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Messali Hadj nous parle de l’Afrique

Article paru dans La Révolution prolétarienne, n° 138, mai 1959, p. 24.

Après toutes ses années de prison ou de déportation, Messali Hadj, libéré de Belle-Ile, et gardant de là bas le souvenir de nos camarades du Cercle Zimmerwald de Niort, a répondu à l’invitation de la « R. P. » et du Cercle Zimmerwald de Paris et est venu nous parler des problèmes de l’Afrique du Nord. Parmi nous, dit-il, il se sent chez lui. Ainsi y a-t-il toujours eu, même dans les moments les plus sombres de son combat, une poignée d’amis, la « baraka », où des Français ont été mêlés aux Algériens.

La causerie de Messali a été enregistrée et nous nous proposons d’en faire une brochure.

On ne trouvera ici, en attendant, que quelques notes jetées de mémoire sur le papier.

Messali nous a parlé avec familiarité et gravité à la fois. Avec lui ce n’est pas seulement le côté politique et militaire du problème algérien que nous avons vu, mais son aspect humain. Il rappelle d’abord comment l’élan de l’Algérie vers son émancipation est né en France, parmi les travailleurs venus de l’autre côté de la Méditerranée. Il dit à quel point est misérable, matériellement et moralement, la condition de ces travailleurs. Ce n’est pas seulement sa vie, mais celle d’un bon nombre de membres de sa famille que doit gagner chacun d’eux. Misérables entre les misérables, et parce qu’ils sont des prolétaires, et parce qu’ils appartiennent à un peuple asservi. Des intouchables, dit Messali.

Et ce fut la fondation de l’Etoile nord-africaine, qui est aujourd’hui le M.N.A. nord-africaine, et non pas algérienne. L’émancipation des peuples de l’Afrique du Nord est indivisible. Les Tunisiens et les Marocains s’en rendent compte aujourd’hui.

Il est un autre caractère que Messali a toujours conservé à son combat. Ce combat que les travailleurs algériens ont voulu mener solidairement avec leurs frères du Maroc et de Tunisie, ils ont voulu aussi le mener solidairement avec les travailleurs français. Mais la gauche et l’opinion ouvrière n’ont guère justifié en France cette confiance des travailleurs algériens. Le Front Populaire ne répondit pas en 1936 aux espérances qu’il avait fait naître parmi eux. Le peuple algérien est resté jusqu’à ce jour condamné à la solitude et au silence. C’est ce silence qui doit cesser.

Ayant fait jusqu’à la guerre actuelle l’histoire des efforts accomplis par Je peuple algérien pour s’affranchir du joug colonial, Messali indique une fois de plus quel est à ses yeux le chemin de la paix. Il ne peut y avoir au conflit de solution militaire. La solution ne peut pas être trouvée non plus au moyen de rencontres secrètes dans des palaces. L’opinion du peuple algérien ne commencera d’être exprimée que s’il est témoin de négociations entreprises au grand jour, sans préalable ni exclusive, autour d’une table ronde.

*

A la suite de la causerie de Messali un assez grand nombre de camarades lui expriment leurs opinions, leurs sympathies, les questions qu’ils se posent. Il leur répond à la fin de la réunion.

Des camarades de la C.G.T. Force Ouvrière souligneront le progrès que manifeste la résolution votée à leur congrès sur la question algérienne : négociations sans préalable ni exclusive (1). Mais Delsol s’est refusé à voter cette résolution à cause d’une dernière partie laissant l’avenir de l’Algérie aux bons soins du gouvernement français.

Ce qui est mis en question dans la plupart des interventions, c’est le nationalisme des Algériens. Et on fait remarquer que les travailleurs français ont été incapables de surmonter leur propre nationalisme et d’apporter aux travailleurs algériens une compréhension et un appui qui, sans attendre les motions des congrès, auraient dû commencer, comme le dit Mercier, sur les chantiers mêmes. Ne serait-on pas mal venu, dans ces conditions, à reprocher aux travailleurs algériens de vouloir pour s’affranchir eux-mêmes, affranchir leur pays ? On ne saurait les empêcher de passer par l’étape nationale. Ce sera à eux, comme le dira Messali en conclusion, après être venu à bout des pachas étrangers, de venir à bout de leurs propres pachas.

Si fidèle qu’elle demeure à la cause défendue par Messali, notre amitié ne pèse malheureusement pas d’un grand poids dans la conjoncture actuelle. Nous sommes d’autant plus touchés de voir Messali lui attacher du prix.


(1) Notons que l’Union des Syndicats des Travailleurs Algériens, Fédération de France a « salué avec joie la résolution adoptée par le Congrès Force ouvrière, persuadée qu’elle traduit les sentiments de la grande majorité des travailleurs français et algériens ». – N.D.L.R.

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