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La vocation à la dictature

Article publié dans La Nation socialiste, n°57, juillet-août 1962

 

 

Le point de vue de Martial :

 

La vocation à la dictature

L’exclusion du P.P.A.( ex-M.N.A) de la campagne pour l’autodétermination en Algérie confirme nos appréhensions de toujours sur l’avenir de la démocratie dans ce pays.

Mais que cette exclusion ait été prononcée avec l’approbation tacite du représentant de la France, garant principal de l’honnêteté du scrutin, c’est la preuve d’une double trahison.

Première trahison : celle des accords d’Evian. L’esprit de ces accords c’est, avant tout, la garantie donnée au peuple algérien qu’il pourra s’exprimer librement sur l’orientation de son indépendance.

Aujourd’hui il n’y a plus de libre choix possible. Le F.L.N. impose sa loi partout avec la complicité sinon le soutien des autorités françaises. Certaines accusations formulées contre de Gaulle prennent un relief saisissant. Le M.N.A. a été livré au F.L.N. Son extermination a été avec l’arrangement sur le Sahara, l’une des conditions principales du marché. Sur ces deux points des promesses solennelles avaient été formulées : elles n’étaient que fumées qui masquaient les véritables inventions : « Bah ! pensent les confortables négociateurs gaullistes, ils se débrouilleront entre eux… »

Les conséquences du parjure ne se sont pas fait attendre : dans le bled, en Algérie, les enlèvements et les égorgements de militants M.N.A. se multiplient. Des pressions violentes sont faites sur les familles pour faire revenir dans leur douar les militants domiciliés en France. Non pas pour les inviter à construire une Algérie fraternelle. Dès leur arrivée le couteau des assassins les attend. En France même, à Paris et dans les grandes villes, les mêmes mesures d’extermination se déroulent presque sous nos yeux. Les meilleurs éléments du M.N.A., des militants ouvriers authentiques, doivent vivre constamment sur leur garde. L’appareil F.L.N., proliférant sous le regard bienveillant de la police, organise avec ses méthodes propres la mise en condition de la population musulmane.

Qui proteste ? Les professeurs de démocratie que prétendent être les communistes auraient là une belle occasion de faire montre de leur sincérité. Mais comment protesteraient-ils alors qu’ils voient réaliser par d’autres l’un de leurs plus chers souhaits : l’écrasement de révolutionnaires gênants. Qu’on se souvienne de ce qu’écrivait la presse communiste en mai 1945 au moment de la révolte de Sétif, organisée par les messalistes. Alors que la répression française s’abattait sur les Algériens, le P.C. réclamait « le châtiment rapide et impitoyable… » contre « les instruments criminels que sont les chefs P.P.A. tels Messali ».

Qui proteste ? Pas le gouvernement qui a partie liée, pas les pétitionnaires professionnels, ni François Mauriac qui cependant a trouvé en d’autres occasions les accents de la brûlante pitié chrétienne, pas l’O.A.S. que les ratonnades n’émeuvent pas et qui sait, elle aussi, que la défense des intérêts capitalistes ne passe pas par le M.N.A.

Ce silence autour de l’étranglement des libertés en Algérie, ce révoltant mutisme, ces sournoises et honteuses complicités, ces sanglants et sordides marchandages par le corps déjà mutilé de la jeune nation maghrébine, que signifient-ils ?

Ils ont une signification politique, ils construisent la deuxième trahison : celle de la révolution algérienne.

De Gaulle comme le F.L.N. ont intérêt à traiter de puissance à puissance. Les desseins de l’un et de l’autre s’inscrivent dans le cadre d’une Algérie solidement tenue en main, où règne « l’ordre », où soit assuré la rentabilité des capitaux investis ou à investir, où soit canalisée et ordonnée toute opposition démocratique. Un peuple soumis à une seule volonté. C’est là conception politique du gaullisme comme du « frontisme »…

Dans cette perspective l’O.A.S. trouve sa part : elle assurera seule la représentativité des intérêts européens en Algérie et le P.C.A., débarrassé de l’opposition vigilante du P.P.A., peut espérer bénéficier sur la gauche musulmane comme sur la droite européenne, des désillusions inévitables et des revanches qui restent à prendre…

Cet accordement des intérêts, cette alliance du monolithisme conduisent l’Algérie à un nasserisme sans Nasser ou à un stalinisme sans Staline. Mais à coup sûr hors des chemins de la démocratie souveraine.

Certes, le rôle prédominant du F.L.N. dans la lutte pour l’indépendance ne peut être mis en cause. Mais en refusant la réconciliation il a confirmé sa vocation à la dictature. Et en même temps il a semé un nouveau ferment de la discorde.

C’est une nouvelle lutte qui commence. Après le combat pour l’indépendance, le combat pour la libération politique.

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