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« Liberté démocratique » et frontisme

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, mensuel de l’Organisation communiste révolutionnaire internationaliste d’Algérie, n° 58, mai 1984.

Comme en attestent les dernières arrestations en Algérie, la lutte contre la répression et pour les « droits démocratiques » des masses opprimées (liberté d’organisation, de grève, d’expression et de manifestation) est constamment à l’ordre du jour. Nous nous sommes exprimés à plusieurs reprises dans notre bulletin sur les axes programmatiques qui définissent la stratégie et la tactique de notre tendance sur cette question.

Le problème qui se pose aujourd’hui consiste à définir concrètement l’attitude des communistes internationalistes vis-à-vis de courants politiques réactionnaires bourgeois (Ben Belliste, Intégriste, etc. ) en butte à la répression. Doit-on se mobiliser pour réclamer la libération des Ben Bellistes et des FM arrêtés ? Fait-on le jeu de l’Etat bourgeois en refusant de se mobiliser pour la libération des militants de ces courants ? Doit-on s’associer à d’autres tendances politiques dans la lutte contre la dictature, etc. ?

LE COURANT BEN BELLISTE, UN COURANT IDEOLOGIQUEMENT ET SOCIALEMENT BOURGEOIS

Interclassiste (niant les classes sociales), populiste, prenant pour référence la sinistre République Islamique de Khomeiny, l’ex-président tente de revenir sur la scène politique pour présenter les intérêts de certaines fractions de la bourgeoisie (privée) et de la petite-bourgeoisie. Nous ne ferons pas semblant de critiquer ou de polémiquer idéologiquement avec l’organisation de Ben Bella. Le passé politique de l’ex-dictateur parle pour lui à tous les niveaux. Qui a oublié que celui qui se pose en champion de la lutte pour les « libertés démocratiques » a été le premier dictateur de l’Algérie indépendante. Logiquement il regroupe autour de sa personne des individus appartenant aux couches sociales intéressées par son projet politique (bourgeois, petit-bourgeois) à savoir représenter une alternative pour la survie du capitalisme en Algérie.

En bref, le courant Ben Belliste est bourgeois par son programme comme par sa base sociale. C’est en partant de ces considérations que nous disons que la répression qui peut frapper ses militants, comme celle qui a touché les Frères Musulmans, s’inscrit dans le cadre d’affrontements entre cliques bourgeoises et réactionnaires. Les travailleurs n’ont aucun intérêt à se mobiliser pour exiger la libération des Ben Bellistes ou des FM. Autrement dit, si l’on peut montrer le caractère dictatorial de l’Etat bourgeois qui s’attaque à des organisations bourgeoises et réactionnaires, nous ne défendrons pas leurs militants. Notre ligne d’action peut se résumer ainsi : A bas la dictature de l’Etat bourgeois, A bas les Ben Bellistes et les FM !

On peut illustrer nos propos en prenant l’exemple de l’expulsion des 4 militants Ben Bellistes de France. Ce fait est significatif de la complicité qui existe entre l’impérialisme français et le gouvernement algérien, et nous devons dénoncer leur politique répressive ; mais il n’appartient pas aux travailleurs et à ceux qui se réclament de la cause du communisme révolutionnaire de se mobiliser pour demander le retour de ces militants, ou la liberté de parole pour Ben Bella…

Le courant Ben Belliste affirme lutter pour les « libertés démocratiques », certains (et nous ne parlons pas des militants de ce courant) croient ou affectent de croire que c’est vrai. Dans la lutte pour les « libertés démocratiques » se posera le problème de la destruction de l’Etat bourgeois. La survie du système capitaliste est incompatible dans un pays arriéré avec un Etat bourgeois démocratique. Les exploiteurs n’ont pas les moyens d’assurer (sur une période de temps significative) tous les ingrédients (partis réformistes, et syndicats pour maintenir l’expression des travailleurs dans le cadre du système) indispensables à l’existence d’une démocratie bourgeoise.

Les travailleurs dans leur lutte pour obtenir le « droit » de s’exprimer, de s’organiser, de faire grève, etc. se poseront le problème du pouvoir. Or quand l’alternative du pouvoir sera à l’ordre du jour, toutes les forces bourgeoises qui se disent aujourd’hui dans l’ « opposition » choisiront leur camp ; il n’est pas difficile de savoir lequel !

Dans le meilleur des cas, (le pire pour nous), les organisations bourgeoises (celle des Ben Bellistes par exemple) voudront se servir des travailleurs comme marche-pied pour accéder au pouvoir. Ceux qui acceptent de se compromettre avec les forces bourgeoises, quelles que soient leurs critiques par ailleurs, les cautionnent de fait. Sous prétexte d’efficacité, ils font leur jeu et leur servent de rabatteurs. Ce n’est en aucun cas sur l’alliance avec des cliques bourgeoises que nous devons compter pour mener la lutte – mais dans des « limites démocratiques » -, mais sur la mobilisation des masses opprimées elles-mêmes.

L’UNITE D’ACTION, OUI MAIS …

Nous nous réclamons sur cette question des lignes d’orientation qui sont à la base de la tactique du Front Unique de l’IC. Nous ne nous étendrons pas sur certaines formulations ambiguës, voire carrément opportunistes de l’IC, concevant le Front Unique dans la perspective d’une alliance durable avec des organisations réformistes en vue d’un équivoque « gouvernement ouvrier », dans le cadre de l’Etat bourgeois (!). Le problème est de définir les conditions, les axes stratégiques et tactiques en vue de la réalisation d’un front uni ouvrier, face aux attaques des forces bourgeoises contre-révolutionnaires. Le premier point à souligner, c’ est I’unité d’action se pose au sein de la classe ouvrière, entre ou avec les différents courants qui se réclament d’elle (ce qui n’est pas le cas des Ben Bellistes, des FM, etc.).

L’objectif d’une telle tactique est de permettre aux travailleurs, sur la base de revendications permettant la défense de leurs intérêts, de réaliser l’unité la plus large.

– Pour les révolutionnaires, le Front unique n’est pas une alliance durable, mais une action ponctuelle. A plus forte raison, il ne peut consister en des fusions sans principes avec d’autres organisations. La tactique du Front unique suppose un certain nombre de conditions favorables :

Il est indispensable notamment aux communistes de disposer d’une force conséquente face aux organisations disposant d’une implantation dans la classe ouvrière, mais défendant un programme bourgeois. Sinon il s’agit non plus d’un Front unique, mais de se mettre à la remorque d’organisations opportunistes.

– Dans notre cas, dans celui d’une petite organisation, nous ne pourrions envisager de proposer des actions de Front Unique qu’à l’échelle de nos forces. Autre condition : l’indépendance complète des révolutionnaires pour défendre leur programme, à la fois vis-à-vis des opportunistes, des centristes et même vis-à-vis d’autres tendances révolutionnaires.

Il ne faut pas perdre de vue que l’unité n’est pas un but en soi. Notre tactique obéit à deux objectifs indissociables, renforcer la classe ouvrière et saper l’influence des opportunistes en son sein. Si l’unité doit permettre à des opportunistes de torpiller une lutte et d’ accroître la confusion, alors l’unité est préjudiciable.

– Le meeting du 16 mars à la Mutualité à Paris, est révélateur à ce sujet. Il a été principalement organisé, suite aux dernières arrestations, par le « Comité pour la libération des prisonniers politiques en Algérie », auquel se sont associés les Ben Bellistes, l’UGS, l’OST, etc. Les positions concernant les « libertés démocratiques » exprimées lors du meeting correspondaient, au niveau des objectifs comme des moyens, prioritairement et principalement aux intérêts des bourgeois et petits bourgeois libéraux. Et toute cette grande messe célébrée à l’unisson sur l’autel de la démocratie s’est soldée par une délégation… à Chadli !

Il n’est d’ailleurs pas dit que les prisonniers politiques bourgeois ne bénéficient pas de la mansuétude du pouvoir ; mais pour les dizaines de travailleurs et de jeunes anonymes, ce sera différent. Il faudra plus qu’une délégation la solidarité agissante de leurs frères de classe !

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