Article de Boualem Khalfa paru dans Liberté, 12e année, n° 593, 28 octobre 1954 ; suivi de « Rien ne nous fera dévier de notre but : réaliser l’union du peuple algérien »
Après la publication de la déclaration du Bureau politique du P.C.A. sur la scission du M.T.L.D.
DANS l’importante déclaration publiée par le Bureau politique de notre parti après la scission au sein du M.T.L.D, on pouvait lire à propos des positions politiques de la tendance du Comité central du M.T.L.D. :
« On ne peut passer sous silence le fait que cette tendance a des positions de conciliation avec les néo-colonialistes au sein des conseils municipaux ».
Répondant à cette déclaration, Abderrahmane Kiouane, après avoir affirmé son accord sur certaines appréciations de notre parti, écrit dans « La Nation Algérienne » :
« Nous aurions aimé que le P.C. soit plus précis en donnant des exemples à l’appui d’une affirmation aussi grave. »
Les précisions sont utiles. Surtout en pareil domaine, alors que le peuple algérien, dans sa lutte pour la liberté, doit faire constamment preuve de vigilance pour écarter de sa route les écueils que le colonialisme y sème. La politique de conciliation est l’un de ces écueils.
Notre appréciation sur les positions d’élus M.T.L.D. au sein des conseils municipaux n’est pas une affirmation gratuite. Elle a pour point de départ, alors que la scission au M.T.L.D. n’existait pas, le vote de nombre de conseillers municipaux M.T.L.D. (et U.D.M.A. aussi) en faveur de l’élection de certains maires ou adjoints foncièrement colonialistes.
On nous dira aussi : oui, mais certains des élus M.T.L.D. ont voté pour des maires colonialistes parce que ces derniers, rompant avec une politique d’obstruction systématique, ont fait des concessions en acceptant de donner aux élus du deuxième collège des postes d’adjoints et des responsabilités municipales.
C’est là précisément qu’intervient l’appréciation du compromis. Il n’est pas exclu en effet que des anticolonialistes réalisent un compromis avec les ennemis qu’ils combattent. Mais ils ne peuvent le faire qu’à la condition que ce compromis aille dans le sens des intérêts du peuple et ne porte pas atteinte aux principes de l’action révolutionnaire. Dans le cas contraire, il constitue un frein et doit être rejeté.
Nos députés ont, par exemple, voté pour Naegelen à l’élection de la présidence de la République française. Pourquoi ? Parce que Naegelen était le seul candidat qui s’était prononcé publiquement contre la C.E.D., danger qui menaçait gravement notre pays et la lutte libératrice de son peuple. Nos députés ont également voté pour l’investiture de Mendès-France, parce que ce dernier avait pris l’engagement public de réaliser la paix en Indochine. Ils ont voté contre lui lorsqu’il a posé la question de confiance sur les accords de Londres, nouvelle formule de la C.E.D.
Ces votes se sont faits sur une base politique et tenaient compte, non seulement des intérêts immédiats du peuple algérien, mais aussi de ses perspectives de libération.
Tel n’est pas le cas du vote de certains élus M.T.L.D. pour la désignation des maires. Ces derniers ne se sont engagés sur aucun point relatif aux intérêts vitaux – présents et à venir – du peuple. La promesse verbale, faite entre quatre murs, d’apporter quelques améliorations au sort des populations musulmanes n’est pas une raison suffisante pour leur accorder un suffrage, ce qui équivaut à leur faire confiance et à semer la confusion dans les masses à leur sujet.
De la concession politique que constitue le vote pour un maire colonialiste au vote d’un budget municipal non moins colonialiste, il n’y a qu’un pas. Et ce pas, certains élus municipaux M.T.L.D. l’ont franchi.
On nous dira aussi : oui, mais ce budget consacrait certaines réalisations au profit des masses musulmanes ; oui, mais nous en avons dénoncé les côtés colonialistes ; oui, mais nous n’avons pas voté les chapitres concernant la police, etc.
En réalité, ces restrictions ne changent pas grand chose au problème. Le budget municipal est adopté globalement ; le voter (même avec des réserves) c’est entériner tout ce qu’il contient d’injuste et de discriminatoire. C’est donc faire une concession politique à l’ennemi colonialiste qui se prévaut d’ailleurs de cette unanimité pour continuer la même politique.
De même, le peuple n’a pas été sans remarquer que les élus M.T.L.D. d’Alger, par exemple, évitent d’évoquer les problèmes politiques d’ensemble dans les assemblées municipales. Ils ne le font qu’accidentellement et de façon bien timide. Il semble même qu’ils écartent les sujets de friction avec les conseillers du 1er Collège. Ce qui a amené le quotidien colonialiste « Le Journal d’Alger » à écrire, le jour de la nomination de M. Jacques Chevallier comme secrétaire d’Etat :
« Les prestigieux maire d’Alger qui a changé en un an la face de la ville, en dissipant deux sujets d’angoisse, l’un social, l’autre politique : la crise du logement et LA DIVISION AU SEIN DU CONSEIL MUNICIPAL. »
Les élus M.T.L.D. d’Alger n’ont jamais, à notre connaissance du moins, relevé cette affirmation du « Journal d’Alger ». Ils ont donc laissé naître et se développer la confusion au sujet de leur politique conciliatrice. N’est-ce pas cette même politique qui les a amenés par exemple, par la voix de Abderrahmane Kiouane, à qualifier, devant le Conseil municipal d’Alger, la défaite des colonialistes à Dien Bien Phu de « malheureuse affaire » ? Malheureuse pour qui ? Pour le colonialisme bien sûr, car les patriotes algériens, eux, ont apprécié différemment la victoire du peuple vietnamien, sachant que cette victoire affaiblissait l’ennemi colonialiste commun aux deux peuples.
La position de principe du Comité central du M.T.L.D., rappelée encore récemment par « La Nation Algérienne », varie d’ailleurs selon que les élus du 1er Collège reconnaissent ou non « le bien-fondé des revendications de la population musulmane ». Dans le premier cas les élus M.T.LD. feront une « politique de réalisations », dans l’autre ils devront « mener une politique vigoureuse contre le 1er Collège ». Il est de plus précisé que tous les élus M.T.L.D. « ne doivent pas s’écarter de la ligne politique du parti ni du caractère révolutionnaire du parti ».
Si nous comprenons bien, le Comité central du M.T.L.D. distingue entre le néo-colonialisme et le colonialisme traditionnel et adopte une attitude différente selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre. Et, dans les faits, cela a abouti comme nous l’avons montré plus haut à des positions conciliatrices de la part d’élus M.T.L.D.
En réalité, les élus du peuple doivent partout et toujours chercher à obtenir des réalisations pour les masses populaires, qu’ils aient affaire à des colonialistes bornés ou à des colonialistes plus éclairés. Cependant ils doivent le faire, non en pratiquant, même avec des nuances, une politique de concessions dosées, mais par leur propre action politique, en dénonçant les causes de la détresse du peuple, c’est-à-dire le régime colonial, et en organisant la lutte des masses populaires.
Car si les néo-colonialistes reconnaissent aujourd’hui, bien timidement d’ailleurs, le bien-fondé de certaines revendications économiques de la population musulmane, ils y sont contraints par la lutte populaire. Ils cèdent quelque chose pour ne pas avoir à perdre l’essentiel. Leur dessein : émousser par quelques réalisations sociales la vigilance du peuple, encourager l’attentisme, désarmer les masses.
Dans le même temps qu’il jette quelques miettes aux populations musulmanes d’Alger, Jacques Chevallier multiplie les déclarations sur « l’Algérie française » et s’oppose même à la parité de membres entre les élus des 1er et 2e collèges des conseils municipaux.
Nos élus ont toujours tenu compte de ces considérations. Quelques-uns (très rares) qui s’en étaient écartés, comme à Mostaganem ou à Constantine, ont reçu de sévères critiques de la part de notre parti. Et c’est en raison même de la gravité du danger que constitue la collaboration avec le néo-colonialisme que nous revenons aujourd’hui sur ce sujet. Avec le souci d’éduquer notre peuple d’aiguiser sa vigilance, de lui montrer la voie, la seule juste, dans son combat libérateur : l’action unie sur le sol national, qu’il s’agisse de la plus petite revendication des masses ou de leur objectif suprême, la libération nationale.
C’est pourquoi aussi, dans la déclaration du Bureau politique de notre parti sur la scission du M.T.L.D., nous avons appelé les patriotes algériens à venir renforcer les rangs de notre parti. Abderrahmane Kiouane nous le reproche dans son article. Mais nous estimons, nous, que ce n’est pas seulement un droit, mais un DEVOIR pour notre parti que de faire appel aux adhésions.
D’autant que, et nous l’avons montré, la crise au sein du M.T.L.D. est l’aboutissement de l’échec de certaines positions politiques des formations nationalistes. Notre parti – et c’est avec fierté et sans fausse modestie que nous le proclamons – a pendant des années montré la voie juste au peuple algérien. N’est-ce pas pour nous une tâche patriotique que de le renforcer, de lui donner les moyens de poursuivre et de mener au succès final un combat qu’il livre sans défaillance ?
Par Boualem KHALFA
A propos d’un article de « L’Algérie libre »
Rien ne nous fera dévier de notre but : réaliser l’union du peuple algérien
SOUS la signature de Salah Eddine, le dernier numéro de « L’Algérie Libre » consacre un long article à notre Parti communiste algérien et à son organe central « Liberté ». Sous couvert de répondre à des critiques que nous avons apportées à certaines positions des dirigeants de la tendance Messali-Mézerna du M.T.L.D. « L’Algérie Libre », se livre à une violente diatribe contre notre parti et ne craint pas de recourir aux injures et aux calomnies.
Le but de cet article est clair. Il marque la volonté des dirigeants M.T.L.D. de la tendance messaliste de décourager les efforts du Parti communiste algérien pour l’union du peuple algérien. Il tente de dresser une barrière entre les militants de base pour éviter tout rapprochement, toute action commune qui renforce le courant d’union qui anime le peuple algérien.
Mais nous sommes trop conscients de nos devoirs et de nos responsabilités à l’égard de notre peuple pour suivre les dirigeants messalistes sur le terrain de la division entre frères d’un même combat. Notre ligne de conduite en la matière est connue et nous y demeurerons fidèles :
1) Notre parti veut réaliser l’union avec tous les partis, organisations et personnalités qui luttent effectivement contre le colonialisme, car l’union sans exclusive est une condition décisive de la victoire de notre peuple.
2) Il conserve sa liberté de critiquer toutes les positions quels qu’en soient les auteurs qu’il juge non conformes aux intérêts du peuple algériens et de la lutte anti-impérialiste. Sans considération de personnes ni de parti il soutient toutes les positions progressistes qui servent le peuple.
(Déclaration du Bureau politique du 28 septembre 1954).
C’est pourquoi nos militants multiplient partout, comme par le passé, les contacts fraternels avec tous les patriotes pour la défense des revendications et des aspirations des masses populaires.
« LIBERTE ».