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La commémoration de l’insurrection algérienne

Dossier paru dans Lutte ouvrière, n° 856, 27 octobre 1984, p. 10-11 ; suivi d’un éditorial d’Arlette Laguiller, « Les assassins reviennent toujours sur les lieux de leur crime », paru dans Lutte ouvrière, n° 857, 3 novembre 1984, p. 3

Le 1er novembre 1954 débutait la guerre d’Algérie

Le 1er novembre 1954, à 1 h. 15 du matin, une nuit d’attentats commençait en Algérie. Pratiquement partout sur le territoire algérien, des fusillades, des explosions prenaient pour cible les symboles de la présence française : casernes, résidences des gouverneurs, entrepôts de colons, etc. A Alger, à l’usine à gaz, plusieurs bombes de fabrication artisanale éclataient. Simultanément, les cuves de pétrole des installations Mory étaient touchées par des explosions. A Batna, des soldats français étaient abattus. A T’Kout, dans les Aurès, les gendarmes étaient assaillis par des Algériens en armes et se barricadaient dans leur gendarmerie.

Les dégâts furent limités. Les bombes, souvent de trop faible puissance, endommagèrent peu leurs objectifs. Mais l’impérialisme français en Algérie était pourtant bel et bien atteint.

L’Algérie de 1954, c’était d’abord celle des gros colons français, vivant de l’exploitation d’une masse de travailleurs algériens, sous la bénédiction des autorités françaises. Quelques hommes y possédaient la plus grande partie des terres, les sociétés de commerce, les entreprises, les journaux.

Borgeaud en était un exemple. Par ses sociétés transitaient 160 000 hectolitres de vin par an, la quasi-totalité des exportations. Il avait 6 000 employés, 1 000 hectares de vignes, les cigarettes Bastos. Il était administrateur du Crédit Foncier d’Algérie, des Moulins du Chélif, des Cargos Algériens, de la Nord-Africaine des Ciments Lafarge, de la Distillerie d’Algérie. Il possédait L’Echo d’Alger et La Dépêche de Constantine.

La population algérienne, elle, restait cantonnée dans la misère : salaires de famine, des ouvriers payés un franc par jour, sous-alimentation, pas de scolarisation pour la majorité des musulmans, et aucun droit politique.

Du côté algérien, il n’y eut, le 1er novembre 1954, que 800 combattants, armés seulement de 400 fusils, pour commencer la rébellion contre l’impérialisme français. Mais leur force n’était pas dans leur nombre. Elle était dans la colère que des décennies d’oppression coloniale avaient accumulée dans la population algérienne. Et c’est elle, renforcée par la répression aveugle, qui conduisit tout un peuple à se sentir solidaire de leur combat.

Nelly MEYER


Des attentats contre le colonialisme français… mais pas seulement

Le 1er novembre 1954 marque le début de la guerre d’Algérie. Mais pas seulement. Ce jour-là fut aussi la première pierre de ce qui devint par la suite l’Etat algérien actuel.

La vague d’attentats qui déferla sur tout le territoire algérien, au même instant, à la minute près, n’avait pas pour seul but de manifester l’existence de quelques centaines de combattants nationalistes face au colonialisme français, existence déjà maintes fois affirmée et confirmée dans le passé. Elle était aussi le signe que des hommes avaient fait le choix de construire une organisation indépendante du contrôle des masses populaires et susceptible de former le futur appareil de l’Etat algérien.

Fait significatif : le déclenchement du 1er novembre fut décidé à la suite d’une crise interne au mouvement nationaliste, indépendamment de toutes autres considérations, et surtout de toute participation consciente, active, du peuple algérien lui-même.

En 1954, le mouvement nationaliste était représenté essentiellement par deux mouvements : l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) de Ferhat Abbas, qui rassemblait les notables partisans d’une Algérie autonome dans le cadre d’une fédération française, et le PPA-MTLD (Mouvement pour le triomphe de libertés démocratiques) de Messali Hadj, plus radical et aux assises populaires beaucoup plus larges. C’est au sein de ce dernier qu’à mûri la crise qui devait aboutir au déclenchement de l’insurrection.

Après l’échec de l’insurrection du 1er mai 1945 à Sétif, que le PPA avait dirigée et dont la répression avait fait 45 000 morts, le PPA-MTLD avait opté pour une politique sur trois fronts. Une action légale, sous le sigle MTLD ; une autre, clandestine, sous celui de PPA ; et une préparation militaire en vue de futures actions armées, au sein d’une organisation spéciale, l’OS. Les difficultés de mener l’action légale, la répression policière, les échecs électoraux accentuèrent les conflits de personnes et entraînèrent une grave crise au sein du PPA-MTLD. Les membres de l’OS, de par leur préparation et leur formation, étaient plus enclins à brûler les étapes et plus encore décidés à ne pas tenir compte de l’avis de la population algérienne, de son niveau de conscience, de sa préparation ou non à la lutte.

Réunis en juin 1954, ils décidèrent de passer aux actes rapidement. Il fallait prendre les devants par rapport aux autres tendances du mouvement qui se préparaient de leur côté, s’affirmer les seuls interlocuteurs du pouvoir colonial, et créer par là-même une situation irréversible à partir de laquelle chaque Algérien aurait à se déterminer, pour ou contre, quoi qu’il en pense.

En fait, le déclenchement de la guerre ne visait pas le seul impérialisme français. Il était aussi le début d’une guerre entre fractions rivales aspirant à devenir les gouvernants de l’Algérie future.

L’appareil d’Etat actuel peut à juste titre choisir le 1er novembre comme fête nationale. C’est bien ce jour qu’il s’est défini.

Alain MARQUET


Le chef de la répression : François Mitterrand

En novembre 1954, François Mitterrand occupait les fonctions de ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Mendès-France.

Dès le lendemain de l’insurrection, il envoyait le colonel Ducournau sur place avec les conseils suivants : « C’est dans l’Aurès que semble se trouver le foyer le plus dur. Ducournau, je vous connais, allez là-bas. Et balayez-moi ça ».

Dès le 5 novembre, répondant aux offres de négociations qui se trouvaient dans le manifeste distribue en même temps que les attentats, François Mitterrand déclarait devant la Commission de l’Intérieur : « la seule négociation, c’est la guerre ». Et deux jours plus tard : « L’Algérie, c’est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne ».

De son côté, le président du Conseil, Mendès-France déclarait : « Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation et l’intégrité de la République ( … ) Entre l’Algérie et la métropole, il n’y a pas de sécession concevable. Cela doit être clair pour tout le monde ». A quoi François Mitterrand ajoutait : « Des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation, un seul Parlement ».

Mais Mendès-France et son ministre ne s’en tenaient pas à de simples déclarations. La nuit même de la fameuse Toussaint 1954, la répression se déclencha. L’état de siège fut proclamé dans plusieurs régions, des vagues d’arrestations furent menées, les interrogatoires, les tortures commencèrent. Le 5 novembre, le Conseil des ministres prononçait la dissolution du MTLD, couvrait les arrestations illégales auxquelles avaient déjà procédé la police, et autorisait l’arrestation d’autres centaines de militants, tant en France qu’en Algérie (2 000 à la fin de l’année), militants qui pour la plupart ignoraient voire désapprouvaient l’insurrection.

Le gouvernement en- voyait au général Cherrière d’importants renforts, avec pour mission de ratisser systématiquement les villages. L’aviation intervint et bombarda d’innocentes mechtas habitées par des gens totalement étrangers au soulèvement.

Alain LEMOINE


Cheysson, le dernier gaulliste ?

L’annonce du voyage de Cheysson, ministre des Relations extérieures, aux cérémonies anniversaires de la révolution algérienne le 1er novembre 1954, la fête nationale algérienne depuis l’indépendance, a suscité une levée de boucliers dans les rangs de la droite. François Léotard, secrétaire général du PR, est monté le premier en lice : « Cette décision est inacceptable, non seulement pour le million de Français fichus dehors d’Algérie, mais pour l’ensemble de ce que représente pour nous une certaine dignité de la France ». Et il a qualifié ce voyage de « forfaiture ».

Le RPR a été dans les premiers jours plus discret et le député gaulliste Georges Gorse, lui, président de l’association France-Algérie, avait l’intention d’accompagner Cheysson à Alger … dans un premier temps. Puis il s’est rétracté. Il est rentré dans le rang et lui aussi a haussé le ton. Le RPR ne veut sans doute pas laisser le monopole de la critique au PR, en déclarant « indécent et scandaleux de fêter l’assassinat de Français ». Finalement, Georges Gorse ne se rendra pas à Alger.

L’opposition a trouvé un nouveau canasson à enfourcher contre le gouvernement avec l’espoir de rallier tous ceux qui n’ont pas encore digéré la victoire du FLN sur l’armée française … Et ils sont nombreux en France !

Mais la pose outragée de la droite – de toute la droite – est une comédie hypocrite : sous le septennat de Giscard, tous les ans, un message de félicitations du président de la République française était envoyé au président algérien à l’occasion du 1er novembre. En 1979, Georges Gorse était allé représenter officiellement la France ! Il ne s’était alors trouvé personne pour s’en indigner !


Les assassins reviennent toujours sur les lieux de leur crime

Ces pauvres socialistes n’ont vraiment pas de chance. Décidément, ils ont beau essayer de gouverner comme la droite, avoir l’aspect de la droite, les goûts de la droite, les gens de droite ne les reconnaissent pas comme les leurs et ne leur pardonnent pas de ne pas se dire de droite.

Quoi qu’ils fassent pour montrer qu’ils méprisent leur propre électorat, qu’ils n’hésitent ni à lui mentir ni à le tromper, les hommes politiques de droite ne leur passent rien.

Nos socialistes sont comme des parvenus qui veulent être reçus dans la haute société et, ils ont beau dire et beau faire, ils se voient toujours moqués à cause d’une règle d’étiquette dont ils n’avaient pas connaissance.

Avec la participation de Cheysson à la commémoration, à Alger, du 1er novembre 1954, c’est un tel avatar qu’ils sont en train de vivre, un de plus.

Oh, ils se croyaient a l’abri. N’est-ce pas Mitterrand, tout de même, à l’époque, qui avait commencé et dirigé la guerre et la répression en Algérie ? Et n’est-ce pas De Gaulle, dont se réclame toute la droite, qui avait proposé la paix des braves au FLN, signé les accords d’Evian et mis fin à un siècle de présence française en Algérie ?

Depuis, d’ailleurs, nombre d’hommes politiques et de diplomates gaullistes, giscardiens, avaient plus ou moins participé aux commémorations antérieures.

Eh bien, non ! La bonne foi candide ne suffit pas. Et voilà toute la droite de crier, de tempêter, de taper du pied, avec une indignation d’autant plus véhémente qu’elle est artificielle, pour protester contre la présence de Cheysson à Alger, à ce qui n’est pourtant, comme notre 14 juillet ou notre 11 novembre, qu’un énième enterrement des espoirs populaires, sous les flonflons et les discours.

Parce que, si certains devraient se trouver choqués de la présence de Cheysson, ministre de Mitterrand, à Alger, au moment des cérémonies marquant le début de l’insurrection algérienne, ce seraient bien les combattants du FLN eux-mêmes, et le peuple algérien tout entier.

De réconciliation entre un peuple opprimé et les chefs des tueurs colonialistes, il n’est pas possible qu’il y en ait. Entre les peuples, oui, mais pas avec ceux qui commandaient la répression, qui décidaient. Ce n’est pas possible.

Et cette cérémonie du 1er novembre à Alger, avec participation du représentant de Mitterrand, est bien le signe que le régime qui est actuellement en place de l’autre côté de la Méditerranée ne représente, lui aussi, qu’une minorité de parvenus et de privilégiés, puisqu’il accepte qu’une telle comédie soit possible.

Heureusement que les réactions de la droite, ses propos, sa hargne sont là pour rappeler au peuple algérien, s’il l’avait oublié, que les oppresseurs, eux, ne pardonnent jamais, n’oublient jamais.

Dans ce monde dominé par l’impérialisme, aucune lutte se fixant comme limites des frontières nationales, se donnant comme seul but de rendre un pays indépendant, ou de changer ses structures politiques, ne peut suffire à faire que les hommes puissent enfin connaître des régimes sans oppression.

C’est pourquoi, pour les travailleurs du monde entier, tout ce qui est fête nationale, même lorsqu’elle prétend célébrer une révolution, n’est finalement que division et dérision.

Arlette LAGUILLER.

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