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Un appel de Messali Hadj à la démocratie française

Appel de Messali Hadj paru dans La Commune, n° 4, juillet 1957 ; Demain, n° 82, 4 juillet 1957 ; La Voix du Peuple, n° 33, juillet 1957

Nous publions ci-après l’appel lancé par Messali Hadj aux démocrates français.

Cet appel a été envoyé à notre confrère Demain.

Nous remercions cet hebdomadaire et son directeur le Docteur Robin d’avoir bien voulu nous permettre de reproduire ce document dont l’importance nous paraît incontestable.


VOICI plus de trente mois qu’a éclaté au grand jour le drame algérien. Depuis, le conflit n’a cessé de s’aggraver. Aujourd’hui il s’agit d’une véritable guerre.

Dans quelques jours le problème algérien va de nouveau être évoqué devant l’Assemblée Nationale Française à laquelle le Gouvernement va demander de reconduire les pouvoirs spéciaux.

En France même, les travailleurs algériens, bien qu’au milieu de leurs camarades français, sont de moins en moins à l’abri des lois d’exception.

Et pourtant le peuple français ne peut pas oublier que le peuple algérien n’a cesse d’être à ses côtés pour faire triompher la liberté et LE DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D’EUX-MEMES.

A chaque fois que le peuple de France a été menacé dans ses libertés, les Algériens se sont dressés à côté des Français contre toutes les entreprises de dictature. Aujourd’hui le drame qui se joue en Algérie ne concerne pas seulement le peuple algérien ; c’est aussi le drame de la liberté, de la liberté des Français et de leur avenir.

Tous les jours des Français et des Algériens meurent en Algérie. Tous les jours, des deux cotes, des innocents : vieillards, femmes, enfants, sont frappés dans d’atroces conditions. La misère, la douleur, l’angoisse étreignent les survivants.

L’on ne cesse d’avancer sur le chemin du mal et de la haine qui s’exacerbe jusqu’à prendre le visage du racisme. Le gouffre qui sépare les Algériens de toutes origines ethniques va s’élargissant.

De plus, la guerre d’Algérie pèse lourdement sur la situation française : les travailleurs sont touchés dans leurs moyens d’existence, les impôts s’accroissent, le Trésor de l’Etat se vide et le prestige de la France dans le monde ne se trouve pas grandi.

Allons-nous, les uns et les autres, laisser se développer cette situation au bout de laquelle il ne peut y avoir pour la France que la catastrophe ?

La raison, l’humanité ne nous commandent-elles pas de conjuguer nos efforts pour mettre fin à ce conflit ? Pour les hommes de bonne volonté, tout est possible. Déjà, le 2 janvier 1956, le peuple français avait voté pour que cesse la guerre d’Algérie. Les hommes politiques amenés au pouvoir avaient fait des promesses formelles pour satisfaire les électeurs.

Depuis, l’impopularité de cette guerre n’a fait que croître. Des hommes d’Eglise, des personnalités du monde politique, du monde des lettres et des arts, des économistes, de grands français se sont prononcés pour la paix. La classe ouvrière, ses partis politiques, ses syndicats, le corps enseignant, les femmes et les soldats eux-mêmes veulent que cette guerre se termine.

Ainsi, il existe en France un désir profond de trouver une solution pacifique, juste et démocratique du problème algérien.

Cette constatation nous impose à notre tour en tant qu’Algériens de prendre nos responsabilités. Pour ma part, vieux militant toujours en exil ou en prison pour la cause de la Liberté, je reste l’ami du peuple français et je lui tends une main fraternelle pour préparer la paix en Algérie et un avenir franco-maghrébin, voire même africain, que commandent l’Histoire, la Géographie, l’intérêt commun et la sécurité de tous.

Cette conception est mienne depuis trente ans ; quelles que soient les circonstances, les souffrances et la répression, je l’ai toujours gardée ; bien que frappé par tous les régimes qui se sont succédés de 1925 à nos jours, je suis reste moi-même.

C’est pourquoi nous sommes prêts à toute rencontre en vue d’examiner dans un esprit de mutuelle compréhension les moyens de mettre fin à l’effusion de sang. A cette rencontre il ne doit y avoir ni condition ni préalable ni exclusive. L’essentiel est de se rencontrer pour « causer ».

Sans doute faudra-t-il, par des gestes, créer un climat psychologique qui augmentera d’autant les chances d’entente et de réussite. Le droit d’auto-détermination étant reconnu au peuple algérien, toutes les possibilités de rapports entre l’Etat algérien et la France seront ouvertes.

Libre au peuple algérien, s’il le désire, de choisir d’être avec la France dans un véritable Commonwealth, comme par exemple le Pakistan et l’Inde sont avec l’Angleterre dans le Commonwealth.

Cet appel est l’expression de ma pensée et aussi de mon désir ardent de voir renaitre la paix.

Unissons-nous et agissons pendant qu’il en est temps, pour la paix, pour la démocratie, pour la justice sociale, dans une entente franco-nord-africaine.