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Georges Thévenin : Nos devoirs envers les travailleurs coloniaux immigrés

Article de Georges Thévenin paru dans Cahiers du communisme, 30e année, n° 8-9, août-septembre 1954, p. 996-1008

Les travaux du XIIIe Congrès de notre Parti, les multiples messages qu’il a reçus d’Asie et d’Afrique, le nombre et la qualité des interventions des représentants des peuples colonisés par notre propre impérialisme ont mis en évidence cette caractéristique essentielle de la période actuelle : l’essor gigantesque des mouvements de libération des peuples coloniaux et dépendants. Une telle situation implique pour nous, communistes français, de grandes responsabilités.

La thèse adoptée unanimement par le Congrès sur la situation politique et les tâches du Parti nous fait un devoir « de renforcer résolument le soutien de la classe ouvrière et des démocrates de France pour les peuples du Maroc, de Tunisie, d’Algérie, d’Afrique Noire et de Madagascar engagés dans la lutte contre l’impérialisme, pour la liberté ».

Le Congrès a permis également de rendre encore plus évidentes les raisons qui justifient une telle attitude de notre part :

1° – En combattant l’exploitation coloniale, en dénonçant tous les crimes qu’elle engendre, en soutenant la lutte pour la liberté et l’indépendance des peuples opprimés, les communistes sont fidèles aux positions de principe du mouvement ouvrier et aux plus nobles traditions démocratiques de notre peuple.

2° Ils ont nettement conscience que les coups portés par les peuples coloniaux à nos ennemis communs aident grandement notre propre lutte pour un changement de politique, pour l’indépendance nationale et la paix, pour le socialisme. Ils n’oublient pas « qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre ».

Le Congrès a fait ressortir également que, dans cette question comme dans toutes les autres, en luttant pour la satisfaction des aspirations nationales de ces peuples, le Parti mène la seule politique conforme aux intérêts véritables et profonds de la nation. En effet, en défendant une telle position, notre Parti crée les conditions qui permettront d’établir avec ces peuples, sur un pied d’égalité, des rapports nouveaux, profitables à leurs pays comme au nôtre.

Notre action de solidarité anticolonialiste ne se pose pas seulement à l’égard de ces peuples en général ; elle s’impose d’une façon continue et directe en France même, à l’égard des travailleurs coloniaux immigrés : Algériens, Tunisiens, Marocains, Africains, Malgaches, Antillais. L’immense majorité d’entre eux sont des Algériens : environ 400.000, et presque exclusivement des ouvriers. Ils sont répartis dans toute la France et notamment dans les régions industrielles. On peut estimer que 150.000 se trouvent dans la région parisienne, 35.000 dans le Nord, 25.000 dans les Bouches-du-Rhône, 20.000 en Moselle. Dans certaines entreprises et mines, ils constituent un groupe imposant ; ils sont, par exemple, 4.500 chez Renault. Leur concentration est telle que dans certaines localités ils arrivent à représenter un pourcentage élevé de la population : ainsi, à Gennevilliers, ils sont 8.000 sur 32.000 habitants.

Leur alliance fraternelle avec la classe ouvrière française constitue pour notre Parti et pour l’ensemble de la classe ouvrière un problème d’une importance certaine. En dehors même des raisons qui justifient nos positions anticolonialistes, le nombre de ces travailleurs, leur concentration, leur rôle dans la vie économique du pays nous imposent d’agir pour qu’ils soient toujours aux côtes de la classe ouvrière française et qu’ils participent a ses luttes.

Enfin, nous ne devons pas perdre de vue que la plupart de ces travailleurs ne font en France qu’un séjour temporaire et que les enseignements qu’ils tireront de leurs relations avec la classe ouvrière française contribueront dans une mesure importante à influencer l’orientation du mouvement national algérien dans son ensemble, mouvement dans lequel ils jouent un grand rôle.

Au XIIe Congrès de notre Parti, en avril 1950, Maurice Thorez nous recommandait de « soutenir, en France même, les travailleurs coloniaux, nord-africains tout particulièrement, que le patronat exploite férocement pour des salaires de famine. Pour ces travailleurs, nous devons revendiquer et obtenir un salaire égal pour un travail égal ; nous devons obtenir de meilleures conditions de logement, réclamer tous les droits politiques et agir en sorte qu’ils voient effectivement des frères dans les prolétaires de France. »

Depuis cette époque, des progrès évidents ont été réalisés dans nos relations avec ces travailleurs, progrès se manifestant notamment par leur participation active à toutes les luttes ouvrières et à la plupart des grandes manifestations populaires.

Nous ne pouvons cependant nous contenter de ces progrès. D’une part parce que bien des insuffisances existent encore dans notre travail et, d’autre part, parce que nos adversaires s’acharnent à empêcher ou tout au moins à freiner l’union des travailleurs algériens et français.

Afin de les intimider, de les isoler et de les séparer des travailleurs français, tous les moyens sont utilisés. En premier lieu, la répression la plus féroce : depuis 1952, 11 travailleurs algériens sont tombés sous les balles de la police. Il faut ajouter à cela les continuelles brimades auxquelles les Algériens en France sont soumis par une police raciste, brimades aggravées dans la dernière période par la reconstitution de brigades « nord-africaines », organisant de façon systématique des rafles monstres dans les quartiers et les hôtels où ils habitent. Enfin, avec l’appui du gros patronat et le concours des dirigeants des syndicats F.O. et C.F.T.C., le gouvernement a multiplié ces derniers temps la création de diverses associations et comités, soi-disant philanthropiques, en réalité à caractère policier et paternaliste. L’objectif de ces associations ou comités vise à corrompre quelques-uns de ces travailleurs et, par leur intermédiaire, tenter de compromettre l’alliance de lutte avec les ouvriers français. Dans le même temps, ont été mis en place, dans de nombreuses usines et municipalités, des « conseillers sociaux », pour beaucoup anciens militaires ou fonctionnaires coloniaux, chargés en réalité de surveiller et espionner ces travailleurs.

Parallèlement, rien n’est négligé pour essayer de dresser la population française contre ces hommes. Des journaux comme le Parisien libéré, l’Aurore et Franc-Tireur se sont notamment spécialisés dans la « démonstration » que la plupart des crimes ou délits commis en France sont l’œuvre des Nord-Africains.

Les services du ministre de l’Intérieur – par l’intermédiaire de ses conseillers sociaux ou autres agents – mettant à profit les efforts des municipalités communistes en faveur de ces travailleurs, vont même jusqu’à pousser à leur concentration dans ces localités avec l’espoir que leur afflux permettra de créer des difficultés à ces municipalités, voire des incidents avec la population.

Aussi nous importe-t-il de montrer avant tout à ces travailleurs, par notre comportement et tous nos actes, qu’ils ont en notre Parti et en la classe ouvrière française des alliés fidèles et sûrs. Cela implique pour tous les communistes de grands efforts et une constante vigilance.

COMBATTRE LES PREJUGES COLONIALISTES ET RACISTES

Il s’agit en premier lieu de combattre les préjugés, les idées colonialistes et racistes que la propagande tenace et continue de l’ennemi a pu répandre jusques et y compris parfois dans nos propres rangs.

Il est un premier mensonge que nous devons combattre à boulets rouges car il masque tous les autres, et permet de camoufler la réalité coloniale algérienne. Pourquoi ces travailleurs viennent-ils si nombreux en France ? A cela, le gouvernement, la presse, la radio, les « spécialistes », leurs revues et leurs études, ne donnent qu’une seule et même réponse, qu’illustre très bien cette récente déclaration de Martinaud-Déplat :

« L’Algérie, en dehors de sa partie côtière, est un pays pauvre et, si sa richesse est limitée, sa population augmente au rythme de 250.000 habitants par an, dans ses trois départements.

» La conséquence de cette situation, c’est l’afflux de nos compatriotes algériens attirés dans la métropole, soit par l’appât du gain, soit par le goût de l’aventure, soit trompés par les marchands de voyages qui leur font des promesses jamais tenues. »

Il nous appartient de montrer quelle falsification de la vérité constitue une telle explication. S’il est exact que c’est la misère, jointe aux formes multiples d’oppression, qui contraignent les Algériens à s’expatrier, ce n’est pas parce que leur pays est un pays pauvre. L’Algérie, avec ses opulentes plaines à blé, à vigne et à primeurs ; avec ses mines de charbon, de fer, de phosphates est, au contraire, un pays riche et qui pourrait, par une exploitation rationnelle de ses grandes ressources, nourrir tous ses habitants.

Mais l’Algérie est une colonie. Ses terres les plus fertiles sont la propriété des gros colons et des sociétés. Ses minerais sans subir de traitement sur place – sont exportés directement vers l’étranger pour le plus grand profit des trusts métropolitains et internationaux.

Aux Algériens restent les terres arides et peu fertiles des hauts plateaux, et la perspective de la majorité d’entre eux est le chômage, ou, dans le meilleur des cas, pour certains, la situation d’ouvrier agricole à 300 francs par jour sur les terres des seigneurs de la colonisation.

Par conséquent, la raison essentielle de leur présence en France est la misère à laquelle les réduit le colonialisme qui règne sur leur pays. Il n’est pas exact d’expliquer essentiellement leur émigration toujours grandissante par l’action des rabatteurs leur promettant une situation enviable en France. Sans doute existe-t-il des rabatteurs exploitant leur misère, mais si celle-ci n’existait pas, leur action serait inefficace.

Une autre de nos préoccupations doit être de dénoncer et de lutter en commun pour les améliorer – les conditions de vie souvent terribles qui sont celles de ces travailleurs en France.

Ils sont astreints aux travaux les plus pénibles et logés dans des conditions effroyables. Ils subissent de continuelles brimades et sont frappés de multiples discriminations de caractère racial.

Malgré de réels efforts et des progrès, il est certain qu’il y a encore parfois chez nous bien des faiblesses dans la dénonciation d’un tel état de fait. Faiblesses qui se traduisent par une certaine accoutumance, tendant à admettre cette situation sans la combattre vigoureusement. Par exemple, dans bien des localités, ces travailleurs logent dans des conditions absolument inimaginables, et cependant il arrive que des organisations ou la presse du Parti ne réagissent pas avec suffisamment de vigueur pour dénoncer une telle situation et exiger du patronat ou des pouvoirs publics des solutions appropriées. N’existe-t-il pas également bien des usines où les travailleurs algériens subissent, soit dans les salaires, soit dans les conditions de travail, d’inadmissibles discriminations sans que nos cellules dénoncent celles-ci avec une suffisante fermeté ?

A Paris même, dans certains cafés des XXe et XIVe arrondissements, on refuse, avec la complicité de la police, de servir les Algériens. Nos organisations ont-elles toujours fait le maximum pour que cessent de telles pratiques et pour montrer que les travailleurs français ne sauraient accepter le système de ségrégation raciale en honneur outre-Atlantique ?

Enfin, face aux calomnies, aux mensonges répétés contre ces travailleurs, il nous appartient de montrer ce qu’ils sont effectivement dans leur immense majorité, des travailleurs honnêtes s’imposant d’immenses sacrifices pour envoyer chez eux le peu d’argent qui permettra à leur famille de ne pas mourir de faim ; des travailleurs animes d’un admirable esprit de solidarité entre eux et à l’égard de la classe ouvrière française aux mouvements revendicatifs de laquelle ils participent dans la plupart des cas avec une magnifique combativité.

Face à tous ceux qui essaient d’introduire dans notre peuple un esprit de supériorité ou de mépris à leur égard, il nous faut démontrer que s’il est exact que nombre d’entre eux sont illettrés après cent vingt ans « d’œuvre civilisatrice », c’est là matière à condamnation d’un régime qui, par ailleurs, leur interdit pratiquement l’étude de leur langue nationale.

Il nous appartient aussi d’avoir pleinement conscience que nous portons une responsabilité dans la situation qui est la leur, dans la mesure même où nous ne faisons pas tout pour la combattre.

Si nous voyons clairement les raisons véritables de leur présence en France, et ce qu’ils sont effectivement, nous comprendrons mieux que ces hommes sont avant tout animés d’une préoccupation essentielle et dominante : en finir avec le colonialisme, cause de tous leurs malheurs.

Comme prolétaires, hostiles à toute oppression et comme patriotes menant un dur combat pour la défense de l’indépendance de notre pays, nous pouvons comprendre que ces hommes fassent preuve d’une légitime susceptibilité à l’égard de tout ce qui paraît mettre en cause leur fierté nationale ; on ne saurait en effet oublier qu’ils sont soumis des leur enfance à la misère, à l’exploitation et aux multiples formes d’oppression, de vexations qui sont le lot des peuples colonisés.

C’est, dans une large mesure, en fonction de notre comportement et de celui de la classe ouvrière en général que ces travailleurs pourront plus aisément, plus complètement, saisir la différence fondamentale qui existe entre le peuple français et les colonialistes français qui les oppriment.

C’est, dans une large mesure, la qualité des contacts qu’ils auront avec les ouvriers français qui contribuera à leur faire abandonner toute étroitesse nationaliste et à les placer de façon conséquente sur les positions de l’internationalisme prolétarien, en leur faisant comprendre que la satisfaction de leurs aspirations nationales est intimement liée aux combats des travailleurs du monde entier et, en premier lieu, à l’alliance de lutte du prolétariat français et du peuple algérien.

DEFENDRE ET SOUTENIR LEURS REVENDICATIONS NATIONALES ET SOCIALES

Enfin, en excluant impitoyablement tout paternalisme, qui n’est en définitive qu’une forme pernicieuse de colonialisme, il nous faut défendre et soutenir résolument leurs revendications et aspirations.

En premier lieu, leurs revendications nationales, en n’oubliant jamais cet avertissement contenu dans la thèse adoptée par le XIIIe Congrès, qui nous rappelle que reculer « devant la proclamation du droit des peuples coloniaux et dépendants à la libre disposition, rompre ainsi avec l’internationalisme prolétarien, c’est tourner le dos au socialisme ».

En effet, il arrive parfois que des camarades qui reconnaissent et soutiennent le droit des peuples vietnamien, marocain ou tunisien à l’indépendance, acceptent encore la propagande officielle affirmant que « l’Algérie c’est la France et qu’elle constitue trois départements » et en arrivent à considérer les travailleurs algériens comme des compatriotes dont il faut défendre les « droits de Français comme nous ».

Défendre leurs revendications nationales sans réticences, cela signifie défendre celles-ci dans le cadre de toute notre action générale mais aussi considérer que si, à la suite de tel ou tel événement se déroulant dans leur pays, ces travailleurs désirent apporter leur propre contribution à la lutte de leur peuple, nous avons le devoir de les soutenir et de contribuer à leur apporter d’une façon efficace et réaliste l’aide maximum de la classe ouvrière française.

Si à juste raison, nous demandons à ces travailleurs leur contribution à tous les combats de notre peuple, combats qui sont aussi les leurs parce qu’ils ne peuvent qu’aider à la réalisation de leurs propres objectifs, par contre il arrive parfois que certains camarades hésitent à examiner l’aide qu’il nous est possible d’apporter à leur propre combat.

Ainsi, par exemple, lors de la lutte contre le complot pour la libération de nos camarades emprisonnés, grâce à notre travail de nombreux ouvriers algériens ont participé à l’action engagée. Aujourd’hui, des centaines de leurs compatriotes sont encore dans les prisons ou subissent sous d’autres formes la répression. Bien entendu la préoccupation des travailleurs algériens est d’en finir avec cette situation qui frappe les meilleurs fils de leur peuple. A juste titre, ils attendent de nous, à leur tour, une aide plus soutenue dans ce combat qui fait d’ailleurs partie de notre lutte pour arracher l’amnistie à l’égard de tous les emprisonnés coloniaux.

Avec leurs revendications de caractère national, ces travailleurs ont en France même de nombreuses revendications particulières de caractère social qu’il s’agit de défendre activement. Elles concernent notamment l’égalité de salaires, l’égalité d’allocations familiales, le droit aux indemnités de chômage, des réalisations effectives dans le domaine du logement et de la formation professionnelle. Ces revendications élaborées par les travailleurs algériens ne peuvent, pour être satisfaites, faire l’objet d’un combat isole de leur part. La condition de leur aboutissement est qu’elles s’insèrent dans l’ensemble des revendications de la classe ouvrière, qui sont aussi celles des travailleurs algériens, et qu’elles fassent l’objet de la bataille commune de tous les ouvriers. Sans aucun doute dans ce domaine aussi de réels progrès ont été réalisés. Les travailleurs algériens savent par expérience qu’ils trouvent en général dans les militants ouvriers des camarades qualifiés et dévoués pour les renseigner et les défendre face aux multiples tracasseries administratives ou patronales dont ils sont l’objet.

Une telle activité de défense individuelle à leur égard est certes utile et nécessaire, mais elle reste insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une action continue en faveur des revendications particulières qui sont communes à tous ces ouvriers. Or, il existe des régions où des communistes, militants du mouvement syndical, confiants dans la magnifique combativité des travailleurs algériens qui répondent toujours présents lorsqu’il est fait appel à eux au moment des grands combats ouvriers, négligent ensuite la défense permanente des revendications de ces ouvriers par l’ensemble des travailleurs.

Le soutien actif des ouvriers français aux revendications de ces travailleurs exige de notre part plus d’efforts d’explications. Par exemple, combien d’ouvriers français savent que le travailleur algérien qui travaille à leurs côtes dans une usine de la région parisienne, ne touche pour 4 enfants, au titre des allocations familiales, que 9.600 francs par mois, alors que l’ouvrier français placé dans les mêmes conditions perçoit 19.500 francs.

Il est certain que si ces scandaleuses discriminations étaient plus systématiquement popularisées, une plus grande protestation d’ensemble serait possible : les projets de loi sur l’égalité des allocations familiales élaborés par la C.G.T. et déposés depuis plusieurs années par le Groupe communiste à l’Assemblée nationale pourraient aboutir plus rapidement.

De la même façon, à l’échelle de telle ou telle usine, une campagne d’explications plus active des communistes permettrait souvent de faire cesser telle discrimination ou brimade dont sont victimes les travailleurs algériens.

Conformément à ses positions de principes, notre Parti soutient dans les pays coloniaux tous partis, mouvements, organisations, personnalités qui luttent effectivement contre le colonialisme, quel que soit par ailleurs leur contenu de classe, quelles que soient leurs conceptions différentes des nôtres sur un certain nombre de problèmes. La seule condition que nous mettons à ce soutien est que l’action de ces partis, mouvements, organisations, personnalités aille dans le sens général de notre lutte contre l’impérialisme.

Tenant compte de ces données et s’inspirant de cet enseignement déjà ancien de Maurice Thorez, suivant lequel :

« Chaque coup porté contre la bourgeoisie française par nos frères indochinois ou algériens est une aide directe à notre mouvement. En retour, chaque coup porté par nous à notre bourgeoisie est une aide directe aux esclaves qu’elle opprime dans « ses » colonies. Les prolétaires de la métropole et les peuples opprimés des colonies doivent s’appuyer mutuellement dans leurs luttes contre l’ennemi commun : c’est leur intérêt à tous. »

(Œuvres, Livre II, t. III, p. 74.)

notre Parti agit pour que se renforce l’alliance de lutte entre ces peuples et le nôtre.

NOTRE POLITIQUE D’UNITE D’ACTION AVEC LES TRAVAILLEURS ALGERIENS ET LEURS ORGANISATIONS

Pour les mêmes raisons, notre Parti s’est efforcé et s’efforce de pratiquer avec l’ensemble des travailleurs algériens en France et leurs organisations existant ici, tels l’U.D.M.A., le M.T.L.D., les Oulémas (1) une large et loyale politique d’unité d’action, politique basée sur l’existence de nombreux et réels intérêts communs.

C’est dans le cadre de cette politique que, depuis plusieurs années, notre Parti a eu l’occasion d’entretenir notamment avec l’un des partis nationalistes algériens organisés en France, le M.T.L.D., des rapports amicaux basés à la fois sur le respect de l’indépendance réciproque de nos partis et sur l’intérêt d’une lutte commune pour des objectifs communs.

Cette politique a été l’un des éléments qui ont permis de faire avancer l’union des travailleurs algériens et français. Dans bien des départements, grâce à la pratique de franches et loyales discussions, des difficultés, résultant d’incompréhensions réciproques ont pu être surmontées et, ainsi, la lutte commune a progressé.

Bien entendu cette juste politique ne pouvait et ne peut mettre en cause le droit pour notre Parti de donner son sentiment sur ce qu’il considère être les intérêts des travailleurs algériens et français.

Dans la dernière période, certaines positions prises par la direction actuelle du M.T.L.D., (2) notamment à l’occasion du 1e Mai et dans son journal, l’Algérie libre, sont contraires aux intérêts de la nécessaire alliance des travailleurs algériens et français, aux intérêts des travailleurs algériens eux-mêmes.

Ainsi, dans un récent numéro de l’Algérie libre, un article évoque la dernière crise française. Loin de se féliciter que l’action ardente et conjuguée des peuples colonisés et du peuple français ait déjà abouti à chasser du gouvernement les Laniel, Bidault, Martinaud-Déplat, l’Algérie libre parle de la « trahison » de tous les partis français, y compris le Parti communiste, et place le peuple français sur le même plan que les colonialistes. Il est bien évident qu’il est de notre devoir de dénoncer fermement de telles affirmations, non seulement comme grossièrement contraires à la vérité, mais aussi comme s’opposant aux intérêts bien compris du peuple algérien lui-même. Il y a longtemps que Staline nous a appris :

« Les intérêts du mouvement prolétarien dans les pays évolués et du mouvement de libération nationale aux colonies exigent que ces deux aspects du mouvement révolutionnaire s’unissent en un front commun de lutte contre l’ennemi commun, contre l’impérialisme.

» La victoire de la classe ouvrière dans les pays évolués et la libération des peuples opprimes du joug de l’impérialisme sont impossibles sans la formation et la consolidation d’un front révolutionnaire commun. »

(Questions du léninisme, T. Ier, p. 58.)

L’expérience de tous les peuples a déjà prouvé l’absolue vérité de cette affirmation.

Les derniers évènements survenus dans la vie politique française viennent encore confirmer l’efficacité de cette alliance du peuple français et des peuples vietnamien, tunisien, marocain, algérien, africain, malgache. Le problème posé est donc de renforcer encore plus solidement ce front commun afin d’obtenir de plus grands changements. Il est évident qu’une des conditions pour que ce front commun soit pleinement efficace est qu’il se situe dans le cadre d’une politique de défense de la paix et de lutte contre l’impérialisme dans son ensemble. Ainsi, par exemple, il y va actuellement de l’intérêt de tous ces peuples que la paix soit consolidée en Indochine, mais aussi que soit empêchée notamment la ratification de la C.E.D. En effet, la mise en place de cette dernière, en même temps qu’elle signifierait une aggravation de l’oppression subie par les peuples coloniaux, représenterait non seulement un succès important des revanchards allemands mais constituerait surtout une victoire des éléments dirigeants de l’impérialisme dans le monde, les fauteurs de guerre américains.

Le rédacteur de l’Algérie libre, loin de montrer à ses compatriotes que la voie à suivre pour aller plus loin et plus vite dans la réalisation de leurs aspirations est celle du renforcement de l’alliance avec le peuple de France, s’oriente dans une direction absolument contraire. Il ne peut que les désorienter puisque, estompant les premiers résultats de notre lutte commune, il aboutit à en cacher l’utilité.

Une telle orientation est grave. Si elle triomphait, elle aurait pour résultat de diviser travailleurs algériens et français, de les dresser les uns contre les autres, ce qui ne pourrait que favoriser nos ennemis communs.

Sans nul doute, les travailleurs algériens en France considéreront que ce n’est pas un tel article qui fera avancer la cause nationale algérienne. Ils connaissent par leur propre expérience la différence qui existe entre leurs frères de travail, les ouvriers français, et les patrons de combat qui les exploitent les uns et les autres ; ils ne confondent pas le Parti Communiste Français qui en toutes occasions a été et est à leurs côtés, et les autres partis. Ils considèrent comme toujours valable ce que déclarait, il y a un an, au lendemain du 14 Juillet, le M.T.L.D. lui-même :

« Le sacrifice des sept manifestants tombés place de la Nation, le sang mêlé du travailleur français et de six travailleurs algériens n’ont pas été consenti et versé en vain parce qu’ils sont un exemple et un enseignement. Le souvenir de nos sept frères tombés sous les balles de la police éclaire la voie que nous avons choisie : celle de la solidarité des démocrates de nos deux pays et de l’amitié de nos deux peuples. »

Les communistes, quant à eux, doivent être plus que jamais convaincus de l’absolue nécessité de leur alliance avec les travailleurs algériens. Ils doivent savoir qu’elle est une des conditions des succès immédiats et futurs de notre classe ouvrière et de notre peuple. En même temps qu’ils dénonceront fermement mais calmement tout ce qui peut nuire à cette alliance, ils redoubleront d’efforts dans le soutien des aspirations et revendications des ouvriers algériens, ils agiront pour que s’améliorent toujours les rapports fraternels avec ces travailleurs, pour que se consolide avec l’ensemble d’entre eux l’action commune.

Bien entendu, cette juste politique d’unité d’action avec les travailleurs algériens et leurs organisations ne nous interdit pas, bien au contraire, de nous adresser directement à ces travailleurs, d’accueillir et de recruter sur une base politique, notamment dans les entreprises, ceux d’entre eux qui sont d’accord avec l’action et les buts des communistes.

En effet, les Algériens membres de notre Parti ont un grand rôle à jouer, notamment celui d’aider à appliquer correctement notre politique à l’égard de leurs compatriotes.

Les organisations du Parti ont une grande responsabilité à leur égard.

Elles doivent notamment aider à leur formation politique en la réalisant dans des formes appropriées : la série de causeries éducatives que vient de réaliser la Fédération de Paris constitue un excellent exemple. Enfin, elles doivent veiller, conformément aux décisions du XIIIe Congrès sur les émigrés, à ce que les Algériens communistes – « dans leurs groupes de langue et sous la direction des organismes réguliers du Parti » – œuvrent à réaliser leur tâche :

« Unir les travailleurs de leur immigration respective, en vue de la défense de leurs droits, en liaison étroite avec la lutte du peuple de France. »

UNE TACHE DE TOUT LE PARTI

Cette politique de défense et d’union des travailleurs algériens ne peut être seulement l’affaire des camarades algériens membres du Parti ou de quelques « spécialistes » ; elle doit être l’affaire de tout le Parti, de toutes ses organisations, de tous ses militants.

Les élus de notre Parti, notamment ses maires, ses conseillers municipaux et généraux, ont dans de nombreuses régions des responsabilités particulières car, de par leurs fonctions, ils peuvent avoir un contact très large avec ces travailleurs, et leur comportement, s’il est exempt de tout paternalisme, peut largement aider le Parti.

De même, les communistes militant dans le mouvement syndical peuvent jouer un rôle considérable, en aidant à la clarification des problèmes posés par la présence de ces travailleurs, en se montrant les meilleurs dans la défense concrète de leurs revendications.

Enfin, dans le respect du programme et des buts des organisations démocratiques de masse, il revient également aux communistes militant dans ces organisations d’entraîner de larges couches populaires de notre pays à se préoccuper de ces travailleurs et de leurs revendications.

Ainsi il est sans doute possible aux femmes communistes d’amener bien des femmes de notre pays à protester et agir contre les scandales discriminatoires dont sont victimes ces travailleurs et notamment leurs femmes et leurs enfants en matière de lois sociales. Il en est de même pour les jeunes, (que nos gouvernants veulent utiliser par milliers comme force répressive contre les peuples d’Afrique du Nord) en ce qui concerne le sort tragique réservé en France même à des milliers de ces immigrés dont certains sont presque encore des enfants.

Il est donc bien évident que ce sont tous les communistes qui peuvent et doivent contribuer à la réalisation de cette tâche.

Dans ce combat, les communistes disposent d’une arme importante : l’Algérien en France, le journal mensuel édité par notre Parti à l’intention de ces travailleurs. En même temps qu’il constitue un témoignage concret de solidarité à leur égard, ce journal est un instrument efficace pour leur défense. De plus, il nous permet de leur faire connaître, sur l’ensemble des problèmes qui les intéressent, la position du Parti de la classe ouvrière française, la grandeur du communisme, la justesse de l’internationalisme prolétarien. Il représente en définitive un élément essentiel pour la réalisation de notre politique d’union. Certes cette arme est encore bien insuffisamment utilisée, notamment dans des fédérations comme le Nord, Seine-Sud, le Rhône, la Loire, la Meurthe-et-Moselle, qui comptent des milliers de travailleurs algériens et où la vente de l’Algérien en France est presque inexistante.

Cependant, l’expérience démontre qu’en faisant preuve d’esprit d’initiative et en employant les formes convenant à un tel travail, sa diffusion trouve bon accueil et pourrait ainsi être développée partout où se trouvent des travailleurs algériens.

Nul doute que si tous les communistes sont toujours plus pénétré de l’absolue nécessité de renforcer l’union de notre classe ouvrière et des travailleurs algériens, celle-ci marquera, au lendemain du XIIIe Congrès, de nouveaux progrès. Ces progrès rendront plus efficace l’action de la classe ouvrière française pour ses revendications, l’indépendance nationale et la paix, en même temps qu’ils faciliteront l’établissement de liens d’amitié toujours plus solides avec le peuple algérien, ils aideront à établir demain, sur la base d’une complète égalité, des rapports profitables à nos deux pays.

Georges THEVENIN


(1) M.T.L.D. : Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques.
U.D.M.A. : Union Démocratique du Manifeste Algérien.
Oulémas : Association culturelle de caractère religieux, luttant notamment contre l’ingérence de l’administration dans les affaires du culte musulman.

(2) Depuis qu’a été écrit cet article, une scission s’est produite au sein du
M.T.L.D. : deux organisations se réclament actuellement de ce mouvement. L’une, dirigée par Messali Hadj, a conservé la direction de « L’Algérie Libre » ; l’autre, dirigée par la majorité de l’ancien Comite central, a annoncé son intention de sortir un nouveau journal.

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