Interview de Messali Hadj réalisée par Rudolph Prager alias A. Duret parue dans La Vérité, 1ère quinzaine de juillet 1949

VOYEZ-VOUS, nous dit Messali en nous accueillant comme toujours, très fraternellement, la police vient encore de me rendre visite. Et de nous montrer un papier qui lui notifie la décision du ministre de l’Intérieur d’avoir à quitter Paris le lendemain de son jugement « avant midi précise ».
Car c’est seulement à une convocation devant la Cour d’Appel que Messali doit de pouvoir résider quelques jours à Paris. Le séjour dans la capitale de la grande démocratie française est strictement interdit au leader algérien en vertu d’une décision du gouvernement de Vichy que le très socialiste Jules Moch se fait un honneur d’exécuter avec zèle.
Durant près d’une heure, nous allons nous entretenir cordialement, dans la plus grande compréhension, des grands problèmes de l’heure. Messali demande des nouvelles du mouvement ouvrier français.
Puis nous passons à la lutte du peuple algérien. La récente visite de Vincent Auriol a donné lieu à une mascarade impudente. Dans une lettre ouverte au Président de l’Union française, Messali n’a pas mâché ses mots.
« Les Algériens dignes et sincères, en lutte contre le régime qui les accable, ne peuvent, en leur âme et conscience, participer aux réjouissances organisées en votre honneur.
« Le peuple algérien, confiant en lui-même, s’est fait une raison de ne rien attendre que de sa propre force. Il est persuadé que la IVe République que vous présidez, coiffée d’un vieux casque colonial et maniant la trique, ne se différencie point des précédentes. »
Combien digne est cette attitude de Messali à côté de celle d’un Ferhat Abbas qui reçut Vincent Auriol à Constantine. L’administration colonialiste ne s’y trompe pas qui réserve aux deux hommes un sort bien différent. Abbas est libre de mener sa propagande à sa guise. Messali, lui, est interdit de toutes les grandes villes d’Algérie. Il est gardé jour et nuit dans sa villa par une escorte policière impressionnante munie de conduites intérieures et de motos. Ce traitement de faveur, unique en France, est tout à l’honneur de ce militant courageux et intransigeant.
– La police pénètre ici, dans ma chambre d’hôtel, à peu près toutes les deux heures, nous dit Messali. On m’interdit de tenir, durant mon séjour, la moindre réunion, le moindre discours. On me recommande de n’avoir aucune activité politique et de visiter plutôt les curiosités de la capitale.
Messali fut reçu, l’autre jour, au foyer des étudiants nord-africains. Il leur adressa quelques mots. A la porte, il y avait plusieurs cars de police. Aussitôt après, nouvelle visite d’un commissaire de police qui l’interroge et dresse un procès-verbal.
– Sous le règne du socialiste M. Naegelen, poursuit Messali, le régime en Algérie est essentiellement, exclusivement policier. La police, appendice hypertrophié du gouvernement général, est omnipotente. Elle a pratiquement droit de vie ou de mort sur l’Algérien. Quoi qu’on dise, j’affirme et j’apporterai des preuves que les supplices de la baignoire et de l’électricité sont de plus en plus monnaie courante dans l’inquisition policière.
Une véritable conspiration du silence s’étend autour de la condition véritable de notre peuple. Un des moyens les plus infâmes consiste en la fabrication méthodiquement faussée des Assemblées et Conseils. Le chef-d’œuvre de cette falsification de la représentation du peuple, c’est évidemment l’Assemblée Algérienne.
Messali élève une protestation énergique contre l’inclusion de l’Algérie dans le Pacte Atlantique. Le gouvernement a visé deux buts :
– Confirmer sur le plan des conventions internationales le caractère français de l’Algérie.
– Garantir la présence française mn Algérie au moyen d’une clause relative à « l’agression interne ».
Il est évident que la France s’est réservée de faire jouer cette clause contre un éventuel mouvement de libération nationale algérien. En tout état de cause, le Peuple Algérien ne pourra se ranger aux cotés de ses oppresseurs.
Mais le temps de Messali est mesuré. Il lui reste encore à recevoir beaucoup de visiteurs. Il nous demande de transmettre ses amitiés à tous nos camarades. C’est toujours pour moi un grand plaisir de lire « la Vérité », nous affirme-t-il. Je lis régulièrement votre journal avec beaucoup d’attention.
Nous prenons congé de Messali non sans l’assurer à nouveau de l’entière solidarité de la IVe Internationale à son égard et à la cause du peuple algérien.
A. DURET.

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