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Le partage de la Palestine

Article paru dans L’Internationaliste, organe de la Gauche communiste, 3e année, n° 14, 15 mai 1948, p. 3 ; suivi de « Trêve en Palestine », paru dans L’Internationaliste, n° 15, juillet 1948, p. 3

Plus on se rapproche du 15 mai et plus il apparait probable que le partage de la Palestine sera réalisé sans provoquer de conflit armé de grande envergure. L’intervention de l’ONU se limitera sans doute à l’instauration d’un organisme chargé d’opérer la coordination entre les Etats juif et arabe, et d’imposer les mesures médiatrices nécessaires au démarrage de la coexistence de ces deux Etats. Malgré leur rivalité d’ordre surtout économique, les impérialismes britannique et yankee désirent manifestement aboutir à la pacification du Proche-Orient, pacification indispensable à la préparation de la guerre contre leur ennemi commun, l’impérialisme russe, qui ne pourrait que profiter du trouble provoqué par une guerre entre Juifs et Arabes, dans une région dont l’importance stratégique et économique n’est plus à démontrer. Palestine, Liban, Syrie, Transjordanie, sont en effet les pays par où passent les pipe-line amenant sur la côte méditerranéenne le précieux pétrole de l’Irak et de l’Arabie. Du contrôle sur les raffineries et les ports libanais et palestiniens dépend le ravitaillement en combustible de toute flotte opérant en Méditerranée orientale, sur les rives de laquelle l’expansion russe ne saurait être tolérée. Il fallait donc trouver enfin une solution au conflit palestinien, et il faudra lui assurer, au besoin par la force, une certaine viabilité.


C’est sous cet angle qu’il faut essayer de comprendre les événements de Palestine. Tout le reste n’est que détails secondaires, manœuvres démagogiques destinées à apaiser les sentiments nationalistes arabes ou juifs, mesures dilatoires, compromis provisoires, etc … Il importe peu, d’ailleurs, d’essayer de démêler avec précision quels sont exactement les intérêts financiers et impérialistes qui s’opposent dans le Proche-Orient. Ce ne sont pas, en tout cas, les discours des diplomates de l’ONU qui nous éclaireront à ce sujet, pas même sans doute une étude approfondie des accords et désaccords entre les grands trusts pétroliers. L’essentiel est, comme nous l’avons dit, que le partage de la Palestine a pour but de mettre fin à une situation instable et dangereuse par ses conséquences possibles.

En fait, ce partage n’est qu’un pas vers une solution définitive. La lutte entre Arabes et Juifs pourra toujours rebondir ; la question juive n’est pas résolue, puisque l’Etat juif ne comprendra pas même 600.000 israélites alors que quelques millions vivent en Europe, dont seulement une infime partie pourra petit à petit rejoindre la terre promise ; enfin, le nationalisme arabe pose des problèmes qui débordent le cadre palestinien.


L’affaire palestinienne n’intéresse pas seulement les révolutionnaires par ses aspects impérialistes. Elle démontre aussi avec évidence la vanité et le danger de certains mots d’ordre tirés de l’arsenal léniniste, tels que : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le soutien des luttes pour l’indépendance nationale dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, etc … , bref tous les slogans liés à la lute anti-impérialiste.

Depuis la première guerre mondiale, l’expérience a prouvé que de tels mots d’ordre ne pouvaient qu’entraîner le prolétariat dans une politique de soumission à ses oppresseurs nationaux et le détourner de la lutte révolutionnaire pour ses objectifs de classe.

En Palestine, les efforts de quelques révolutionnaires sincèrement internationalistes, pour unir les travailleurs juifs et arabes dans une même lutte contre la bourgeoisie juive, les féodaux arabes, et leurs maîtres impérialistes, ont été annihilés par la marée montante du sionisme et du nationalisme arabe. La propagande de soutien des mouvements nationaux menée depuis tant d’années dans le prolétariat est en grande partie responsable de la pénétration des idées nationalistes chez les travailleurs et tous les exploités de Palestine comme d’ailleurs, et par conséquent de leur entrainement dans une lutte qui les éloigne de la voie révolutionnaire.

Il est inutile et dangereux de se nourrir d’illusions. La tâche des militants internationalistes prolétariens de Palestine est rude et de longue haleine, comme l’est d’ailleurs la nôtre, en face de l’enrégimentement des travailleurs dans les blocs russe et américain.


Trêve en Palestine

La paix est momentanément rétablie dans le Moyen-Orient. Malgré l’enchevêtrement d’intérêts, d’ambitions et d’idéologies qui font de cette région un point particulièrement explosif du monde capitaliste, il semble que les grands impérialismes n’aient pas pour l’instant intérêt à laisser se prolonger le jeu dangereux de la guerre judéo-arabe.

Ce qu’il y a de remarquable dans ce conflit, c’est non seulement la dépendance des forces indigènes vis-à-vis des grandes puissances, mais encore les changements de politique et les renversements d’alliance de celles-ci. Il n’y a pas si longtemps l’Angleterre favorisait l’immigration juive en Palestine sur laquelle elle s’appuyait pour lutter contre les Arabes alors que la Russie soutenait les mouvements nationalistes de ces derniers. A cette époque, le pro-sionisme anglais était pressenti comme un facteur de civilisation, comme l’importation de méthodes modernes de culture et de travail en face de « la féodalité » arabe. La Russie, par contre, au nom du sacro-saint droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, condamnait le sionisme comme une forme de la colonisation et soutenait le nationalisme arabe comme tous les mouvements « d’émancipation » coloniaux considérés comme progressifs. En réalité ces prétextes masquaient des intérêts impérialistes, l’Angleterre cherchant à consolider sa position dans ce carrefour de l’Empire (aboutissant en outre du pipe line irakien), pendant que la Russie tentait de créer des difficultés à la première, tout en poursuivant l’infiltration politico-économique déja commencée en Iran et en Irak.

Aujourd’hui, il s’est opéré un renversement : l’Angleterre semble appuyer assez fermement certains Etats arabes pendant que la Russie développe des sympathies actives au sein de l’émigration juive.

Cependant les rapports entre les impérialismes d’un côté et les Juifs et Arabes de l’autre ne sont pas stables, les influences sont mal délimitées, les partenaires peu sûrs ; il y a encore l’entrée en lice d’un nouveau champion : l’impérialisme américain dont les positions et les intérêts en Arabie séoudite sont déjà très importants. Il est normal que dans ces circonstances, les impérialismes ne s’engagent pas à fond et que, au point de vue militaire, il n’appuient pas sérieusement les armées en lutte. D’où la trêve actuelle. Simple passage de la lutte armée à la « guerre froide ».

Mais quel que soit le déroulement des évènements, une constatation s’impose : les forces qui s’affrontent n’existent et n’agissent que dans la mesure où les grands impérialismes le leur permettent ; quelle que soit l’idéologie dont elles se réclament (et il ne s’agit là que d’idéologies nationalistes) leur lutte se déroule dans le cadre des rivalités impérialistes et ne peut aboutir qu’à des solutions bourgeoises. Si la propagande arabe est foncièrement réactionnaire et religieuse le sionisme des dirigeants juifs n’en est pas moins répugnant dans son exploitation de la misère et du désespoir des immigrants qu’ils transforment en chair à canon des impérialismes. Ainsi la haine et les forces des victimes de l’extermination nazie ne se retournent pas contre la société capitaliste qui toléra, approuva et encouragea Hitler, mais sont déviées vers un nationalisme rétrograde et sans issue.

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