Editorial paru dans El Jarida, n° 15, novembre-décembre 1974, p. 2
20 ans se sont écoulés depuis le jour où le peuple algérien s’est engagé dans la lutte armée. Plus de 12 ans ont passé depuis que l’Algérie est devenue officiellement maîtresse de son destin.
Pourtant, ceux qui ont donné le plus pour l’indépendance n’ont vu aucune amélioration de leur situation, bien au contraire.
LES PAYSANS, victimes d’une politique criminelle réduisant les campagnes à la misère et à la désolation, sont contraints de quitter en masse leurs douars et leurs villages pour aller grossir le flot des sans-travail, candidats à l’émigration, qui s’entassent dans les BIDONVILLES. La soi-disant Révolution Agraire, bien loin de résoudre leurs problèmes, accentue au contraire sur eux la ponction des bureaucrates d’Alger et des notables locaux.
LES CHOMEURS, dont le nombre s’accroit démesurément. Pour eux, le pouvoir ne tient pas ce qu’il promet : mis à-part quelques travaux temporaires misérablement payés, le moindre emploi est l’objet de la convoitise de milliers de candidats et c’est finalement le « piston » omniprésent dans notre société, qui décide.
LES TRAVAILLEURS qui ont eu la chance de trouver un emploi, ne sont pas au bout de leurs peines. Bas salaires payés avec retard, conditions de travail désastreuses, transports insuffisants et éreintants, absence de logements (à Annaba, des ouvriers de la fonderie dorment dans les hammams) finissent par avoir raison de leur santé et de leur moral. Les luttes syndicales sont durement réprimées et les chefs dans l’entreprise se conduisent comme des seigneurs féodaux.
LES EMIGRES, vaches à lait de l’Algérie, oubliés de la politique du pouvoir, et de plus mal aimés des autorités comme en témoigne l’hostilité manifestée à leur égard dans les consulats et les ambassades, et au pays même par les gendarmes, douaniers et divers bureaucrates. Depuis l’indépendance, les technocrates n’ont rien produit d’autre pour eux que le mirage de la réinsertion repoussée « d’horizon 80 » en « horizon 90 ».
LES JEUNES, force vive de notre peuple dont ils forment la grande majorité, sont abandonnés à la rue, au désœuvrement, à la délinquance et à la destruction pure et simple. Les déclarations démagogiques sur la scolarisation et la formation professionnelle ne peuvent cacher cette évidence : le sacrifice des générations futures au appétits sordides et à la soif de pouvoir des dirigeants actuels.
Le bilan est catastrophique, mais pour être complet, il faudrait y ajouter les pénuries et la hausse du coût de la vie, cauchemar quotidien des masses populaires, sans oublier la SANTE dont chaque Algérien du peuple est victime dans sa propre chair parce qu’il n’a pas les moyens d’aller se soigner à l’étranger.
Faut-il mentionner encore le caractère dictatorial, autoritaire et répressif d’un régime qui ne reconnaît même pas au peuple le peu de liberté que le régime colonial était obligé de tolérer (souvenons-nous par exemple que le mouvement nationaliste publiait des journaux et organisait des réunions populaires).
Une politique extérieure menée à grand renfort de publicité en soudoyant des journalistes véreux ne peut masquer cette faillite et redorer le blason d’un pouvoir discrédité par l’absence de sens moral, la recherche de la jouissance et du luxe, la débauche et les mœurs dégradées de la plupart de ses membres (comme en témoignent les rumeurs insistantes qui courent au pays et même à l’étranger).
La situation est claire : les masses algériennes ont obtenu l’indépendance mais elles n’en ont pas fini avec le système de l’exploitation, ni avec l’oppression. Chaque jour, des Algériens, toujours plus nombreux comprennent que, s’ils veulent vivre, ils doivent se battre. Le combat commencé le 1er novembre 1954 ne s’achève pas en juillet 1962. Avec l’indépendance, il est entré dans une nouvelle phase : celle de la lutte des classes exploitées du peuple contre leurs exploiteurs algériens et étrangers. Le P.R.S. a choisi cette voie lorsque le 20 septembre 1962, il se prononçait pour la construction d’un parti d’avant-garde des travailleurs algériens.
Pour la construction de ce parti, le P.R.S. considère que, chacun là où il se trouve, organisé ou non, peut et doit faire quelque chose.
Il n’y a pas de petites tâches : diffuser des idées, expliquer un texte, combattre une injustice, dénoncer la démagogie, avancer une revendication, faire prendre conscience à quelqu’un de ses droits, dénoncer le régionalisme pour unir les travailleurs des différentes régions de notre pays, sont autant de tâches révolutionnaires auxquelles il faut se consacrer sans attendre d’être contacté.
C’est seulement en s’engageant dans cette voie que les travailleurs algériens feront revivre l’esprit du 1er Novembre 1954, qui est avant tout sacrifice et détermination pour la constitution d’une société d’où seront bannis l’exploitation, l’injustice, l’arbitraire et la répression.
1er novembre 1974