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Le racisme ne passera pas

Dossier paru dans Rouge, n° 211, 27 juin 1973, suivi de « L’évasion de Zahouane et Harbi » par Edwy Plenel alias Joseph Krasny

Avant-hier les juifs, hier les arabes, aujourd’hui « l’immigration sauvage ». Les premiers, alliés aux marxistes, voulaient détruire l’occident. Les seconds s’attaquaient à la civilisation française. Aujourd’hui, les immigrés, base de masse des gauchistes, mettent en danger la République, l’industrie et la race française. Rien de moins.

La droite chez nous ne se renouvelle décidément pas. En lançant leur campagne contre l’immigration sauvage, les racistes d’Ordre Nouveau n’ont rien inventé. Ce qu’ils présentent comme une « découverte », ou « le fait que les yeux des français s’ouvrent », n’est qu’un ramassis de vieilleries datant de plus d’un demi-siècle. Car il y a longtemps que le capital a compris le rôle décisif du racisme dans la lutte contre la prise de conscience et l’organisation de la classe ouvrière. Diviser les exploités en hommes et sous-hommes, en « nationaux » et « immigrés », c’est diviser – et affaiblir – leur lutte contre le régime bourgeois. C’est aussi dévoyer contre une couche défavorisée de la population la colère et la haine de ceux que la société brime et opprime et gui ont besoin d’exploser. C’est enfin ouvrir la voie à une « fascisation » de certaines couches de la société et de l’appareil d’Etat.

C’est pourquoi, la campagne entreprise par « Ordre Nouveau » ne doit pas être prise à la légère. Elle correspond à une volonté délibérée d’une fraction de la bourgeoisie. Et elle peut rencontrer par endroits un écho inquiétant : des cafés qui refusent de servir les algériens, des immigrés tabassés, des offres d’emploi « pour Français seulement » et surtout, surtout, une police qui se révèle, dans tous ses actes, raciste et xénophobe, voilà qui prépare un terrain déjà bien gangréné par les circulaires Fontanet et Marcellin.

D’autant plus que les nazillons passent des paroles aux actes. A Nice, plusieurs cafés algériens avaient été attaqués récemment. Dans la nuit du 21 au 22, deux travailleurs immigrés qui revenaient d’un meeting antifasciste ont été lynchés. Et dans la nuit du 23 au 24, plusieurs cafés algériens en banlieue, ainsi que la permanence du PCF à St Denis, ont été attaqués au cocktail Molotov.

Où s’arrêteront les racistes ? Quand le pouvoir les arrêtera-t-il ? Il est hors de question d’attendre sereinement la réponse à ces questions. La peste brune et le racisme se combattent dans l’œuf, à la naissance. Par une campagne de solidarité avec les travailleurs immigrés, d’abord. Mais aussi en répondant coup pour coup à toutes les exactions de l’extrême-droite.

Travailleurs français,
Travailleurs immigrés,
même patron, même combat !
Le racisme ne passera pas !


à Grasse, on lutte contre « l’immigration sauvage » !

Grasse, ville des fleurs, veut faire partie de la « vitrine » de la Côte d’Azur : une ville propre, une ville pour tourisme. Mais ce « joyau » a un problème, ou plutôt un cancer : plusieurs milliers de travailleurs immigres la font vivre. Entasses dans la vieille ville, mal payés, maltraités, ils en ont eu assez. Le 12 juin, ils ont manifesté à 300 sur la place de la mairie. Le Maire est venu les accueillir, barde de tricolore et a lancé sur eux les flics, les pompiers et les honnêtes commerçants. La ratonnade a duré l’après-midi entière et la nuit ensuite, où les CRS sont venus chercher les travailleurs dans leurs chambres. De nombreux blesses n’ont même pas osé aller à l’hôpital se faire soigner …

Ordre Nouveau a saisi la balle au bond : recouverte d’affiches contre l’immigration sauvage, la ville a réellement belle allure et son maire réformateur peut affirmer « ça ne badinera pas ».

A Nice d’ailleurs, depuis quelques mois, a ca n’a pas badine » : les synagogues, les magasins juifs, des murs ont été bombés d’inscriptions : « Rallumons les fours crématoires ! ». Contre l’immigration dite sauvage et contre la communauté juive, les vrais sauvages se mettent à l’œuvre. Il est nécessaire de les arrêter tout de suite !


De Massu en Bigeard

C’est un vieux de la coloniale. Un baroudeur sorti tout droit des romans fascistes de Lartéguy. Un de ces paras aux larges épaules, tutoyant ses hommes, direct et sans façons, une main sur la gâchette, l’autre pédalant à la « gégène ». Un Massu en plus sportif et en plus jeune, tout aussi discipliné, courant à la défense des trois couleurs partout où la subversion les menace. Un des plus valeureux de Dien Bien Phu. L’homme de la Casbah lors de la bataille d’Alger. Le para crapahutant de Dakar à la République Centrafricaine pour garantir nos possessions néo-coloniales. Puis le léopard enfin consacré, à la tête des troupes françaises dans l’Océan Indien stationnées à Madagascar.

Il se nomme Bigeard. Il est général. Il est désormais adjoint au gouverneur militaire de Paris. De Gaulle avait un Massu-de-guerre civile, Pompidou et Marcellin semblent avoir trouve son remplaçant. Cette récente nomination de Bigeard. figure aussi légendaire que la casquette qui porte son nom, n’est pas anodine. L’adjoint au gouverneur militaire de Paris est chargé de veiller, aux côtés de la police et des corps de répression spécialisés, au maintien de l’ordre.

Il a pour tâche « d’établir et de mettre en œuvre le plan de défense opérationnelle du territoire de Paris, et assure les liaisons avec le Préfet de Police dans le cadre du plan général de protection et en cas de crise intérieure ». La nomination de Bigeard est la consécration des relations entre la police et l’armée en cas de crise révolutionnaire, c’est un pas de plus vers l’attribution des tâches de maintien de l’ordre à l’armée, c’est une illustration éclatante de la construction par la bourgeoisie d’une armée de guerre civile contre les travailleurs.

Second flic de Paris après le Préfet de Police Lenoir, Bigeard vient sauver l’ordre mal en point. Et pour ces tâches de flic, l’expérience ne lui manque pas. En 1957, sous les ordres de Massu, lors de la Bataille d’Alger, il était responsable du secteur décisif, la Casbah, quartier algérien et populaire de la ville. Pour Bigeard ce fut une grande leçon de chose, une répétition générale en quelque sorte, où l’armée assumant officiellement les tâches de police, l’on vit naître un véritable ordre totalitaire. Bigeard régnant sur la Casbah, ce fut l’ « ilotage » en vertu duquel chaque habitant était fiché et contrôlé à tout moment, ce furent les perquisitions illégales, ce furent les rafles, ce furent les disparitions, et surtout ce fut la torture. Bigeard n’est pas le seul dépositaire de cette tradition bien française de la gégène ou de la magnéto, mais il ne s’est pas fait prier. Des preuves ? Les déclarations, les citations, les témoignages se comptent par dizaines et il est de bon ton d’en jeter quelques uns à la face de ce grognard monté en grade.

C’est un de ses confrères, le général Allard, qui rappelle cette visite d’un ministre en 1957 au PC de Bigeard. Ce dernier, fier de l’action de son régiment, répondant aux félicitations déclara : « Monsieur le Ministre, vous pensez bien qu’on arrive pas à de tels résultats avec des procédés d’enfant de chœur ». Ce à quoi il lui fut répondu de veiller à ce qu’il n’y ait pas « trop de bavures ».

C’est Yves Courrières qui raconte une réunion d’Etat-major :

« Massu admire : 1 200 arrestations, 80 déférés au Parquet, 600 assignés à résidence. 300 remis en liberté … « Hein, vous avez vu le travail » grommelle Massu qui couve Bigeard d’un œil mi-envieux, mi-admiratif. Mais Teitgen intervient : « Si je compte bien, mon colonel, (il s’adresse à Bigeard) dans votre calcul il manque 220 bonshommes. Que sont ils devenus » « Lorsque quelqu’un demandera des comptes, répond le colonel, ce sera signé Bigeard. Ils ont disparu vos 220 bonshommes ».

Ou bien c’est cette note d’orientation de Bigeard, concluant « vous interrogerez durement les vrais coupables, avec les moyens connus qui nous répugnent ». Sans pudeur…

Ou encore c’est le même Bigeard, en mai 58 dirigeant un « centre d’entraînement à la guerre subversive » où la torture est matière d’enseignement …

Après les vietnamiens, les algériens, les sénégalais et les malgaches, Bigeard se trouve sur le chemin des travailleurs français. A ces derniers de lui rappeler ses aventures coloniales.

J. K.


VIGILANCE !

Un pouvoir qui ordonne à sa police de protéger un meeting fasciste … Y a-t-il meilleur encouragement pour tous ceux qui, au sein des corps de répression, ont la nostalgie des ratonnades et du bon temps de Charonne ? Trouvant peut-être le pouvoir officiel trop mou, certains peuvent tenter de rééditer l’expérience de triste mémoire du commissaire Dides et de ses flics fascistes durant la guerre d’Algérie. Les coups de gueule de certains jeunes coqs lors des récents congrès des syndicats de police le prouvent. Il faut le savoir car ces individus ont l’avantage de pouvoir combiner l’appareil de renseignements de la police « officielle » et une liberté d’action que n’offre pas la légalité bourgeoise. Leur action peut revêtir diverses formes : de la « découverte » d’un char frappé au sigle de la Ligue au cassage de gueule de certains de ses dirigeants.

Messieurs, nous sommes prévenus.

A bon entendeur, salut !


Algérie

L’évasion de Zahouane et Harbi

Hocine Zahouane et Mohamed Harbi se sont évadés d’Algérie où le régime policier de Boumedienne les maintenait en résidence surveillée, après un long emprisonnement. Hocine Zahouane, avant le coup d’Etat du 19 juin 1965 était membre du Bureau Politique et président de la Commission d’Orientation du Comite Central du FLN. Mohamed Harbi, ancien directeur de « Révolution Africaine », organe du FLN, était député et membre du CC du FLN. Après le coup d’Etat, avant leur arrestation, ils animaient tous deux l’organisation de la Résistance Populaire qui regroupait l’ensemble des opposants de gauche au régime. Avant 65, ils tentèrent vainement, rassemblant autour d’eux ce que l’on appela la gauche du FLN, d’enrayer de l’intérieur même du FLN l’irrésistible montée de la nouvelle bourgeoisie en constitution au sein de l’appareil d’Etat algérien.

Nous saluons l’évasion de ces camarades dans la mesure où elle leur permet désormais d’engager la bataille contre le capitalisme d’Etat algérien. C’est d’ailleurs le sens de la déclaration commune qu’ils firent le 8 mai 1973 à Rome.

« L’alternance des pressions et des ouvertures en notre direction, y est-il dit, n’a pas entamé notre refus de donner une quelconque caution à un régime fondé sur l’exploitation et la suppression des libertés ».

Et le texte continue par une critique de ceux qui, à l’instar du P.A.G.S., ex-parti communiste algérien dépendant de l’URSS stalinienne,

« veulent faire des masses opprimées une force d’appoint au service d’une fraction de la bourgeoisie bureaucratique préalablement gratifiée d’une étiquette anti-impérialiste ».

Cette déclaration analyse en ces termes le coup d’Etat du 19 juin :

« notre hostilité au 19 juin reposait sur la conviction amplement vérifiée aujourd’hui, que la bureaucratie en formation dans le cadre de l’Etat, prolongement de la direction para-étatique forgée au cours de la guerre au sein de l’armée et du FLN, ne reconnaissait plus en Ben Bella son porte drapeau et avait jugé le moment venu d’en finir avec l’équilibre instable entre les classes et de s’accaparer le monopole de l’initiative politique ».

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec une telle analyse résumant la lutte pour le pouvoir qui s’engagea après l’indépendance entre la petite-bourgeoisie algérienne et les masses populaires, et dont ces dernières sortirent battues en l’absence d’une direction révolutionnaire.

Enfin, après avoir affirmé qu’en Algérie, « le projet socialiste a été falsifié », la déclaration conclue :

« malgré le mécontentement des masses, la détérioration du niveau de vie et le blocage des salaires dans de larges secteurs, la lutte pour des changements décisifs, irréversibles, doit s’inscrire dans une stratégie de longue durée, exclure les complots et les conspirations pour prendre appui sur la prise de conscience des masses et s’attacher d’abord à la clarification des questions fondamentales qui se posent au mouvement révolutionnaire ».

De cette bataille sans merci pour la révolution socialiste algérienne, les militants de la IVeme Internationale sont partie prenante.

Joseph KRASNY