Article paru dans L’Avant-garde syndicale. Organe d’action syndicale révolutionnaire, 1ère année, n° 1, novembre 1935 ; suivi de « Il faut défendre les travailleurs immigrés », L’Avant-garde syndicale, 2e année, n° 3, janvier 1936

Les prolétaires étrangers ont suivi avec beaucoup d’intérêt et un grand espoir la marche à l’unité syndicale.
Leur situation entre les deux Centrales était difficile. Si la C.G.T. représentait pour eux une Centrale « légale », au sein de laquelle ils pouvaient s’organiser sans risquer l’expulsion, elle les a répudiés dès que la crise économique en France provoqua un développement du chômage. La C.G.T.U., au contraire, dans une certaine période a su s’occuper de la M.O.I. et être un pôle d’attraction pour cette couche d’ouvriers les plus exploités que sont les ouvriers « étrangers ». Mais depuis, les « tournants » de la C.G.T.U., effectués à la suite de ceux du Parti communiste, ont changé radicalement la situation dans ce domaine. La conséquence la plus tangible du « nous aimons notre pays » de Thorez fut le changement radical de l’attitude de la C.G.T.U. en ce qui concerne la main-d’œuvre immigrée. Le dernier Congrès d’Issy a passé complètement sous silence cette question. Une circulaire confidentielle enjoint aux syndicats unitaires d’éviter de placer les ouvriers « étrangers » aux postes responsables.
Dans la C.G.T., la situation n’est pas meilleure. Au dernier Congrès, une délégation des mineurs polonais a vainement essayé de provoquer un débat sur la situation faite aux ouvriers immigrés. Jouhaux et Cie ont bien manœuvré pour que cette question épineuse se trouve enterrée à la Commission sous forme d’une vague résolution de solidarité. Il ne pouvait en être autrement, car il est bien connu que toutes les mesures prises par le gouvernement contre les « étrangers » pour la soi-disant protection de la main-d’œuvre nationale ont été inspirées et conseillées par les bonzes de la C.G.T.
Cette politique est aujourd’hui poussée jusqu’au cynisme par la création de deux catégories de syndiqués dans la C.G.T. : d’une part les ouvriers français qui ont tous les droits, d’autre part les syndiqués « étrangers » qui ont pour devoir de payer les cotisations mais « sont priés de s’abstenir de venir » à certaines réunions. Cela s’est passé dans le syndicat confédéré des terrassiers à propos de la démolition du Trocadéro. Le communiqué avec cette phrase honteuse « les camarades étrangers sont priés de s’abstenir » s’étalait en lettres grasses dans le Populaire et le Peuple, remplissant de joie tous les Croix de Feu et autres Solidaristes Français.
Telle est aujourd’hui la situation des prolétaires immigrés. Après avoir pendant la « prospérité » rempli par leur travail les coffres-forts du capitalisme français, ils sont aujourd’hui chassés par le chômage, traqués par les Pouvoirs Publics et livrés sans défense par la bureaucratie des syndicats ouvriers. 600.000 ouvriers « étrangers » ont quitté la France depuis la crise. La situation de ceux qui reste empire chaque jour. La vague de chauvinisme, la haine des « étrangers », les brimades des Pouvoirs Publics, le chômage, pèsent lourdement sur eux, qui ne peuvent retourner dans leurs pays, à cause du fascisme ou du chômage.
La décadence du mouvement syndical, le naufrage dans la collaboration de classes, dans le nationalisme de la C.G.T. les privent des derniers défenseurs sur lesquels ils auraient dû pouvoir compter.
Les camarades syndicalistes révolutionnaires ne peuvent pas rester indifférents devant cet état de choses. Une de leur première tâche est de lutter avec acharnement contre la volonté des bureaucrates d’instituer cette catégorie de syndiqués diminués que seraient les syndiqués « étrangers », simples cochons de payants.
Les militants révolutionnaires devront s’efforcer de combattre l’esprit de chauvinisme et demander dans leurs syndicats unifiés qu’ils prennent la défense de la main-d’œuvre immigrée, non pas seulement par des résolutions platoniques, mais en combattant les lois exceptionnelles sur les « étrangers ».
Nous estimons qu’agir ainsi est, pour les révolutionnaires, remplir notre devoir de prolétaires envers nos frères de classe et servir le redressement du mouvement syndical.
Pour que l’Unité serve la classe ouvrière
Il faut défendre les travailleurs immigrés
L’existence d’un nombre important d’ouvriers immigrés en France est dû à la situation spécifique de son économie d’après guerre.
La reconstruction des territoires dévastés, et en général le développement et l’élargissement de l’industrie, et le nombre considérable de morts dans la dernière guerre, ont provoqué une demande accrue de main-d’œuvre que le pays lui-même était incapable de fournir.
D’où une politique de la porte ouverte pour les travailleurs étrangers, pratiquée par le patronat et les pouvoirs publics, aussi longtemps que la M.O.I. leur était profitable et indispensable. Avec l’aggravation de la crise et du chômage en France, les ouvriers immigrés deviennent un fardeau pour la bourgeoisie. Le gouvernement réduit et supprime rapidement les minimes droits accordés à ces travailleurs : diminution du secours de chômage, loi qui fixe à 10 % le nombre d’ouvriers étrangers dans l’industrie, expulsion massive pour participation avec les travailleurs français aux actions de grèves et manifestations, et la dernière loi draconienne de la suppression de la carte des travailleurs à la quasi-majorité des ouvriers. Toutes ces restrictions ont forcé un certain nombre de travailleurs qui ne peuvent pas retourner dans leurs pays à travailler à domicile (à façon). Maintenant le gouvernement a pris des mesures analogues contre ces derniers.
Ces mesures draconiennes aboutissent à ruiner et affamer des centaines de milliers d’ouvriers et leurs familles (l’allocation au chômage, déjà maigre, est automatiquement supprimée à tous ceux à qui a été retirée la carte de travailleur). La démagogie du gouvernement et des éléments réactionnaires, qui déclarent qu’avec le refoulement des ouvriers immigrés le chômage va disparaître, ce qui donnera du travail aux ouvriers français, s’est avérée non fondée.
Malgré la diminution de 50 % des ouvriers immigrés, le chômage en France n’a pas diminué, mais bien au contraire, pendant ces derniers semaines, a considérablement augmenté. En dépit de cette situation tragique, les travailleurs étrangers n’ont trouvé aucune aide de la part des ouvriers organisés de France. Une grande responsabilité, pour ces mesures draconiennes et la xénophobie, incombe aux dirigeants de la C.G.T. et de la S.F.I.O. et à la négligence criante de la C.G.T.U. et du P.C.
Ce fut la direction de la C.G.T. qui, la première, a demandé « le travail aux français d’abord »(voir proposition de la C.G.T. pour les travaux de Paris, l’exposition, et le Trocadéro). Ce fut le syndicat de la chapellerie parisienne qui fit placarder des affiches dans Paris où il demandait de dénoncer les « faux façonniers », c’est-à-dire ceux à qui le gouvernement a supprimé le droit au travail.
La proposition de limitation aux 10 % provient de la S.F.I.O. de l’époque Frossard et fut adopté par sa fraction parlementaire. A côté de cette action, on trouve maintenant dans les colonnes de « l’Humanité » des appels, comme « la France aux Français » (Duclos), etc.
Dans une telle situation, le devoir d’un ouvrier organisé dans la C.G.T. unifiée est grand. Il a comme tâche de lutter pour l’abolition de toutes ces restrictions contre son compagnon de classe, pour :
Le droit égal au travail pour les étrangers comme pour les indigènes ;
L’arrêt des expulsions massives ;
Le droit d’asile et d’existence ;
Remise de la carte de travailleur qui lui donne le droit au travail ;
La liberté de choisir son travail et son lieu d’habitation dans toute la France ;
La C.G.T. unifiée doit lutter avec la plus grande énergie pour que les travailleurs étrangers bénéficient de tous les droits sociaux qu’ont les travailleurs de ce pays ;
Egalité du secours du chômage, droit aux caisses de maladie. Assurance vieillesse, droit de vote pour les élections aux institutions ouvrières : conseil prudhomme, caisse de maladie, délégués mineurs, etc.
La bourgeoisie française qui a comme but de dresser les ouvriers français contre les étrangers et par ce fait affaiblir la résistance commune contre les attaques du niveau de vie des travailleurs, doit être énergiquement combattue. Seul le bloc de tous les exploités, sans distinction de races, de nationalités, dans un syndicat unique de lutte, peut permettre une lutte efficace contre notre ennemi commun.

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