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Kurt Landau : Après les élections allemandes. Malgré un important succès le P.C. Allemand n’a pu empêcher la montée du fascisme

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, 2e année, n° 54, 19 septembre 1930, p. 1

Pour le front uni ouvrier contre le fascisme !

Berlin, le 15 septembre.

(De notre correspondant)

Le résultat des élections allemandes prouve que la participation électorale fut extrêmement élevée. Elle dépasse très sensiblement 80 %. Par l’affluence d’électeurs et la participation de l’élément jeune (2 millions 1/2), le nombre des voix passe de 30 millions à 35 millions, et le nombre total des mandats de 493 à 576, augmentant de 83 le nombre de députés. Plus de la moitié de ces 6 millions d’électeurs nouveaux sont des prolétaires. Ces faits doivent être soulignés pour analyser les résultats électoraux.

L’effondrement des partis de la moyenne bourgeoisie

Malgré des efforts désespérés, les partis de la moyenne bourgeoisie, formant le gouvernement Brüning n’ont pas pu enrayer leur effondrement. Seul le Centre, parti réunissant sous le drapeau de l’Eglise (catholique) de grands industriels du Rhin et des ouvriers de la Rhénane et de la Haute-Silésie, a réussi à maintenir ses positions (68 mandats au lieu de 61) c’est-à-dire à augmenter, à la faveur de la participation accrue, le nombre de ses voix d’environ 5 % bien que la progression du nombre d’électeurs eût été de 20 %.

Les autres partis gouvernementaux (parti d’Etat, démocrates de droite, parti populiste) ont subi des défaites très lourdes, en partie même écrasantes. Le régime de dictature qui avait espéré transformer sa minorité parlementaire en majorité, a obtenu au total à peine un tiers des mandats.

Défaite écrasante de la social-démocratie ?

Malgré l’augmentation du nombre d’électeurs, le parti socialiste est tombé de 9 millions 152.979 voix (1928) à 8.575.244 (143 mandats contre 153). Dans certaines régions, il s’est cependant défendu, par exemple en Saxe où il a réussi à passer de 871.327 voix obtenues aux élections du Landtag (juin 1929) à 992.547 voix. Dans l’ensemble la défaite du parti socialiste est indéniable mais il serait faux de parler d’une « défaite écrasante » (voir Rote Fahne du [ill.] Septembre 1930) ; il faut plutôt parler d’un processus d’effritement.

Le succès du P.C.A.

La presse du P.C.A. annonce que « les communistes sont les vainqueurs de la lutte électorale ». Le parti a réussi à passer de 3.264.793 voix (1928) à 4.590.160, soit un gain d’environ 40 %. En considérant l’augmentation du nombre d’électeurs, le parti a réussi à gagner environ 500 à 600.000 voix nouvelles. C’est certainement là un fait important qui témoigne non pas de la justesse de la politique du parti, mais de l’énorme, de l’intense effervescence des masses à travers la crise.

Le fascisme – vrai vainqueur

Le parti national-socialiste bondit de 810.127 voix (1928) à 6.379.672, le nombre de leurs mandats passe de 12 à 107 ! Comme nous l’avions prévu, il est devenu le plus fort parti bourgeois et en même temps le plus fort parti en général après les social-démocrates. Ce qui nous importe avant tout c’est de savoir aux dépens de quelle classe cette victoire s’est produite.

Tout d’abord il est évident que les fascistes ont pris l’héritage des partis petits-bourgeois. Ils ont pris 2 millions de voix aux nationalistes, 1 million au parti populiste et, sans doute, un demi-million environ aux autres partis bourgeois. Quant à la participation accrue, elle profite aussi en grande partie au fascisme. A première vue il pourrait sembler que l’énorme victoire du fascisme est due au simple fait qu’il a attiré a lui les masses bourgeoises. Mais l’examen plus approfondi des résultats électoraux démontre que le fascisme a réussi à se tailler une brèche profonde dans le prolétariat. C’est ce que démontrent les chiffres des contrées industrielles, dans lesquelles les fascistes ont à peu près décuplé leurs voix depuis 1928. Ainsi dans les circonscriptions de Düsseldorf- Est, 210.106 (1928 : 19.962) ; Düsseldorf-Ouest 168.635 (1928 : 10.104) ; Chemnitz-Zwickau 264.871 (1928 : 41.497) ; Hambourg 144.584 (1928 : 17.761).

Dans les contrées industrielles de la Rhénanie, les fascistes ont passé à Hamborn, par exemple, de 600 à 8.400, dans le Wuppertal-Barmen de 1222 à 26.079.

A Berlin les chiffres sont encore plus [ill.] donc déjà dans la période de la crise. Ici les fascistes ont passé de 132.031 à 393.266, et cela en 10 mois. Dans les bastions prolétariens les fascistes sont passés, au Wedding, l’exemple particulièrement frappant) de 8120 (novembre 1929) à 20.665, à Neukölln de 7.124 (1929) à 22.128, à Friedrichshain, de 2.324 (1929) à 24.900, à Pankow, de 355 (1929) à 11.773.

Et maintenant ?

Rien ne serait maintenant plus dangereux que le vertige du parti devant ses propres succès, rien ne serait plus dangereux que la façon dont les bureaucrates traitent comme une bagatelle la victoire fasciste. (« Hier soir monsieur Hitler a eu son « plus grand jour », mais la soi-disant victoire électorale est le commencement de leur fin » (Rote Fahne, du 15.9.).

Le parti a progressé. Il a progressé dans presque toutes les contrées prolétariennes. Mais le fait que les fascistes l’ont égalé dans toute une série de contrées industrielles (Düsseldorf Ouest) ou même fortement dépassé (Chemnitz-Zwickau, Hambourg, Dresden-Bautzen, Nord de la Westphalie) est alarmant. La Rote Fahne écrit :

« L’allure de notre influence croissante parmi les travailleurs et tous tes exploités, l’allure à laquelle nous gagnons les masses laborieuses dans villes et à la campagne pour notre programme de libération révolutionnaire, s’est montré encore plus impétueuse que nous ne le pensions avant le 14 septembre » ;

c’est une des façons les plus dangereuses de se tromper soi-même.

Nous sommes à la veille de luttes décisives en Allemagne. L’allure de l’essor contre-révolutionnaire a dépassé toutes les prévisions. Maintenant tout dépendra de la mesure dans laquelle notre parti saura utiliser la confiance que lui témoignent les masses pour mener la lutte extra-parlementaire, la lutte contre l’offensive capitaliste et le chômage de masse, la lutte contre le fascisme. Le danger le plus grand c’est la continuation du cours actuel dont le point culminant est pour le moment le « programme pour la libération nationale et sociale du peuple allemand ». Le fascisme ne peut être vaincu sur le terrain du national-bolchevisme ; on ne peut pas vaincre les fascistes en échangeant amicalement avec eux des articles de discussion dans la presse communiste et national-socialiste (Berlin am Morgen, Nationalsozialist). Si on continue ce cours, le succès actuel du parti se changera en son contraire. Dans la concurrence « national-bolchevisme contre fascisme » c’est le fascisme qui triomphera.


Dans la lutte contre le fascisme le point central est, maintenant comme auparavant, l’ouvrier social-démocrate que nous devons gagner à nous, avec lequel nous devons faire le front unique de classe contre le fascisme.

L’opposition de gauche allemande devra travailler dans les semaines à venir, dans des conditions plus difficiles encore. Les masses du parti suivent encore en majorité la politique du centrisme. Le succès d’hier menace de les rendre insensibles aux dangers qui sont devant nous.

L’opposition de gauche n’a pas été prise au dépourvu par les événements. Elle continuera la lutte avec une force accrue, pour sauver le parti du désastre dont le danger est plus grand qu’il ne paraît ; dans cette lutte électorale, au cours de laquelle la direction du parti a foulé au pied tous les principes du communisme, elle a commencé à empoisonner ce que le parti possède de plus précieux : la position internationaliste de classe des cadres du parti, elle a miné la force de résistance idéologique du parti, elle a cédé idéologiquement à la pression fasciste.

La victoire d’aujourd’hui laisse apparaître les éléments d’une défaite inévitable, si la pression du noyau prolétarien du parti ne transforme pas radicalement la ligne politique de la direction.

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