Article de Pierre Stibbe paru dans Le Libérateur, n° 21, 24 octobre 1954, p. 1 et 4
« En Tunisie, le problème est politique ; au Maroc, il est racial ; en Algérie, il est économique. »
Cette phrase laconique de M. François Mitterrand résonne comme un aphorisme de M. Bidault.
Elle résume, au demeurant, les contradictions de la politique coloniale du gouvernement : on signe la paix au Viêt-Nam parce que la victoire militaire y est devenue impensable, à moins de déclencher un cataclysme mondial, mais au lendemain de Genève, on signe le pacte du Sud-Est asiatique et on se refuse à envisager sérieusement les possibilités de l’étroite et fructueuse opération entre la République démocratique du Viêt-Nam et la France, malgré les propositions renouvelées d’Ho Chi Minh : Genève ouvrait la perspective d’un nouveau rayonnement pacifique français en Extrême-Orient ; au lieu de s’engager hardiment dans la voie de l’entente avec les forces nouvelles de l’Asie, la politique menée actuellement par M. Guy La Chambre, se contente de soutenir le régime agonisant de Saigon, de plus en plus soumis à l’influence américaine.
A Madagascar, M. Duveau promet, certes, une amnistie « large et généreuse », mais le projet gouvernemental exclut du bénéfice de cette amnistie les ex-parlementaires malgaches qui continuent à jouir de la confiance de tous leurs concitoyens. Après sept ans et demi d’une cruelle détention, leur libération avait été escomptée pour le 14 juillet, puis pour le 15 août. Or, les mesures de « large clémence » annoncées de toute part n’ont consisté qu’en une commutation à vingt ans de détention.
AMNISTIE Malgré un gouvernement plus libéral, les détenus politiques de Madagascar, de Tunisie et du Maroc ne sont toujours pas libérés. Agissons pour que ces hommes soient amnistiés. Les collaborateurs le sont depuis longtemps. |
En Afrique du Nord, après le spectaculaire et combien prometteur voyage de Mendès-France à Tunis, au moment où la vie dans la Régence devenait intenable, on assiste à un recul brutal marqué en Tunisie même par l’intrusion du Résident dans la formation du gouvernement tunisien, mesure nettement incompatible avec l’autonomie interne, puis par la reprise d’une action militaire contre les fellaghas.
Au Maroc, refus brutal de régler la question dynastique. Or, le coup de force perpétré par Bidault et le général Guillaume en août 1943 a heurté si profondément le patriotisme et le sentiment religieux de l’ensemble du peuple marocain qu’aucune solution n’est possible avant que n’en soient liquidées les séquelles. Même la libération des militants arrêtés en décembre 1952 et le non-lieu qui marque la reconnaissance officielle de leur innocence, s’avèrent aujourd’hui insuffisante à provoquer la détente, alors qu’intervenus quatorze mois plus tôt, ils eurent permis l’ouverture des négociations.
En Algérie, refus de libérer les détenus politiques et de mettre fin à l’exil de Messali Hadj ; aucune vue d’ensemble sur le problème algérien qui est politique au même chef que les problèmes tunisien et marocain. Veut-on attendre qu’il y ait aussi des fellaghas en Algérie pour comprendre que les tremblements de terre ne sont pas la seule cause de détresse du peuple algérien ?
Les heureux débuts du gouvernement Mendès-France laissaient espérer une orientation fondamentalement nouvelle de la politique coloniale. Certes, on ne pouvait pas attendre d’un gouvernement appuyé sur le parti radical et l’ex-R.P.F., où siègent MM. Jacques Chevallier et Christian Fouchet, qu’il fasse une politique anti-colonialiste, mais la « bourgeoisie intelligente au pouvoir » se devait au moins d’avoir une politique réaliste et conséquente en ce domaine. On ne peut plus même qualifier ainsi les derniers actes du gouvernement.
Par Pierre STIBBE.