils abordent dans le marécage paternel. Le centrisme est incapable d’une politique indépendante, sans parler d’un véritable cours de gauche.

Il nous incombe à nous, Opposition de gauche, de mener la lutte contre l’infect opportunisme du centrisme. Il nous incombe d’empêcher que la lutte opportuniste contre Versailles devienne le Versailles du communisme en Allemagne, son effondrement idéologique.

DER KOMMUNIST.

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