Déclaration de Messali Hadj remise à l’Agence France Presse ; diffusée sous forme de tract par le Comité pour la libération immédiate de Messali Hadj et des victimes de la répression ; publiée dans La Vérité, du 12 au 26 novembre 1954 ; reproduite partiellement le 11 novembre 1954 dans Franc-Tireur et Alger Républicain.

DES l’annonce des événements survenus en Algérie dans la nuit du 31 au 1er novembre 1954, la surveillance exercée autour de ma personne est gravement renforcée.
Trois jours après l’on me plaça au régime du secret, m’empêchant de recevoir qui que ce soit et me privant de communication avec l’extérieur.
Cette aggravation des conditions de ma résidence a été suivie d’une perquisition et de la dissolution du M.T.L.D.
En Algérie des perquisitions et des arrestations ont été opérées avec une grande brutalité et souvent en violation des lois.
Moulay Merbah, Secrétaire général du M.T.L.D., et un grand nombre de dirigeants et de militants ont été enlevés par la police sans que leurs familles sachent jusqu’à l’heure actuelle où ils se trouvent.
Me Renée Stibbe, avocat à la Cour, a déposé une plainte entre les mains du Procureur contre cette séquestration qui a duré plus des vingt-quatre heures prévues par la loi.
En France, dans toute la Région Parisienne et dans toutes les villes il y eut des perquisitions et des descentes de police.
A cette vague de répression s’ajoutent des ratissages et l’envoi continu de troupes de toutes armes en Algérie.
Partout l’administration fait appel à une répression violente, énergique et exemplaire. Cette frénésie répressive reprend les méthodes de mai 1945.
Nous avons, en d’autres temps, déclaré que la répression, sous quelque forme qu’elle soit, n’a jamais été une solution au problème algérien qui, de plus en plus, s’impose au gouvernement comme à l’opinion internationale.
De 1830 à nos jours la colère profonde du peuple algérien contre le régime colonial a maintes fois explosé. De premières insurrections suivirent la conquête puis eurent lieu les soulèvements de 1871. Toutes ces explosions ont connu une répression féroce, suivie d’expropriations et de bannissements.
Toutes ces méthodes de force n’ont jamais empêché le peuple algérien de revendiquer ses biens, ses droits et sa liberté.
Cela démontre que cette politique de force a fait faillite parce qu’elle est contraire aux véritables aspirations du peuple algérien, qui reste fidèlement attaché à son passé historique et à sa tradition islamique.
Ces explosions en Algérie sont précisément les résultats désastreux de la politique coloniale qui persiste obstinément à ignorer les réalités algériennes.
Soumis à une forte expropriation et réduit au régime du silence, le peuple algérien est devenu une armée errante de guenillards, de tuberculeux et d’intouchables.
Cette politique d’expropriation l’a contraint à devenir un serf sur ses propres terres. Ce qui fait qu’aujourd’hui le peuple algérien, alors qu’il compte dix millions d’habitants, ne possède que 33 % de la fortune totale du pays, tandis qu’un million d’Européens possèdent à eux seuls 67 % des richesses d’Algérie.
Sur le plan de l’enseignement, la langue arabe, langue maternelle de dix millions d’Algériens, a été systématiquement étouffée et déclarée langue étrangère.
La condition misérable de notre jeunesse accroit encore l’atteinte portée à la dignité de notre peuple. Deux millions d’enfants errent dans le dénuement le plus complet et, faute d’écoles, sans instruction et sans avenir. Notre jeunesse est jetée à la rue sans travail et dans l’impossibilité de créer un foyer.
A ce tableau accablant s’ajoutent les horreurs des bidonvilles, l’humidité, la faim qui tenaille des millions d’enfants, de vieillards, de femmes qui, pour la plupart, ne mangent de la viande que deux ou trois fois par an.
Les musulmans algériens sont profondément indignés de voir que le culte islamique est transformé avec ses cadis, ses muftis et tout leur personnel en agence de propagande au service de l’administration algérienne.
Sur le plan politique, les Algériens, alors qu’ils sont dix fois plus nombreux que la minorité européenne, sont représentés dans les assemblées municipales et générales par des élus dont le nombre est limité aux 2/5 des effectifs desdites assemblées.
La fameuse Assemblée algérienne, fruit de truquages électoraux, n’est, en réalité, qu’un conseil d’administration consacré entièrement aux intérêts de la haute colonisation.
Le statut organique de l’Algérie qui a été imposé au peuple algérien, malgré le rejet unanime de tous les élus musulmans, n’est qu’une duperie, puisque les réformes squelettiques prévues n’ont même pas été appliquées. Les élections municipales, cantonales, les élections à l’Assemblée algérienne et au Parlement français sont plutôt des nominations d’individus gagnés à la cause coloniale qu’une compétition électorale. C’est pourquoi la grande majorité du peuple algérien manifeste nettement son indifférence à l’égard de toutes ces élections préfabriquées.
La répression politique, économique, sociale, culturelle et religieuse est une arme de terreur entre les mains de l’administration qu’elle utilise d’une façon permanente.
Aussi, les perquisitions, les arrestations, les bastonnades sont-elles chose courante dans le pays. Des militants peuvent être enlevés et conduits dans des maisons d’aveux spontanés, au mépris des lois qui garantissent le respect de la liberté individuelle.
Ce système de répression et d’enlèvement est destiné a créer la terreur dans le but d’écarter les patriotes des mouvements nationaux.
Le racisme, la discrimination raciale, l’arrogance et le mépris sont les faits auxquels se heurtent quotidiennement tous les Algériens.
Et comme arrière-fond à ce régime de misère et de souffrance, il y a la situation dramatique de l’émigration algérienne en France qui, à son tour, et bien qu’éloignée du sol national, est l’objet de mesures d’exception et d’un certain racisme orchestré par la presse réactionnaire et par le patronat.
Ce régime d’exception, d’expropriation et de répression est un fait permanent qui persiste depuis des dizaines d’années.
Pour notre part, il y a plus de vingt ans que nous avons condamné un tel régime attirant d’une façon particulière l’attention du gouvernement pour y mettre fin.
Oui, cela nous l’avons dit, écrit, dénoncé des milliers de fois sans que le gouvernement ait voulu considérer ni entendre nos appels. Bien au contraire, nous avons été malmenés et jetés dans les prisons pour de longues années.
C’est dans cette malheureuse situation où se débat le peuple algérien depuis toujours qu’il faut rechercher les causes de toutes les explosions du passé et des événements qui ont éclaté récemment.
Exproprié, exploité et soumis aux lois d’exception sans jamais être écouté ni respecté, l’Algérien explose parce qu’il voit toutes les portes se fermer devant lui.
De telles explosions sont le résultat de cette politique coloniale contre laquelle le peuple algérien ne cesse de crier depuis les premiers jours de l’occupation.
Nous l’avons dit en d’autres temps, et nous le répétons aujourd’hui, que c’est en mettant fin à ce régime, en faisant droit aux aspirations de notre peuple qu’on mettra fin à ces explosions qui ne sont, en vérité, que des réactions humaines et des actes de désespoir. C’est là qu’est le remède. Il faut avoir le courage de le regarder en face pour apporter une solution juste, humaine, logique aux réalités algériennes.
Telle a été notre lutte dans le passé, telle elle sera demain et toujours.
Aussi, fidèle à notre passé et à nos rapports de sympathie avec le peuple français et sa classe ouvrière, nous leur demandons aujourd’hui de tendre une main fraternelle au peuple algérien, qui actuellement supporte une rude répression dans tout le pays.
Hier comme aujourd’hui, nous continuerons à œuvrer de façon à ce que l’amitié qui lie les travailleurs algériens au peuple français se développe dans la lutte pour que nos deux peuples libres de toute servitude coloniale et capitaliste, marchent de l’avant vers la liberté, le progrès, la justice, la paix et la solidarité entre les peuples.
MESSALI HADJ,
proscrit politique.
Fait ce jour aux Sables d’Olonne, 8 novembre 1954.

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