Entretien de Maxime Rodinson avec Robert Barrat paru dans Etudes méditerranéennes, automne 1961, p. 141-150
Maxime Rodinson, professeur à l’Ecole des Langues Orientales, linguiste et sociologue réputé, vient de publier une biographie de Mahomet aux éditions du Club français du Livre. Cette histoire est d’autant plus intéressante que l’auteur, de formation marxiste, a appliqué à cette étude la méthode du matérialisme dialectique. Pour rendre compte de cet important ouvrage, Robert Barrat a préféré, à la critique traditionnelle, rapporter un entretien avec l’auteur.
Q. – Vous venez de publier un ouvrage sur la vie de Mahomet. Y a-t-il eu des événements ou des découvertes scientifiques qui justifient la rédaction d’un nouveau livre sur le Prophète ?
R. – Non, il n’y a pas eu de découverte nouvelle et il est peu probable qu’il y en ait. Mais c’est le point de vue des historiens qui, changeant avec l’époque et avec le progrès des idées, permet de faire progresser les études historiques : dans la masse des faits on en trouve qui apparaissent soudain plus saillants et significatifs. Prenez par exemple les études sur la Révolution française. Dès 1830, il était possible de bâtir une théorie économique de la Révolution de 1789 : les historiens disposaient d’un nombre de faits assez importants mais personne, à cette époque, ne cherchait à mettre en relief les faits connus sur la vie économique, les rapports des classes sociales, etc …
S’agissant de Mahomet, le livre du Révérend Montgomery Watt avait ouvert la voie. Les faits décrits n’étaient pas nouveaux, bien que certaines sources eussent été étudiées par lui comme on ne l’avait pas fait auparavant Mais l’auteur a posé des problèmes que n’avaient pas soulevés ses devanciers : principalement celui des conditions sociales qui avaient amené le premier message de Mahomet à être bien accueilli par le peuple mekkois. Dans le cadre d’un livre qui n’est que de vulgarisation, et par conséquent, d’une façon beaucoup plus discrète, j’ai voulu continuer dans cette voie en introduisant une idée qui m’est chère – depuis peu de temps d’ailleurs – à savoir qu’il existe une dynamique propre des systèmes idéologiques, dans le cadre de la causalité sociale générale des phénomènes historiques.
Q. – Qu’entendez-vous par là ?
R. – Eh bien je suis toujours attaché à certaines idées fondamentales de Marx, bien qu’elles me paraissent avoir été assez mal exprimées. En particulier à cette notion de matérialisme historique que je définirais personnellement de la façon suivante : le moteur essentiel de l’histoire a jusqu’à présent été la lutte entre les couches sociales (et aussi entre les « sociétés globales », comme on dit en sociologie) pour la disposition et le contrôle des hommes et des biens. Je crois donc que cette lutte s’est souvent déroulée, à partir d’une certaine époque qu’il faut peut-être situer au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, par l’intermédiaire d’une idéologie proposée par une organisation ou un mouvement du type Eglise. J’emploie ce mot d’une façon extrêmement large. Cette Eglise l’a proposée aux masses comme programme à réaliser, comme utopie ou comme mythe au sens sorélien du terme, si vous préférez.
Q. – Dans le cas qui nous occupe, comment avez vous pu faire l’application de cette théorie ? Autrement dit Mahomet serait-il selon vous le produit de son temps ? Etait-il nécessaire qu’il apparût à ce moment-là pour imprimer un nouveau mouvement à l’histoire des populations de l’Arabie ?… Et s’il n’avait pas vécu, un autre Mahomet eût-il apparu ?
R. – Ici encore je crois que les formulations habituelles du matérialisme historique ont été trop rigidifiées et prises au pied de la lettre. Je ne crois pas qu’un phénomène soit jamais absolument nécessaire en histoire, sauf peut-être les grands phénomènes d’évolution économique. A certains moments des conditions sociales sont réunies, qui permettent toujours plusieurs évolutions possibles. Ce sont des circonstances contingentes qui en dernière analyse font un choix entre les diverses possibilités qu’offre l’histoire, avec souvent des pressions plus fortes dans un sens que dans l’autre. L’un de ces faits contingents peut-être la présence d’une personnalité qui, sans en avoir conscience en général, sait exprimer les besoins de son époque. Le fait que cette personnalité se trouve là à ce moment-là, le fait qu’elle ne disparaît pas pour des raisons banales, est un événement contingent. Je crois que ceci n’est nullement en contradiction avec le déterminisme historique en général. Ce qui est déterminé, ce sont les grandes lois de l’évolution économique et sociale. Mais Napoléon aurait pu, par exemple, être tué au siège de Toulon, et il n’est pas du tout certain qu’il se soit trouvé un autre Napoléon. Cela n’aurait pas empêché évidemment l’évolution vers le capitalisme, mais cela aurait pu changer un nombre considérable d’événements : puissance de la France, Second Empire, etc … Mais cet événement-là était tout à fait contingent. De même Mahomet aurait très bien pu ne pas apparaître ; le détail et les événements historiques, sinon leur sans profond en être profondément modifié, il se trouve qu’il était là, qu’il a survécu à de nombreuses embûches, et qu’il a su exprimer une idéologie qui répondait, sans qu’il s’en rende compte lui-même, aux besoins de son temps.
Q. – En quoi son message répondait-il à ces besoins ?
R. – Cela a été particulièrement bien étudié dans le livre de Montgomery Watt, que je n’ai fait sur ce point que résumer, sauf pour quelques détails.
En réalité, l’idéologie proposée par Mahomet s’est trouvée répondre aux besoins de trois sociétés assez différentes, à trois moments distincts de sa vie. En gros on peut ramener cela à un seul phénomène, le passage de l’économie tribale à une économie mercantile. En deux ou trois générations, la ville de la Mecque où était né Mahomet, s’est trouvée transformée en un grand centre commercial ; et un certain nombre de villes de la même région ont subi la même transformation économique. Les cadres idéologiques et certains cadres sociaux étant demeurés les mêmes, il en est résulté une situation de tension, d’inadéquation des anciennes formes sociales et idéologiques aux nouveaux contenus de la vie sociale. C’est dans cet état de crise qu’un certain nombre d’esprits se sont trouvés disposés à se tourner vers de nouvelles idées et à accepter à souhaiter une restructuration de la société.
Q. – Comment résumeriez-vous le message de Mahomet ?
R. – Je crois que l’essentiel est la valeur qu’il accorde à l’individu. La société tribale accordait normalement une valeur éminente au groupe ethnique et y sacrifiait l’individu en ce monde et dans l’autre. Le message de Mahomet conterait, entre autres choses, un appel à l’individu ; il ne faisait d’ailleurs en cela qu’imiter les autres religions monothéistes qui étaient très diffusées à cette époque en Arabie, et qui ont failli devenir la religion de l’Arabie. Toutes trois étaient si bien accueillies à cette époque, parce que justement l’individu était d’une certaine façon libéré mentalement des chaînes de la tribu, tout en continuant à en subir les conséquences néfastes. Il était seul, abandonné au double bon vouloir des puissants et des riches et des tribus elles aussi puissantes et riches. Et il avait le sentiment obscur qu’il fallait que sa propre individualité fût reconnue dans ce monde et dans l’autre, qu’on le jugeât en considération de sa valeur propre et non plus en considération de sa tribu. D’où la popularité et l’engouement pour ces trois religions. Même au sein du paganisme arabe, du paganisme tribal, on sent dès cette époque des tendances à accorder, encore insuffisamment peut-être, quelque chose à l’individu.
Q. – Mais pourquoi « l’idéologie » de Mahomet l’a-t-elle emporté sur le judaïsme et le christianisme ?
R. – Là encore, il y a eu un certain nombre de raisons contingentes, mais derrière elles, on retrouve la pression d’un certain nombre de facteurs qui tendent à faire prévaloir une solution sur l’autre. Cette pression, je crois, a été alors le caractère « nationalitaire » arabe de la religion musulmane. Je crois qu’un des points qui m’a le plus frappé au moment où je préparais ce livre et même avant, a été la comparaison avec les prophètes du Congo belge ou de l’Afrique durant ces vingt ou trente dernières années. Qu’on se reporte en particulier aux études de M. Balandier. Là aussi il y avait possibilité de christianisation de l’Afrique. Il y a eu apparition de mouvements qui dépassaient la religion tribale, qui empruntaient un certain nombre de thèmes ou de motifs au christianisme. Mais ils n’étaient pas le christianisme – et ceci nous le voyons très bien au Congo à une époque contemporaine – pour la raison essentielle que le christianisme était lié à l’Europe et au colonialisme, dans l’esprit du moins des indigènes. De même à l’époque de Mahomet en Arabie, le judaïsme était lié à une option politique pro-persane. Quant au christianisme suivant qu’il était monophysite ou nestorien (orthodoxe-biphysite, dirions-nous plus techniquement) il était lié soit à la Perse, soit à Byzance. C’étaient des idéologies non-arabes qui impliquaient presque forcément la subordination à des puissances étrangères. De sorte que lorsque Mahomet a présenté un message qui était, lui, purement arabe, et qui en somme présentait tous les avantages, extérieurs au moins, de ces messages c’est naturellement le sien qui a été préféré. Je crois que là est la cause profonde, sans parler de multiples petites causes contingentes.
Q. – Vous ne pouvez pas expliquer sa diffusion dans tout le bassin Méditerranéen de la même façon ?
R. – Cela a été en effet très différent. En dehors de l’Arabie, les pays auxquels s’est imposé l’Islam avaient déjà depuis très longtemps une religion monothéiste, ou proche du monothéisme, comme le mazdéisme. Est intervenu un facteur tout simplement politique : la conquête. La conquête musulmane. Il faut répéter encore une fois qu’après cette conquête l’islamisation ne s’est pas faite par la force. Presque au contraire, puisque dans les premiers siècles de l’Islam, comme encore au XVIIIe siècle en Algérie, on peut citer des cas de gens bâtonnés parce qu’ils voulaient se convertir à l’Islam. Cela risquait de faire perdre de l’argent à l’Etat, car on ne pouvait alors imposer à ces convertis les mêmes impôts qu’aux musulmans. De même dans l’Alger des corsaires, ils représentaient une partie prenante de plus au butin général.
La conquête de tous ces pays qui s’est faite pour des raisons d’infériorité militaire temporaire a donc au bout de quelques siècles abouti à une islamisation quasi générale, pas totale quand même, de leurs habitants.
Q. – Comment rendez-vous compte du phénomène de l’inspiration surnaturelle chez Mahomet ?
R. – Pour l’incroyant ou le croyant d’une autre religion il est deux hypothèses possibles. D’abord, l’imposture. C’est une théorie qui a été à la mode au XVIe siècle : le prophète qui ment sciemment. Il est certain que dans l’Histoire générale des religions il y a de nombreux cas de ce genre. Mais il existe une autre explication qui me paraît beaucoup plus plausible : le mécanisme de l’inconscient, que nous connaissons mieux grâce au progrès de la psychologie normale et pathologique. Des individus peuvent entendre, voir et sentir le produit de leurs propres réflexions, pensées, et activités cérébrales, et ceci avec la plus absolue sincérité. En général dans le cas de Mahomet, les savants qui ont étudié honnêtement sa vie ont repoussé l’hypothèse de l’imposture, qui paraît en tout cas absolument impossible à admettre pour la période la plus ancienne de ses révélations. Certains ont cependant pensé qu’après son établissement à Médine comme Chef d’Etat, il avait donné des coups de pouce aux messages d’en haut en leur faisant dire ce qu’il voulait leur faire dire. J’ai discuté de cela dans mon livre, et je crois que finalement il est beaucoup plus difficile de croire Mahomet imposteur que Mahomet sincère. Je crois que jusqu’à la fin il a été sincère avec peut-être une possibilité de s’illusionner soi-même, assez grande à certains moments, mais nous savons par expérience que l’homme en général a une capacité quasi-infinie de ce côté-là.
Q. – Les Occidentaux ont en général porté des jugements fort sévères sur la personnalité de Mahomet. A travers la connaissance que vous avez de lui, comment vous est-il apparu ? Et quelle importance historique attachez-vous à son apparition ?
R. – Historiquement, il a certainement été très important. Sympathique, il l’a été à maints égards.
Compte tenu de la société et des mœurs de son temps, je crois qu’on peut voir en lui certaine forme de génie religieux et politique. « Génie religieux » : j’emprunte l’expression à un prêtre catholique islamisant. Evidemment il a été surtout mal jugé par les Chrétiens, et c’est compréhensible, parce que son personnage, comparé à celui de Jésus, apparaît plus terre à terre et d’une morale plus courte et moins sublime. C’est un Jésuite, le Père Lammens, qui a défini l’Islam comme une adaptation arabe du monothéisme judaïque. C’est vrai, mais je crois qu’il faut juger Mahomet, en référence non pas à la morale ou à l’idéal chrétiens, mais aux valeurs de son temps et de son pays. Si l’on admet que la morale chrétienne ne soit pas la seule possible, on est amené à le considérer comme un très grand homme, une personnalité d’une très grande envergure du point de vue religieux.
Comme je l’ai écrit, certains mystiques musulmans eux-mêmes – touchant à l’hétérodoxie naturellement – l’ont considéré comme un personnage de deuxième plan parce qu’ils voyaient en lui une espèce de machine enregistreuse, simple organe de transmission de la parole d’Allah sans aucune initiative personnelle, pensaient-ils. Mais ce jugement procédait de leur propre idéologie, et l’on ne peut pas partager leur point de vue.
Quant à son importance historique, elle vient évidemment en très grande partie des circonstances. Il aurait pu avoir le même génie, ou même un génie supérieur et avoir vécu à une époque ou dans un pays où celui-ci n’aurait pas trouvé à s’employer et n’aurait donc pas eu de répercussion mondiale. Il se trouve que ce génie a provoqué une révolution idéologique à La Mecque, puis une révolution à la fois idéologique et politique à Médine pour en arriver à remplir ce rôle politique énorme qu’a été l’unification de l’Arabie. Comble de circonstances favorables, son intervention historique s’est produite à un moment où les empires voisins étaient extrêmement affaiblis par les luttes qu’ils venaient de se livrer l’un contre l’autre. De même les pays d’au-delà jusqu’à une limite très vaste, jusqu’à l’Indus et les frontières chinoises d’un côté, et Poitiers de l’autre. C’est un ensemble de conquêtes qui s’est fait en un siècle à peine.
La part des circonstances ne doit pas toutefois nous conduire à le sous-estimer, car sans le génie, les circonstances ne lui eussent été d’aucun secours. Pour l’importance de la véritable révolution historique qu’il a accomplie, je renvoie au livre d’Henry Pirenne – Mahomet et Charlemagne – qui a été contesté mais qui garde à mon avis une grande valeur. D’ailleurs, par plusieurs enchaînements, cette importance a été très grande à d’autres moments historiques. Pensez au rôle de la Turquie ottomane au XVIe siècle par exemple et au rôle des Etats arabes de nos jours.
Q. – On reproche quelquefois à l’Islam, et ceci même dans certains milieux arabisants, d’être une idéologie fixiste et d’empêcher l’évolution intellectuelle, économique et sociale des sociétés qui l’ont adopté comme religion. Qu’en pensez-vous ?
R. – J’ai fait un jour toute une conférence sur cette allégation qui me paraît tout à fait fausse, et provient d’une conception viciée du rôle des idéologies – et là je parle en marxiste. Je ne crois pas qu’une idéologie, que ce soit l’Islam ou le communisme, constitue un facteur immuable, définitif dont l’action continue de la même façon pendant des siècles et des siècles, et oriente semblablement la vie de tous ses fidèles. Je crois que dans l’Islam, l’idéologie primitive musulmane a subi déjà du vivant de Mahomet, et combien plus après, une série de réinterprétations en fonction des conditions sociales, culturelles, idéologiques, économiques, politiques de chaque époque. Et qu’il en est de même maintenant. Les musulmans croient, très honnêtement d’ailleurs, exprimer le sens authentique du message du Prophète alors qu’ils n’en donnent qu’une version, et le comprennent à travers un stock d’idées tout à fait différentes de celles de l’époque du prophète. C’est pourquoi je ne crois pas qu’on puisse dire que l’Islam soit un frein à la science, ou au progrès matériel, ou à la liberté de l’esprit, ou à quoi que ce soit de ce genre comme le disait Renan, par exemple. Cela n’est pas plus vrai pour l’Islam que pour le judaïsme ou le christianisme. Nous en avons d’ailleurs la preuve, par le fait qu’au Moyen Age, l’idéologie musulmane – qu’elle fût en son essence favorable ou défavorable à cette liberté de l’esprit – a été en tout cas interprétée de façon à y être favorable. Depuis deux ou trois générations, les arabisants ont découvert qu’au Moyen Age on avait fait entrer dans l’Islam un grand nombre d’éléments d’hétérogènes que l’on a sanctifiés en les attribuant au Prophète. Il existe des recueils énormes de traditions, censés remonter au Prophète et dans lesquels on trouve les choses les plus hétérogènes – paraboles du Nouveau Testament, histoires juives, contes bouddhiques et un tas d’apologues des vieilles sagesses grecque ou pré-hellénique. Il nous a été prouvé, au Moyen Age, que l’Islam était parfaitement compatible avec une société extrêmement libérale. Et puis il s’est produit un renversement historique et la société musulmane s’est trouvée, pour toutes sortes de causes – politiques, économiques, sociales – devenir une société stagnante et conservatrice. A ce moment on a réinterprété, peut-être avec plus ou moins de fidélité au message original, les textes musulmans mais cette fois en faveur de l’obscurantisme, du musellement de la pensée, de l’arrêt du progrès. Mais ceci n’a été que passager et les modernistes musulmans des années 1900 prirent justement pour tâche de démontrer que l’esprit authentique de l’Islam était parfaitement conforme à l’idéologie européenne, disons libérale. Avaient-ils raison ou tort ? C’est une question qui intéresse les spécialistes, mais qui n’a pas finalement tellement d’importance. L’essentiel, c’est qu’ils démontraient que la religion musulmane peut toujours être interprétée de façon à fournir une justification à l’effort de progrès et de la pensée libre davantage qu’au conservatisme et à l’intégrisme, parce que justement l’époque de Mahomet était une époque dynamique. Cet effort de concordisme, ce que j’appelle concordisme, se poursuit d’ailleurs et on voit même actuellement des efforts de clercs musulmans pour montrer que l’Islam est parfaitement compatible avec le socialisme.
Q. – Croyez vous à ce propos qu’il y ait une incompatibilité totale entre la pensée marxiste et l’Islam ?
R. – Il y a naturellement une incompatibilité en ce sens que l’une est religieuse et l’autre laïque militante, et même athée militante, c’est tout à fait évident. Mais encore une fois les incompatibilités doctrinales n’ont jamais empêché les alliances, les synthèses, les syncrétismes de s’opérer quand ils étaient nécessités par la situation sociale. Permettez-moi de terminer en vous citant une anecdote que rapporte un journaliste, M. de Sainte-Marie, dans un reportage sur le nouvel Irak. Elle ne se rapporte pas à l’Islam, mais on en peut tirer la morale. Il a été admonesté à Bagdad un dimanche matin par le patron de son hôtel qui ne le voyait pas aller à la messe. Le journaliste s’en ait étonné en lui disant :
« Mais je croyais que vous m’aviez dit que vous étiez communiste et que vous alliez à l’école communiste deux fois par semaine. »
Et l’autre de lui répondre :
« Mais justement, c’est en tant que catholique militant que j’y vais. Nous autres catholiques sommes tous communistes en Irak, nous croyons devoir tous nous serrer derrière le communisme qui est pour l’égalité des communautés religieuses et contre Nasser qui voudrait la prédominance de l’Islam. »
Le jeune Français, tout à fait étonné :
« Vous n’avez donc pas entendu parler du communisme athée, intrinsèquement pervers, et des encycliques qui le condamnent ? »
L’autre se mit en colère :
« Il s’agit là de calomnies honteuses, M. Khrouchtchev va à la messe tous les dimanches et est très dévot envers la Très Sainte Vierge et Notre Seigneur Jésus-Christ. »
Ceci pour dire que l’on peut toujours trouver des conciliations entre les croyances et les idéologies lorsque les conditions économiques et sociales le postulent … »