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Rodolphe Prager : Indépendance pour l’Afrique du Nord

Article de Rodolphe Prager alias Robert Leblond paru dans La Vérité des Travailleurs, n° 22, juillet-août 1954, p. 1-2

Toute la presse – de la gauche à la droite – tire la sonnette d’alarme à longueur de colonnes devant la dégradation catastrophique de la situation de l’impérialisme en Afrique du Nord et les débuts de la transformation inexorable en guerre civile qui s’y manifeste. Chacun y va de sa recette miraculeuse et attend le gouvernement Mendès-France à des actes.

Il n’est pas douteux que Dien-Bien-Phu a été ressenti par les peuples opprimés d’Afrique du Nord comme une victoire et un phare éclairant la route à suivre. Ils ne peuvent manquer d’établir le parallèle entre les tractations diplomatiques inopérantes, les propositions d’entente amiable des dirigeants nationalistes de l’Istiqlal et du Néo-Destour constamment bafouées par un colonialisme qui ne lâche que ce qu’il est contraint de lâcher, et la voie des succès croissants et sans appel remportés par les partisans vietnamiens. Bourguiba ne cache pas son inquiétude lorsqu’il déclare : « Nous n’avons pu faire aux yeux du peuple tunisien la preuve de l’efficacité de nos méthodes » (Le Monde, … ) et dès lors il serait mal placé pour critiquer le recours à l’action directe.

La réalité profonde qui se dégage des événements, c’est que le mouvement nationaliste nord-africain est en voie de subir une profonde transformation. Les militants les plus actifs et les plus énergiques ne sont plus seulement à la recherche de méthodes plus efficaces mais deviennent les initiateurs d’un nouveau chapitre de la lutte libératrice. L’expérience du maquis en France sous l’occupation et de la lutte des partisans en Europe et en Asie au cours et depuis la dernière guerre influence grandement l’action des fellaghas en Tunisie. Une nouvelle génération de cadres révolutionnaires trempés dans une lutte sans merci et sans compromission se forme en Afrique du Nord.

Il serait vain et puéril de se répandre en reproches sur ces militants si dans leurs actes ou leurs écrits ils penchaient à faire peu de cas du soutien éventuel dont ils pourraient bénéficier de la part du mouvement prolétarien français. Les batailles menées en France au coude à coude entre travailleurs Nord-Africains et Français contre la bourgeoisie et son gouvernement ont, ces dernières années plus particulièrement renforcé les liens entre eux. Mais la politique peu claire et fluctuante des directions du mouvement ouvrier français justifient de la part des militants des mouvements anti-impérialistes d’Afrique du Nord, toutes les méfiances.

On a pu lire dans L’Humanité une polémique contre le M.T.L.D. algérien dans laquelle le journal du P.C.F. reproche à ce parti de formuler des doutes sur les bienfaits attendus du gouvernement Mendès-France. Il faut affirmer ici que contrairement aux illusions formées sur ce gouvernement par le vote et l’attitude du P.C.F., les camarades algériens se montrent en cela plus perspicaces que les grosses têtes qui dirigent les partis ouvriers. Eux qui subirent tortures et emprisonnements sous les gouvernements du front populaire et de la libération, qu’elles raisons auraient-ils de faire crédit aujourd’hui à un gouvernement dont la seule vertu serait « l’intelligence » et qui prend largement appui sur la réaction.

L’essentiel de son programme ne consiste-t-il pas à se dégager du guêpier vietnamien pour mieux tenir l’Afrique du Nord, comme le rappelle l’Algérie libre ? Faute d’avoir mal soutenu jusqu’ici la cause des peuples Nord-Africains, de l’avoir sacrifiée tant et plus « aux avantages » de la collaboration avec les radicaux en 1936, avec De Gaulle et le M.R.P. en 1945, avec les « bons Français » anti-C.E.Distes en 1954, les dirigeants ouvriers français sont mal placés pour prodiguer leurs conseils aux militants nationalistes en butte à une répression féroce, à l’humiliation continuelle.

On veut nous convaincre de divers côtés bien intentionnés qu’une solution en Afrique du Nord dépend d’un effort fait de raison et d’intelligence. C’est mésestimer singulièrement pour des esprits avertis, l’antagonisme social de classe qui fait le fond du violent conflit national. Ici comme ailleurs toute politique signifie un choix. Tout allègement tant soit réel des maux dont soufrent les masses nord-africaines comporte une atteinte à l’arbitraire qui est la loi de la domination colonialiste et aux privilèges exorbitants de la grosse colonisation qui en sont le fondement. Le compromis et l’accord amiable relèvent ici de la fantaisie. Il faut une bonne dose de naïveté pour s’imaginer que Mendès-France mettra au pas la grande colonisation toute puissante devant laquelle le Front Populaire, qui bénéficiait de l’appui enthousiaste des masses françaises et les gouvernements à participation socialiste et communiste de la « libération » se sont bornés très prosaïquement à baisser pavillon.

Robert LEBLOND.

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