Article de François Erval paru dans Combat, 26 janvier 1950, p. 4

Un des meilleurs écrivains anglais
ROMANCIER, critique, journaliste et homme politique, George Orwell vient de mourir à l’âge de 46 ans après une longue maladie. Son nom et son œuvre sont peu connus en France, alors que la presse anglaise considère Orwell comme le plus grand romancier d’idées qui ait surgi en Grande-Bretagne au cours de l’entre-deux guerres.
Quelques semaines avant sa mort, trois de ses premiers romans ont été publiés le même jour aux Etats-Unis, et un des meilleurs critiques américains a pu écrire qu’Orwell est le seul écrivain anglais qui continue de nos jours la grande tradition du roman britannique, son dernier représentant, E. M. Forster, gardant depuis de nombreuses années, un silence qui semble bien sans rémission.
Le romancier
Né aux Indes, puis élevé, grâce à une bourse d’Etat, au célèbre collège d’Eton, Orwell publia son premier roman en 1933 : « La Vache enragée », paru en français avant la guerre. Il y retrace sa vie misérable à Paris. Dans « Tragédie Birmane » (trad. fr. 1946) il nous conte les expériences de sa jeunesse aux Indes, la révolte des indigènes contre l’oppression. Depuis Kipling – et souvent contre celui-ci – c’est le seul témoignage littéraire valable sur les relations anglo-hindoues au cours de ce demi-siècle.
Orwell part toujours d’une expérience vécue, pour la dépasser et l’élever par un style direct et parfois même brutal à l’œuvre d’art. Ce style vigoureux, violent, propulse par coups de poing l’action qui se déroule, selon la grande tradition du roman anglais du XIXe siècle, sans heurts, avec une continuité que commande, seule, la nécessité interne de la forme romanesque.
Représentant d’une génération littéraire
Orwell s’intéressa tôt à la politique. « The road to wigan pier », un des grands reportages sur la vie des chômeurs révéla à toute une génération d’écrivains anglais certains aspects inconnus du problème social.
Comme toute la génération littéraire de 1930, d’Auden à Spender, Orwell prit passionnément position dans la guerre d’Espagne. Il s’engagea dans les brigades internationales et fut grièvement blessé dans les combats autour de Huesca. Il rapporta de là-bas un livre : « Hommage à la Catalogne ». Avant Auden, Spender et Isherwood, il se détourne du communisme, inaugurant ce détachement envers la politique qui fut le destin de la « génération de 1930 » et qui a conduit certains de ses compagnons à la recherche d’une mystique, qu’ils croient trouver aujourd’hui dans l’hindouisme. Son tempérament libertaire et anarchiste le conduisit vers la lutte contre le totalitarisme et il connut un succès mondial avec « Les Animaux partout » dont 750.000 exemplaires furent vendus en langue anglaise. Il y continue la tradition de l’humour féroce de Swift ainsi que dans son roman d’anticipation « 1984 » dont Gallimard annonce la traduction française.
Le critique
Collaborateur de « Tribune », l’hebdomadaire de la gauche du parti travailliste, ses essais critiques réunis en deux volumes constituent avec « Studies in a dying culture » de M. Cornforth – tombé en 1937 en Espagne – la tentative la plus intéressante pour élaborer une méthode marxiste dans le domaine esthétique. Partant de la totalité du fait social, Orwell n’oublie jamais l’apport individuel de l’artiste, son effort qui consiste justement à dépasser la matière première que lui offre le fait social brut pour rejoindre l’art. Certaines de ses études, consacrées à Dickens, ou à un examen du roman policier vu principalement à travers « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » ou enfin la synthèse magistrale qu’il dresse dans « In the whale » de l’évolution du mouvement littéraire anglais entre 1930 et 1940, restent des modèles du genre. Il serait souhaitable qu’une revue française les reprenne et contribue ainsi à rendre à Orwell la place qui lui est due.
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