Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 51, 29 août 1930, p. 3
Monsieur Treviranus, chef du Parti populiste conservateur et ministre des pays occupés, a fait le 11 août un discours, qui a tenu en haleine pendant toute une semaine la bourgeoisie allemande et étrangère. Treviranus développa dans ce discours une partie du programme extra-parlementaire du régime Hindenburg, dont Treviranus est le soutien matériel et inconditionné.
Monsieur Treviranus s’est dressé avec une emphase retentissante contre la France et la Pologne, a envoyé ses salutations flamboyantes aux « frères non délivrés de la Sarre, d’Eupen et de Malmédy, du pays arraché de la Vistule », et s’exclama :
« Le jour viendra où la lutte pour le droit de l’Allemagne délivrera l’Europe. »
Les vainqueurs de Versailles ont sans douceur tiré l’oreille au ministre bavard de l’impérialisme néo-allemand. 48 heures après son discours, Treviranus dut humblement battre en retraite et déclara :
« Où devrions-nous donc, pour l’amour de Dieu, prendre les armes nécessaires pour faire la guerre ? Comment pourrait-il, en tant que soldat ayant des vues sobres, avoir de telles idées ? »
Cet épilogue montre seulement à quel point l’impérialisme néo-allemand hâbleur et indiscret a surestimé sa propre force. Mais l’aveu de la guerre de revanche, qui ressort on ne peut plus nettement du discours de Treviranus ne peut être effacé par aucun démenti.
Cependant le fait que cet aveu soit fait justement en ce moment et avec une clarté aussi cynique n’est pas dû au hasard. Le fascisme est devenu un grand mouvement au cours de la dernière année. Des centaines de milliers de petits-bourgeois, de petits paysans et de semi-prolétaires qui, selon leurs intérêts ne pouvaient s’orienter que vers un front révolutionnaire, sont passés à la contre-révolution, au fascisme, notre Parti n’ayant pas su leur montrer le chemin vers le prolétariat. Le profond mécontentement des masses au sujet du plan Young est une des plus grandes forces agissantes du fascisme. De grandes masses croient encore au caractère anti-capitaliste du N.S.D.A.P. (Parti ouvrier national-socialiste allemand) aussi fermement qu’au fait que le fascisme triomphant fera sauter les chaînes du plan Young. C’est une des rares améliorations de la politique de la direction du Parti, de mettre fortement en avant les expériences de la Thuringe et de montrer aux masses laborieuses que Frick est non seulement un valet du capital allemand, mais aussi un organe exécutant du système Young.
La dictature démocratique et le fascisme
Le régime de dictature, soutenu par les milieux dirigeants du capital financier allemand et le fascisme se combattent mutuellement pour s’arracher l’influence sur les masses du camp bourgeois. Le régime de dictature n’a pas la moindre envie d’abdiquer volontairement en faveur du fascisme. Les coulisses du parlementarisme se sont montrées trop précieuses, pour que la bourgeoisie renonce aux avantages de la démocratie bourgeoise.
Cette « lutte » est menée très simplement : les partis Hindenburg (le parti populiste conservateur, le parti d’Etat allemand, et le Landbund) prennent à leur compte tous les « principes » du fascisme ; ils réclament à grands cris « l’homme fort », ils annoncent la faillite de « l’ancien parlementarisme » et si Hitler tonne contre Versailles – eh bien, c’est simple : Treviranus prêche la guerre de revanche.
C’est ainsi que le régime de dictature cherche à combiner les avantages du régime démocratique parlementaire un peu usé, avec ceux du fascisme, à remplir les formes extérieures de la démocratie d’un contenu fasciste.
Les masses n’examineront pas, le 14 septembre, le régime de dictature, mais au contraire c’est lui qui examinera leur degré de « maturité », c’est-à-dire le consentement des masses à la dictature Hindenburg. Et si le « manque de maturité des masses » est tellement grand que le « cabinet de soldat du front » de M. Hindenburg n’obtient pas la majorité, qu’arrivera-t-il ?
« Il (Treviranus) insinua qu’en face de la grave situation aucun gouvernement ne pouvait capituler, si une majorité de partis désunis entre eux cherchait à ruiner l’œuvre de réforme entreprise par le gouvernement et par le président d’Empire », dit la presse démocratique » (Berliner Zeitung du 18 Août) et elle ajoute malicieusement :
« menace qui n’est pas, à vrai dire, remplie de respect vis-à-vis de la décision électorale que le peuple doit prendre à présent. »
La question de savoir si le régime de dictature sera à même de réaliser ce projet ne dépendra pas de lui-même, mais du développement ultérieur de la lutte des classes en Allemagne. La crainte des masses est le principe décisif.
« Nous voulons en finir légalement avec le système … » écrit Goebbels (Angriff du 20/VII) et ce désir de la légalité, le consentement à une collaboration positive à la Frick est l’envers de la crainte qu’ont les dirigeants fascistes des ébranlement sociaux venant à la suite d’un renversement politique. Nous avons déjà souvent dit que la reconnaissance de la légalité, de la coalition, amènerait une différenciation dans le camp du fascisme, car les masses qui le suivent veulent le renversement politique – et c’est de celui-là qu’elles attendent l’amélioration de leur situation économique.
Qui supportera le plan Young ?
Le développement politique ultérieur de l’Allemagne, l’allure à laquelle se dérouleront les processus sociaux et politiques, sera déterminé par le cours ultérieur de la crise.
La direction du Parti ne se donne pas trop de mal ; elle tient déjà le plan révolutionnaire dans sa poche. Sa « perspective » est extrêmement simple :
« La crise grandit de plus en plus, la situation devient de plus en plus intolérable, la démocratie et le réformisme se décomposent de plus en plus vite, la radicalisation prend des proportions gigantesques – et la course commence : la victoire sera soit au communisme, soit au fascisme. La rencontre ouverte « des classes est inévitable pour l’automne ou l’hiver ».
Les choses ne sont pas si simples ; nous avons vu en 1923 qu’il y a encore une autre possibilité, celle que le communisme et le fascisme soient repoussés par la bourgeoisie, aidée par les socialistes.
A cette époque Brandler s’égosillait : « le fascisme a triomphé. » (séance du C.E. de l’I.C. janvier 1924). En réalité le fascisme n’avait pas, à cette époque, triomphé de la république bourgeoise, mais au contraire, la République bourgeoise avait mis un frein au fascisme. Mais à cette époque la République bourgeoise ne réussit à se consolider que sur le terrain de l’essor économique qui commençait lentement. Sans ce facteur les problèmes révolutionnaires de l’automne 1923 auraient été de nouveau bien vite à l’ordre du jour.
La question décisive qui se pose à nous aujourd’hui est celle-ci :
« Y a-t-il une possibilité pour la bourgeoisie allemande de faire supporter le poids de la crise à des pays capitalistes plus faibles, au moyen de la technique moderne, de l’exploitation démesurément renforcée ces derniers mois (baisse des salaires, impôts indirects) d’augmenter sa capacité de concurrence, de réaliser le plan Young ? »
Staline, le professeur bien connu ès-« stratégie révolutionnaire » qui, en 1923, conseilla aux communistes allemands de laisser d’abord triompher les fascistes (« Mais pour nous il vaut mieux que les fascistes attaquent d’abord, cela groupera toute la classe ouvrière autour des communistes … Selon moi il faut retenir les Allemands et non les pousser en avant. » (Lettre de Staline, juillet 1923), est aujourd’hui d’avis qu’il sera impossible à la bourgeoisie allemande de tenir les engagements que lui impose le plan Young, le prolétariat n’acceptant absolument pas qu’on extorque les milliards de ses veines. Le « professeur » aboutit ainsi à une situation sans aucune issue pour la bourgeoisie allemande.
En réalité cette question sera résolue par la lutte acharnée des classes, dans laquelle le Parti révolutionnaire détient un rôle d’une importance décisive.
La question de savoir si la bourgeoisie allemande pourra reprendre haleine accentuant l’exploitation, pose la question de la défense prolétarienne. Nous répondons ouvertement à cette question :
« Si la classe ouvrière continue à reculer, le P.C.A. ne sachant pas la mobiliser pour la lutte, alors il y aura possibilité pour la bourgeoisie de faire retomber en partie la crise sur d’autres pays et de venir à bout des engagements du plan Young. »
Qu’est-ce que cela signifie politiquement ? Cela signifie aussi politiquement un temps d’arrêt pour le régime de dictature ; toutes les questions telles qu’elles se posent aujourd’hui, restent valables. Mais les délais dans lesquels les processus se déroulent, se prolongent. Si la bourgeoisie gagne du temps économiquement, les chances grandissent pour le régime de dictature de se stabiliser pour un temps prolongé, de mettre, pour un temps, un frein au fascisme. M. Treviranus dit :
« A bas le bavardage sur la catastrophe, il faut avoir le courage d’éloigner la détresse ! »
C’est là le langage de la bourgeoisie qui se prépare, dans une armure de fer, à échapper à la catastrophe menaçante, tenant de la main gauche l’épée de la démocratie et de la main droite la hache du fascisme.
Mais il importe que notre parti accomplisse son devoir. Ce sont ses fautes qui peuvent accorder à la bourgeoisie le temps de reprendre haleine.
Aujourd’hui que se déroule sous nos yeux la faillite de la démocratie bourgeoise, nous voyons le Parti socialiste qui a, dans l’ensemble, conservé ses forces, semer systématiquement, par des illusions démocratiques, la décomposition dans les rangs de la classe ouvrière et la désarmer idéologiquement.
M. Treviranus parle. Mais le régime de dictature qu’il représente, agit, étant plus perspicace, plus intelligent que son héraut bavard. Thaelmann aussi parle. Où ira notre Parti si ses actions dans la lutte des classes se bornent uniquement aux discours ronflants de Thaelmann ? Les illusions démocratiques des ouvriers, le programme de rapine du régime de dictature, la menace du danger fasciste – tout cela ne peut pas être vaincu par des discours.
K. LANDAU.