Article de Louis Mouscron paru dans Droit et Liberté, n° 268, décembre 1967 ; suivi de « Des racistes d’Europe à Alger » et « L’Arabe de Tunis et le Juif de Constantine » par Jean-Pierre Saïd ; « A la recherche de la vraie vie » par Claire Etcherelli ; « Le cinéma et l’aliénation coloniale » par Raymond Pradines.

PLUSIEURS sondages d’opinion, ces temps derniers, ont mis en lumière l’étendue des préjugés raciaux en France. On s’interroge : est-ce possible ? Pourquoi le racisme persiste-t-il ? Quels facteurs le favorisent ?
On peut invoquer des explications diverses : psychologiques, historiques, sociales. Toutes sont à considérer. Ce pendant, parmi les données multiples de la situation, il est un fait qui mérite une attention particulière : c’est l’existence, dans notre pays, d’une presse à large diffusion qui, sciemment et sans relâche, alimente le racisme.
Nous avons dénoncé la scandaleuse parution d’un numéro spécial du Charivari intitulé : « Les Juifs dans la France contemporaine ». Le M.R.A.P. a engagé une action judiciaire contre cette revue, qui reproduit, à peine camouflé, un pamphlet publié sous l’occupation par le nazi Henry Coston.
Le Charivari n’est pas seul. Il porte à son paroxysme une campagne (à la fois anti-juive et anti-arabe) que d’autres publications d’extrême-droite ont déclenchée à l’occasion du conflit du Moyen-Orient. On connaît les noms de certaines d’entre elles : Minute, Rivarol, Fraternité Française, Carrefour, Défense de l’Occident, Aspects de la France … Il y en a d’autres, beaucoup d’autres.
Nous ne prétendons pas, ici, en faire l’inventaire complet. Et les précisions que nous apportons sur leurs méthodes, leurs patrons, leurs rédacteurs, les liens qui les unissent, recevront dans nos prochains numéros des compléments indispensables. Pour beaucoup de nos lecteurs, ces informations seront des révélations. Qu’ils sachent toutefois qu’aujourd’hui nous ne faisons qu’entrouvrir ce sinistre dossier.
Toute la gamme
La gamme des journaux se rattachant à l’extrême-droite raciste est assez large pour que se réalise entre eux un certain partage des rôles. A celui-ci, la prétention « doctrinale » du sieur Bardèche (Défense de l’Occident) ; à celui-là les « reportages » d’un Brigneau (Minute), à tel autre les chroniques « historiques » de Xavier Vallat (Aspects de la France), ou encore les appels enflammés de Sidos (Le Soleil).
L’Europe Réelle, torchon ouverte ment nazi, publie en feuilleton les « Protocoles des Sages de Sion », ce faux antisémite forgé il y a trois quarts de siècle par la police tsariste. Dans Lectures Françaises, jouant le jeu de « l’objectivité », Henry Coston (toujours lui !) consacre plusieurs pages à ce « document », dont il feint de peser le degré d’authenticité. D’autres, sans citer leurs sources, reproduisent les schémas développés dans les « Protocoles ». Fraternité Française fait même des citations au second degré, puis qu’il reproduit un article sur « l’internationale juive » paru dans un journal portugais – à titre purement documentaire, bien entendu.
Dans Rivarol, Lucien Rebatet écrit, semaine après semaine, la suite nostalgique de ses « Décombres » nazis ; mais dans Le Spectacle du Monde il signe benoîtement « François Vinneuil » la rubrique cinématographique. Europe Action, sous l’égide de la croix celtique, exalte « la violence qui nous rend nous-mêmes », avec le concours de Jean Mabire, François d’Orcival, Pierre Hoffstetter et quelques autres : lesquels collaborent aussi à Valeurs Actuelles où les thèmes qui leur sont chers ne font que transparaître, au travers de certains articles et dans des échos soigneusement dosés.
Quelques chiffres
Il y a la méthode provocante, qui réussit bien à Minute, avec les gros titres sur « Les Juifs » ou « L’invasion algérienne » ; il y a la méthode feutrée, enveloppant les excitations à la haine dans de soi-disant « études » historico-sociales. Le dernier numéro de Charivari relève de l’une et de l’autre : de toute évidence il s’agissait à la fois d’encourager, de mobiliser les éléments les plus fanatiques et de tromper en même temps le plus possible de lecteurs non-avertis.
Pour mesurer l’influence de cette presse, on peut citer quelques tirages connus. Minute : 225.000 ; Le Charivari : 50.000 (mais le numéro spécial sur « les juifs » a tiré beaucoup plus) ; Aspects de la France : 40.000 ; Carrefour : 45.000 ; Ecrits de Paris : 30.000 ; La Nation Européenne : 15.000 ; Europe-Action (qui ne paraît plus depuis quelques mois) : 30.000 ; L’Europe Réelle : 30.000 ; Défense de l’Occident : 20.000 ; Fraternité Française : 30.000 ; Lectures Françaises : 10.000. Pourtant ces chiffres ne permettent pas d’apprécier pleinement la réalité.
Beaucoup d’autres feuilles, en effet plus ou moins importantes, plus ou moins récentes, se rattachent directement au même courant : L’Alliance (de Tixier-Vignancour), A.-F. Université, Les Cahiers Universitaires, Le Soleil, Jeune Révolution, Occident-Université, etc. D’autres journaux d’extrême-droite, en vue d’atteindre un milieu déterminé, évitent d’aborder l’ensemble des thèmes qui concourent à l’idéologie raciste, ou ne les traitent qu’épisodiquement. C’est le cas d’hebdomadaires comme Nouveaux Jours, Juvénal, La Nation Française (qui a suspendu récemment sa parution), L’Echo de la Presse (édité par la même société que Le Charivari), L’Esprit Public, ou de bulletins tels que celui des Amis de Robert Brasillach, des Amis de Charles Maurras, de l’Association pour la Défense du Maréchal Pétain, et de tout une série d’autres groupements d’inspiration semblable.
Les publications de Raymond Bourgine (Compagnie Française des Journaux) occupent une place à part. Cet ami – et sans doute mécène – de Tixier-Vignancour édite un mensuel : Le Spectacle du Monde (118.000 exemplaires), un hebdomadaire : Valeurs Actuelles (90.000) et, depuis peu, un quotidien : Le Nouveau Journal. L’hebdomadaire et le quotidien sont destinés aux milieux financiers et aux cadres. Le mensuel vise le grand public « apolitique » : d’où les efforts de bonne présentation et de camouflage accompli par les équipes rédactionnelles.
Au total, la presse d’extrême-droite occupe donc un registre assez différencié pour toucher des secteurs divers de l’opinion, mais assez homogène pour permettre la pénétration des thèmes qu’elle développe et favoriser en particulier les préjugés et les haines racistes. Sans craindre une être situé entre 700.000 et 800.000 exemplaires. Et comme les tirages les plus élevés sont ceux des hebdomadaires c’est de 2 millions et demi à 3 millions de périodiques de cette sorte qui sont diffusés chaque mois en France.
Ce qu’ils ont en commun
N’est-il pas abusif de réunir sous une même étiquette des journaux en apparence très divers, dont certains sont ouvertement racistes, et d’autres s’en défendent avec un semblant de sincérité ?
L’exemple récent de Carrefour donne une première réponse : en prétendant nier son racisme, il en fait l’aveu (voir page 8).
De plus, sans solliciter le moins du monde les faits, on constate :
– Qu’il existe un certain nombre de thèmes et de points de vues communs s’exprimant à travers toutes ces publications, et qui sont fondamentalement racistes ;
– Qu’à certaines « grandes occasions », elles défendent une ligne identique : ce fut le cas, par exemple, à l’égard de « l’Algérie française » et de l’O.A.S., et, plus récemment (avec, toutefois, une ou deux dissonances) pour le soutien de la candidature de Tixier-Vignancour aux élections présidentielles ;
Qu’un certain nombre de leurs rédacteurs ont collaboré aux journaux de l’occupation, et que des échanges, des va-et-vient fréquents ont lieu d’une « rédaction » à l’autre.
Comment ils voient le monde
Par delà les variations dans le temps, et dans le ton, il est facile de dégager les grandes « idées » que répand cette presse. Réduites à leur plus simple expression, elles reviennent à peu près à ceci :
1) Tournons la page : le nazisme n’est pas aussi criminel qu’on le dit. L’extermination de six millions de juifs ? Une fable. Hitler n’est pas responsable de la guerre. D’ailleurs, les alliés aussi ont commis des crimes. Poussés par les juifs, ils veulent au jourd’hui discréditer l’Allemagne. Pétain et les autres collaborateurs des nazis furent de grands Français, les précurseur de l’union européenne.
2) La démocratie, voilà l’ennemi. Car elle est fondée sur l’égalité des hommes sans distinctions de races. Elle produit le métissage intellectuel, quand ce n’est pas, horreur ! le métissage biologique. Sur le plan national, cela donne la République, sur le plan international, l’O.N.U. Restons Français, éliminons les juifs et les métèques : telle est la seule politique saine.
3) L’homme blanc, français, occidental et chrétien, est supérieur à tout
autre. Il a apporté aux peuples sous capables d’Afrique et d’Asie, la civilisation. Mais les racistes de ces pays sauvages, alliés aux démocrates, aux communistes, aux juifs (lesquels n’ont d’autre but que d’avilir la France) nous ont obligés à nous replier sur l’hexagone. Dès lors, l’homme blanc doit se défendre contre la marée noire et rouge qui menace sa domination. L’Afrique du Sud nous donne l’exemple d’un peuple résolu qui refuse de brader les valeurs de la civilisation.
4) La menace des peuples de couleur est à nos portes. Pire : elle est chez nous. Les arabes et les nègres envahissent nos usines, nos hôpitaux, nos piscines, et violent nos jeunes filles. Tout va mal, par leur faute et par celle des juifs, qui occupent toutes les hautes fonctions dans l’Etat, l’économie, les arts, etc. Qu’allons-nous devenir ?
5) Il faut se ressaisir. La race blanche, la chrétienté ne doivent pas se laisser circonvenir par l’idéologie progressiste. Soyons virils. Les jeunes d’Europe-Action et d’Occident, avec leurs matraques, les forces américaines avec leurs bombes à billes au Vietnam, nous donnent l’exemple de la virilité nécessaire… Affirmons notre supériorité raciale en barbouillant ces croix gammées sur les synagogues, en brisant quelques vitrines et, au besoin, quelques crânes… D’ailleurs nous avons beaucoup d’alliés dans le monde, contre la subversion judéo-bolchévique et judéo-capitaliste.
… Nous exagérons ? Ce credo peut, certes, paraître risible, anachronique. Exprimé sous des formes diverses, il est pourtant une réalité. Mein Kampf aussi paraissait ridicule, simpliste, grossièrement caricatural. Souvenons-nous.
« Le Charivari » à l’œuvre
Le numéro spécial du Charivari, qui veut apparaître comme un « dossier », non comme une diatribe passionnelle, illustre bien la grossièreté des procédés employés, aujourd’hui encore, pour susciter le racisme.
Première technique : la généralisation.
On cite trois commerçants du meuble : Lévitan, Ségalot, les Galeries Barbès, le fourreur Brunswick, le couturier Jacques Heim, le fabricant des Bas Dimanche, juifs ou supposés tels, et cela suffit à déduire que toute la branche de l’ameublement, et celle de l’habillement sont aux mains des juifs. Par la même méthode, il est facile de « prouver » que les juifs dominent le spectacle, la presse, la police, les tribunaux, la littérature, l’enseignement, la banque et l’industrie… Puis qu’il y a des juifs dans la plupart des partis, on affirme aussi que « le personnel politique juif est abondant ». Bref : « ils » sont partout, et tout, en France, dépend d’eux.
Seconde technique : le mensonge par omission.
Dans un dossier véritable, on doit exposer le « pour » et le « contre ». Mais si Le Charivari étale complaisamment le « contre », il évite en général de donner le « pour ». Il publie par exemple deux colonnes de « citations antisémites » ; mais il serait naïf de chercher leur réfutation dans les colonnes voisines. Tous les dessins et caricatures reproduits sont antisémites. La prétendue « enquête » qui termine le numéro ne donne la parole qu’à des antisémites, Xavier Vallat en tête : qui d’autre, d’ailleurs, aurait accepté de s’associer à une telle provocation? Et quand un rédacteur, pour donner une apparence d’ « objectivité », croit devoir atténuer ou critiquer une calomnie anti-juive par trop virulente, il le fait si faiblement que l’affirmation défavorable ne s’en trouve nullement contrecarrée.
La troisième technique enfin, consiste dans une sorte de délire d’interprétation que l’on s’efforce de communiquer au lecteur : les juifs – qui sont partout – n’agissent que pour assurer leur domination, chacun d’eux n’est qu’un maillon d’une vaste chaîne qui ligote l’humanité, tout événement du passé comme du présent – notamment la guerre – ne peut s’expliquer que par l’intervention et la volonté des juifs.
La conclusion de tout cela, c’est évidemment, pour Le Charivari, qu’il faut se protéger des juifs, les mettre hors d’état de nuire en les excluant de la communauté nationale : les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous aboutissons au « statut des juifs » que Xavier Vallat imposa en 1940 sous la protection des tanks ennemis.
Qu’est-ce que « Le Charivari » ?
Les Editions Jacquemart, qui publient, avec Le Charivari, L’Echo de la Presse et de la Publicité sont une entreprise prospère, disposent de sa propre imprimerie, et qui, depuis sa fondation (en 1948), a procédé à deux augmentations de capital. Parmi les actionnaires, outre Noël Jacquemart ; et sa femme, gérante, figurent Serge Lamotte, qui fut sous Pétain dirigeant d’une organisation typiquement fasciste, l’ « Institut d’Etudes Corporatives et Sociales », ainsi que le comte Louis de Charbonnières, qui prend une part active à la rédaction et collabore également à Nouveaux Jours.
Le rédacteur en chef du Charivari est Claude Jacquemart, fils de Noël. Arrêté en septembre 1961 pour ses activités dans l’O.A.S., il a été, au bout de dix jours, mis en liberté provisoire, et il a bientôt pris la fuite. Ce baroudeur, sous-lieutenant de la Légion étrangère pendant la guerre d’Algérie, est actuellement sous le coup de quatre condamnations par contumace (2 à 20 ans de prison et 2 à 10 ans). Il se cache en Belgique, d’où il envoie ses copieux articles. Son père, condamné également pendant la guerre d’Algérie, a été rayé des listes électorales.
Autres collaborateurs attitrés du Charivari :
– Simon Arbellot, auteur du livre La presse sous la francisque, orfèvre en la matière, puisqu’il fut, sous l’occupation (1940-1942), directeur de la Presse au ministère de l’Information où il collabora avec Tixier-Vignancour, avant de devenir (1943-1944) le consul général de Pétain à Malaga. On trouve aussi sa signature dans Ecrits de Paris et Nouveaux Jours.
– Pierre Fontaine, un très ancien collaborateur de la presse d’extrême-droite, après avoir été « directeur-gérant d’hôtels en Algérie ». Ses articles paraissent régulièrement dans Rivarol, La Nation Française, Défense de l’Occident, Lectures Françaises. Il fut aussi un des piliers de Jeune Nation, mouvement dissout en 1958 pour atteinte à la sûreté de l’Etat.
– Edith Delamare, collaboratrice régulière de Rivarol, où elle consacre souvent des articles à dénoncer les positions trop « progressistes » à son gré de l’Eglise catholique. Royaliste, elle appartient à l’Association Générale des Légitimistes de France.
– Georges Virebeau, ami de longue date d’Henry Coston : il a collaboré à toutes les publications antisémites avant-guerre et sous l’occupation nazie. Le dernier ouvrage de ce forcené a pour titre : Les infiltrations progressistes dans la presse catholique.
– Le dessinateur Ralph Soupault. Il signe aujourd’hui « Leno », sans doute pour éviter qu’on se souvienne du temps où il publiait ses caricatures racistes dans Je Suis Partout (la feuille hitlérienne de Brasillach et de Rebatet), dans Combats, l’organe de la Milice, ou L’Appel, organe de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme).
En supplément …
Pour son dernier numéro spécial Le Charivari a eu recours à plusieurs collaborateurs supplémentaires :
– Deux dirigeants actifs d’Europe-Action, Fabrice Laroche, dont la signature apparaît aussi, maintenant, dans Minute ; et Jacques Devidal, qui anima, l’an dernier, le camp de « formation » des groupes de choc, organisé à Goudargues, dans le Gard, par la Fédération des Etudiants Nationalistes.
– Jean Brune, qui fut rédacteur en chef de la Dépêche algérienne, et qui, d’Espagne où il séjourne la plupart du temps, envoie de fréquents articles à Aspects de la France.
– Xavier Vallat, dont toute la vie fut, consacrée à la haine contre la démocratie, contre les juifs et qui connut sa plus grande gloire au temps de Vichy. Qu’on en juge : député d’extrême-droite depuis 1919, et membre de plusieurs groupes fascistes (Faisceau, Croix de Feu, Parti Républicain National et Social, Action Française) il fut nommé par Pétain, dès 1940, secrétaire général aux Anciens Combattants (pour la création de la Légion des Combattants), puis commissaire général aux Questions Juives (1941). En mai 1942, il devient ministre plénipotentiaire attaché aux cabinets de Pétain et de Laval. Fin juin 1944, il succède à Philippe Henriot, exécuté par la Résistance, comme éditorialiste de la Radio d’Etat. Alors que l’Allemagne hitlérienne est aux abois, ce jusqu’au-boutiste exalte jusqu’aux derniers jours la « collaboration ». Condamné à la peine dérisoire de 10 ans de prison et bénéficiaire d’une libération anticipée en 1949, il a repris du service, depuis, à la direction d’Aspects de la France.
– Saint-Paulien – de son vrai nom Maurice-Yvan Sicard. Collaborateur de Jeune Nation, de Minute, Ecrits de Paris, Lectures Françaises, L’Esprit Public, Le Spectacle du Monde, Europe-Action, Rivarol, ce personnage vit en Espagne, prudemment. Il fut un militant nazi intégral. Membre du P.P.F. (Parti Populaire Français, de Doriot) dès sa fondation (1936) il joua bientôt un rôle de premier plan dans le quotidien de ce parti fasciste, La Liberté. Sous l’occupation, membre du « directoire » du P.P.F., il dirige l’ensemble de sa presse : ses éditoriaux, ses appels aux crimes paraissent dans Le Cri du Peuple, L’Emancipation Nationale, Jeunesse de France. Fuyant la France dans les fourgons de la Wehrmacht, il présida encore avec Doriot, en 1945, en Allemagne même, quelques semaines avant l’effondrement d’Hitler, un « Comité de Libération Antibolchévique ». Il a publié plusieurs livres à la gloire des S.S. « C’est avec fierté que je continuerai à considérer la Révolution socialiste, nationale, unitaire, comme une nécessité impérieuse non seulement pour la France, mais pour l’Occident », déclarait-il à Juvénal, il y a quelques années.
Tout y est …
La place nous manque pour examiner en détail, comment se publient et s’écrivent l’ensemble des journaux que nous avons énuméré.
A travers un seul, ce Charivari qui vient de se livrer à la plus grossière provocation, nous entrevoyons pour tant ce groupe d’hommes, cette bande qui a déjà fait tant de mal, et qui ne renonce pas. Tout y est : les ligues factieuses d’avant-guerre, l’ignominieuse et sanglante collaboration, l’O.A.S. Ce n’est pas encore assez. Ils continuent. Nous continuerons aussi.
Louis MOUSCRON
DES RACISTES D’EUROPE A ALGER
M. JEAN THIRIART assure dans La Nation européenne (1) qu’il faut lutter contre toute forme de haine raciale … en expliquant longuement les « raisons » pour lesquelles on « peut » être raciste. En 1961 et 1962, le même Jean Thiriart était « correspondant » de l’O.A.S. à Bruxelles. En 1964, il écrivait cyniquement :
« Ce que nous pouvons espérer de mieux, en Afrique, c’est la balkanisation, en attendant notre retour » (2).
Situation aberrante : La Nation européenne a maintenant un correspondant permanent à Alger (3).
Les gens de l’extrême-droite européenne, quoi qu’ils proclament, ont des juifs et des Arabes le même mépris et ils ont su le prouver. M. Thiriart, hostile à Israël, écrit – aujourd’hui – que « le fanatisme religieux et messianique d’une partie des juifs amène à dire qu’il faut un Etat national juif. Mais cet Etat ne peut être dans la zone géopolitique européenne ». A Alger, on considérait jusqu’ici que le Proche-Orient était dans la zone géopolitique du tiers-monde et plus particulièrement du monde arabe. On vient cependant d’y recevoir M. Gerard Bordes, directeur de la publication raciste, à qui MM. Chérif Belkacem et Djamal Bendimered et le commandant Larbi ont accordé un entretien (4).
Il est parfaitement scandaleux que le personnage cité ait été reçu comme il l’a été : voici qu’on ouvre grandes les portes d’Alger à ceux dont la haine est le métier et qui s’étaient promis de revenir d’une façon ou de l’autre.
Après la « guerre des six jours », l’organe sioniste La Terre retrouvée lui-même soulignait qu’aucun incident raciste ne s’était produit en Algérie. De tels incidents se produiront-ils sur l’intervention de gens venus de Paris ou de Bruxelles ?
En les installant . a Alger, on leur donne en tout cas toute possibilité d’agir.
J.-P. S.
(1) Octobre 1967. L’article est illustre d’une publicité pour une ouvrage antisémite « agrémenté » d’une caricature du même goût.
(2) L’Europe : un Empire de 400 millions d’hommes, page 197.
(3) Gilles Munier, Boîte postale 617, Alger RP.
(4) MM. Cherif Belkacem et Si Larbi font partie du Conseil national de la Révolution, formé après le 19 juin 1965. M. Djamal Bendimered est directeur de l’hebdomadaire Révolution africaine.
Notons, pour mémoire, l’article donné de sa retraite algéroise à La Nation européenne, par
M. Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la peur.
L’ARABE DE TUNIS ET LE JUIF DE CONSTANTINE
CE n’est certes pas un crime pour certains journalistes que de parler d’abondance de ce qu’ils ne comprennent pas. Encore faudrait-il qu’ils se gardent d’ajouter à leur ignorance une désinvolture méprisante.
M. Jean Macabies, lui, a franchi le pas sans complexe à propos du récital de la grande chanteuse égyptienne Oum Kalsoum à l’Olympia. Il y va allègrement de ses cent-vingt lignes dans France-Soir (1).
« Dix-huit cents fanatiques sont allés à l’Olympia comme on va à la Mecque : pour voir célébrer un office religieux, celui de la grande prêtresse de l’Islam qui chante … Contrairement aux usages de la mosquée, ils avaient conservé leurs chaussures mais enlevé la cravate », écrit-il.
Le reste est à l’avenant (2).
A la fin du récital, Jean Pézieux, reporter de Radio-Luxembourg, a demandé leurs impressions à quelques spectateurs.
M. Mohamed Masmoudi, ambassadeur de Tunisie en France, lui a dit :
« C’est extraordinaire. La salle est étonnante : il y a des Arabes du monde oriental et du monde occidental, il y a des musulmans, des chrétiens, beaucoup de juifs (j’en ai vu, de nos compatriotes). C’est une belle manifestation sous le signe de l’art qui pourrait même avoir une signification politique ».
Un autre spectateur a déclaré :
« Oum Kalsoum est pour moi une très grande artiste arabe qui m’émeut chaque fois que je l’entends », précisant : « Je suis juif et pied noir. La musique n’a pas de frontières. La musique est un lien qui peut nous rapprocher, juifs et arabes. Je pense que par la musique on peut communier et que par la musique nous aurons peut-être un jour la paix « .
Ces paroles de l’arabe de Tunis et du juif de Constantine. M. Jean Macabies devrait les méditer, comme devraient les méditer les énergumènes qui, lors du second récital, ont crié des slogans hostiles au Dieu des juifs (!), oubliant que ce Dieu était celui du prophète de l’Islam.
A Oum Kalsoum, un bijou a été offert sur l’écrin duquel était inscrite cette phrase :
« A Oum Kalsoum, la plus grande chanteuse du monde arabe, à celle qui a pu parler au cœur des Arabes et qui a su transmettre un message de paix ».
Que la voix d’Oum Kalsoum s’élève souvent !
Jean-Pierre SAID.
(1) 15 novembre 1967.
(2) Paris-Presse du même jour écrit :
« Autre avantage de Mme Kalsoum : comme elle vient d’une région qui pullule de rois et de princesses, le parterre de l’Olympia regorgeait hier soir de pachas et de caïds arrivés par avions spéciaux de leurs capitales lointaines » …
A LA RECHERCHE DE LA VRAIE VIE
par Claire Etcherelli
Lorsque Droit et Liberté rencontra Claire Etcherelli, il n’était pas encore question du Prix Fémina ; elle se désintéressait, d’ailleurs, de ce grand remue-ménage de fin d’année. Pourtant, on ne peut qu’approuver le jury pour son choix : il a pris le risque de couronner un premier livre à l’heure où les jurys littéraires préfèrent prudemment célébrer des écrivains déjà célèbres.
Elise ou la Vraie Vie est l’aventure d’une jeune fille, provinciale et pauvre, qui « monte » à Paris. Elle doit se loger, trouver un emploi, travailler en usine : elle rencontre un Algérien, l’aime, et le racisme fond sur eux. C’est la guerre d’Algérie ; Arezki, militant, va être arrêté par la police ; il disparaîtra sans laisser de traces. On est loin, on le voit, des recherches formelles du « Nouveau Roman ». Les aspirations à « la vraie vie » de ces personnages fraternels font résonner à travers ce livre des échos d’une douleur poignante.
ELISE ou la vraie vie, ce n’est pas une autobiographie. C’est une histoire inventée, mais qui s’inscrit dans une réalité sociale que je connais bien : j’ai travaillé en usine pendant plusieurs années. Ce n’était pas un choix, croyez-le bien. Je venais d’arriver à Paris, et contrairement à ce que pensais, c’était tout un problème pour trouver du travail.
J’ai d’abord travaille chez Panhard, sur une chaîne, puis a la S.K.F., une usine de roulements à billes ; il fallait vérifier le calibre de billes d’acier minuscules, sous une lumière de néon violente. C’était moins fatigant que le travail à la chaîne, mais très pénible.
Maintenant, je me rends compte que dans certains milieux dans lesquels gravitent la plupart des hommes de lettres, quelqu’un qui a travaillé en usine, ça fait très bien, c’est presque un personnage de folklore. J’avoue que j’évite autant que possible ce milieu-là. En revanche, j’ai reçu une lettre d’un ouvrier qui avait passé 40 ans de sa vie en usine ; il m’écrivait qu’il avait retrouvé son expérience, son passé, ses impressions, en lisant les chapitres sur la vie d’Elise dans l’usine. Des lettres comme ça, c’est formidable …
« La fille qui sort avec un Nord-Af’ »
Je crois qu’il est impossible de vivre et d’écrire en dehors du monde. Elise ou la vraie vie, c’est ça : une petite cellule familiale, qui vit dans la pauvreté en essayant de faire comme si le monde extérieur n’existait pas. Mais peu à peu, il s’impose.
Et puis, il y a le racisme. Certains m’ont reproché la manière dont j’abordais le problème : le racisme à l’usine, contre le travailleur algérien ; l’hostilité contre la fille qui « sort avec un Nord-Af ». Ils estimaient que ce livre allait nuire à la classe ouvrière, qu’il n’y a pas de racisme à l’usine.
C’est vrai que les ouvriers n’ont pas besoin du racisme, qu’ils n’en tirent aucun bénéfice, que le manœuvre français et le manœuvre algérien sont dans la même situation. Mais il y a des préjugés, des mécanismes entretenus avec soin qui font que, malgré tout, un racisme ouvrier se manifeste parfois. Ce n’est nuire à personne que de démonter ces mécanismes ; au contraire, cela aide à les combattre.
Lorsque j’ai écrit mon livre, je ne croyais pas qu’il serait accueilli comme il l’a été. Deux éditeurs me l’avaient refusé : ç’a été très long, avant qu’il soit lu, accepté et édité. Ensuite, vous savez qu’il a eu une voix au prix Goncourt, celle d’Hervé Bazin. Bazin a fait des remarques et des réserves, sur la forme.
La forme est simple, elle coule de source ; je crois qu’elle convient bien à ce que je voulais raconter dans Elise ou la vraie vie. Et puis sans doute que je manque de maîtrise, pour mener à bien des recherches de forme.
Je prépare un second livre. Il sera consacré aussi aux travailleurs étrangers ; non plus aux immigrés mais aux réfugiés politiques, aux Espagnols, en exil depuis longtemps. Ma grand’mère était espagnole et, bien que je n’aie aucun souvenir personnel de ce temps, j’ai grandi dans les évocations de l’époque de la guerre civile. L’idée centrale sera identique à celle d’Elise : l’histoire d’un homme et d’une femme dans une époque, un milieu, des forces qui jouent leur rôle, dans lesquels les individus baignent tout entiers.
J’écris sans trop de difficultés, mais j’ai des problèmes matériels ; j’ai deux enfants, je travaille huit heures par jour. Je suis employée dans une agence de voyages. C’est difficile, dans ces conditions-là …
(Propos recueillis par Pierre LASNIER.)
LE CINEMA ET L’ALIENATION COLONIALE
DEUX films sortis assez récemment vont retenir ce mois-ci notre attention parce que, chacun à sa manière, ils portent témoignage de la situation respective des colonisés et des colonisateurs dans des pays encore dépendants ou indépendants depuis peu.
Pourtant, il y a peu d’œuvres aussi dissemblables que « L’Etranger » de Lucino Visconti et « Shakespeare Wallah » de James Ivory, peu de rapports entre le film du grand et somptueux réalisateur italien et celui d’un jeune Américain inconnu, entre l’adaptation scrupuleuse du roman de Camus et le scénario original d’Ivory, enfin et pour tout dire entre l’Algérie des années 30 et l’Inde dominée par le parti du Congrès dans les années 60.
Résumer le film de Visconti, ce serait raconter l’aventure « absurde » de Meursault, le héros de Camus. Qui ne connaît le crime « pour rien » commis un après-midi d’été, sur une plage proche d’Alger bouillonnante de soleil, de ce petit employé de bureau qui, après avoir assisté dans l’indifférence à l’enterrement de sa mère, rencontre une petite dactylo, devient l’ami d’un souteneur et finit par tuer un Arabe ?
Réduit à cette simple trame romanesque, ce n’est que cela, « l’Etranger », dans le roman et dans le film. C’est aussi, c’est surtout un conte philosophique : Visconti, brimant délibérément son lyrisme pour rester « fidèle » à Camus, s’est borné à illustrer le roman. De ce point de vue, il y a échec patent. Pourtant, cet échec même donne une dimension inattendue à l’œuvre de Visconti.
Voici en effet le premier film où, tellement mieux par exemple que dans « Pépé le Moko» et sa casbah de pacotille, on sente vivre l’âme – même injuste, surtout injuste – de l’Alger des petits pieds-noirs.
A cause de ce parti-pris de document scrupuleux, éclate soudain une évidence : on a beaucoup reproché à Camus – à juste titre sans doute – l’absence, dans ses romans sur l’Algérie, des Algériens eux-mêmes. Dans le film de Visconti, leur présence est flagrante, mais il s’agit d’une présence muette.
Ils sont à peine des visages, des ombres plutôt, passant à contre-jour dans les rues, sur les plages, le long du port. Ils ne sont pas les Algériens, ils sont des Arabes, les éternels portefaix d’une civilisation qui, vivant d’eux, progresse sans eux …
Ce qui nous amène au jeune Américain James Ivory et à l’Inde de « Shakespeare Wallah » : un pays indépendant depuis une vingtaine d’années. Des Anglais y sont restés qui partent avec nostalgie les uns après les autres. Pourtant, avec un bel optimisme, une troupe britannique (et familiale puisque ses piliers sont le père, la mère et la fille) s’acharne à jouer Shakespeare dans des tournées quelque peu rocambolesques.
Telle est la situation dans laquelle se développe une idylle toute en demi-teinte, en charme, en nostalgie entre Lizzie, la jeune comédienne, fille du directeur du théâtre, et un de ses admirateurs, un jeune Indien aisé.
Mais cet amour se situe au confluent de deux civilisations, de deux modes de vie dont la coexistence est impossible, dans l’immédiat en tout cas.
Lizzie repartira vers l’Angleterre et lui, la peine au cœur, ne fera finalement rien pour la retenir : leur avenir n’est pas de leur génération … Tandis que les parents de la jeune fille, le couple de vieux comédiens shakespeariens, resteront dans ce pays en divorce avec leur culture, dans ce pays auquel ils restent, en dépit de tout, et de leur échec, attachés.
Raymond PRADINES.
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