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Jean Senninger : Le problème palestinien et la question juive

Article de Jean Senninger alias Serge Ninn paru dans Le Libertaire, n° 129, 14 mai 1948, p. 1-2

LA phase purement palestinienne du conflit sanglant qui oppose Juifs et Arabes en Palestine est terminée. Elle se solde par l’échec retentissant et la mort du commandant des forces arabes de Palestine, Abdul Kader Husseini, cousin de l’ex-grand mufti, devant Jérusalem qu’il tentait d’encercler.

Les sionistes n’ont plus devant eux que les bandes de Fawzi bey Kaukji, spécialiste de la guérilla. Ils ont affirmé leur autorité sur le littoral en prenant d’assaut la ville judéo-arabe de Haïfa, le plus grand port palestinien. Ils ont renforcé leur protection dans le Néguev et en Haute-Galilée, épousant ainsi les frontières que l’O.N.U. avait accordées à l’Etat Palestinien, le 29 novembre dernier.

La défaite du grand mufti Haj Amin el Husseini, consacre celle des extrémistes arabes, candidats au pouvoir. En dehors des « frontières », les forces arabes, en proie à des problèmes locaux et à des dissensions, ne sont pas certaines de vaincre.

Les 30.000 hommes de l’armée irakienne peuvent difficilement abandonner la surveillance du Kurdistan. Les armées de Syrie et du Liban ainsi que l’armée égyptienne ont avant tout le souci de maintenir l’ordre dans leurs propres pays. Seuls des volontaires partent.

La seule force militaire sérieuse, susceptible de lutter contre les unités motorisées et l’appareil de combat des sionistes, est l’armée transjordanienne ou Légion arabe du roi hachémite Abdallah, entièrement équipée à l’européenne et commandée par l’Anglais Glubb Pacha, disciple du fameux colonel Lawrence. Et c’est ici que l’Angleterre parait mener le jeu occidental de stratégie préventive face à la Russie et dont les lignes se sont dessinées au Conseil de Sécurité, en janvier dernier, lors de l’annonce, par le sénateur Warren Austin, de l’abandon du plan de partage de la Palestine par les Etats-Unis.

Après avoir exploité la crainte des Arabes concernant l’expansion juive au Moyen-Orient, la politique « occidentale » utilise aujourd’hui les rivalités des différents Etats arabes.

Encourager et provoquer au besoin les visées du roi Abdallah sur la Palestine et les ports méditerranéens, permettre l’entrée légale de ses troupes dans la partie arabe du pays sous le couvert d’accords anglo-transjordaniens, c’est non seulement constituer une menace sur la Haganah, le groupe Stern et l’Irgun Zvai Leumi, mais c’est aussi faire pression sur les Etats arabes qui, plutôt que de voir se réaliser la « Grande Syrie » prônée par le souverain hachémite, préfèreront la mise en tutelle de la « Terre Sainte ».

La lutte contre l’immigration juive entreprise par le Haut Commandement anglais en Palestine avec l’approbation du gouvernement travailliste a eu pour résultat de dissiper bien des réticences. Le chantage transjordanien, comme en témoignent certaines déclarations de Farès el Khoury en Syrie, n’a fait que servir la politique britannique.

Toute cette affaire, dira J.-P. Sartre, pue …

« Objectivement tout se passe comme si on avait cherché à démontrer par l’absurde et le carnage que la présence des Anglais était nécessaire en Palestine. »

Nous sommes loin de la déclaration Balfour de novembre 1917 et du mandat accordé par la S.D.N. le 24 juillet 1922.

Le général Clayton assiste aux délibérations de la Ligue arabe. Bevin livre officiellement des armes aux pays arabes mais charge sa Constabulary de confisquer les armes se trouvant aux mains des Hébreux.

Le 22 février dernier, l’immeuble de la C.G.T. juive saute à Jérusalem. Des dépositions accablantes témoignent de la responsabilité britannique.

Du côté américain, les grands « pétroliers », qui ont consacré près d’un demi-milliard de dollars pour l’exploitation des pétroles du Moyen-Orient, ne sont pas inactifs. On peut dire qu’ils sont à l’origine de l’abandon du plan de partage. Le secrétaire à la guerre James Forrestal, leur porte-parole, les diplomates Charles-E. Bohlen, Loy Henderson, Georges Kenan, les secrétaire et sous-secrétaire d’Etat. Marshall et Lovett ne sont que les instruments fidèles à leur politique dans le monde arabe.

L’O.N.U. comme la S.D.N. n’a pu que faire la preuve de son incapacité. Sa faillite face à l’action conjuguée des deux « Grands » anglo-saxons le prouve.

Le 15 mai est la date à laquelle doit prendre fin le mandat britannique sur la Palestine. Nous ne nous étonnerons point si, à cette date, un nouveau mandat venait consacrer un fait accompli, la cause étant d’ores et déjà entendue.

Du côté sioniste, les aspirants à l’Etat juif ne sont pourtant pas sans reproches et bien que la question juive soit pour l’anarchisme un facteur d’inquiétude humaine, il n’est pas inutile de dire que ce sont les dirigeants juifs qui ont, par leur démagogie, le plus compromis la cause juive.

Le « Libertaire », dans son numéro du 1er avril, a suffisamment décrit les magnifiques réalisations des collectivités palestiniennes pour qu’il soit inutile de s’étendre davantage sur le travail des pionniers juifs. Mais on ne dira jamais assez que c’est sur le plan de la commune, telle que nous l’entendons, que ces efforts ont pu porter leurs fruits. C’est à l’échelle du village où Juifs et Arabes vivaient en parfaite intelligence que ces réalisations ont pu être accomplies, dans tous les domaines. Les Arabes qui bénéficiaient des services municipaux, des tracteurs, de la technique, de l’irrigation, des soins médicaux et des conseils de la communauté juive alors qu’aucune menace étatique ne pesait sur eux ont été heurtés dès l’annonce du Pouvoir juif que réclamaient sans cesse les politiciens. Il est incontestable que sans cette menace ils n’auraient pas été dupes de la propagande nationaliste menée par la Ligue arabe qui, sans eux, se serait trouvée réduite à de simples coups de gueule. Des massacres, semblables à celui de Deir Yassin, perpétrés par l’Irgoun n’ont fait que rendre plus justifiées leurs craintes.

La démagogie des dirigeants juifs a été plus criminelle encore quand elle s’est adressée au monde, mettant dans la balance le cas de 440.000 personnes déplacées, d’origine juive, qui attendent dans les camps de concentration allemands que vienne enfin la liberté. Alors que l’exiguïté du territoire palestinien offrait un obstacle insurmontable à une telle immigration, alors que la capacité d’absorption du pays ne permettrait de résorber cette multitude que sur une période de dix ans, d’après l’estimation des experts juifs.

Les richesses du pays sont immenses. Un projet de l’Américain Lowdermilk permettrait d’irriguer huit fois plus de terre qu’actuellement et d’électrifier tout le pays. La création d’une culture suffisante, l’extraction des potasses et du magnésium, l’établissement d’une industrie pouvaient, demain, non seulement faire de la Palestine un foyer capable de résoudre la question juive mais aussi d’en faire un centre culturel susceptible de rayonner dans la nuit du monde musulman.

Cela, les féodaux arabes, les dirigeants sionistes, les démagogues soviétiques, les pétroliers américains et les socialistes anglais ne l’ont pas voulu.

Serge NINN.

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