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« El Oumami » : Du léninisme au nationalisme ouvert

Article paru dans Le Communiste, n° 15, novembre 1982, p. 35-37.

Le groupe « El Oumami » (« L’Internationaliste ») section du « P .C. I. » (« Le Prolétaire » ‑ « Programme Communiste ») pour l’Algérie vient de quitter avec « armes et bagages » cette organisation. Conséquence d’une « crise larvée (qui) ronge le parti communiste international depuis au moins un an », c’est sur l’appréciation des événements du Liban (1) et plus particulièrement sur la « légitimité du sentiment national arabe », sur le soutien plus ou moins ouvert au nationalisme palestinien impliquant de facto la participation à la boucherie capitaliste, que s’est effectuée cette scission organisationnelle.

Jamais, le P. C. I. n’a su clairement prendre position sur la question nationale : un jour, l’ère de révolutions nationales est close ; un autre, cela dépend des régions du monde. Mais en fait, il ne fait que véhiculer l’idéologie social‑démocrate qui voit le capital, aujourd’hui encore, étendre progressivement sa domination sur la planète. Pour les sociaux‑démocrates, le capital n’est pas un mode de production englobant nécessairement toute la planète, mais une addition de capitalismes nationaux. Pour eux, la société n’est pas seulement divisée en deux classes antagoniques, mais encore, entre différents capitalismes et le reste du monde qui ne le connaît pas encore. De même, ils ne conçoivent pas le développement du mode de production capitaliste comme polaire, contradictoire, ils n’en retiennent que le pôle positif, ils l’assimilent à la richesse, la croissance industrielle et nient la conséquence inévitable que sont la paupérisation, les destructions. Pour le P. C. I. et similaires, le capitalisme modèle est l’Europe occidentale : tant que le monde n’a pas le même aspect partout, le prolétariat doit aider la bourgeoisie « autochtone » à s’ « émanciper » (le plus souvent de l’impérialisme des Etats‑Unis et prenant donc parti pour celui d’U. R. S. S.) pour développer le « progrès ». En d’autres termes, le prolétariat devrait défendre les intérêts de la bourgeoisie tout en restant « autonome » (tout en défendant ses propres intérêts de classe contradictoires à ceux de la bourgeoisie! ), ce qui revient à lui demander de développer sa propre exploitation ! !

Sur base de ce frontisme, la social‑ démocratie a toujours écrasé les prolétaires en lutte ; les staliniens, léninistes, … se sont rapidement alliés aux Atatürk et Chang‑Kai‑Chek locaux contre la lutte prolétarienne. Et le P. C. I., après avoir soutenu la lutte des « peuples de couleur » ‑- alliant le nationalisme, le racisme, le populisme, … niant la lutte des classes ‑‑ jusqu’à reprendre le mot d’ordre « Palestine vaincra » -‑ niant également la lutte prolétarienne puisque selon l’O. L. P. et consorts l’Etat et donc la bourgeoisie palestinienne n’existerait pas encore -‑, ne doit pas s’étonner de voir ses partisans aboutir à la lutte pratique pour la défense des nations « arabes » et donc prendre fait et cause pour le capital en guerre contre le prolétariat.

En fait, au niveau des positions programmatiques, El Oumami ne fait que pousser, un peu plus loin la dynamique même du P. C. I. qui, depuis une vingtaine d’années, s’enfonce de plus en plus dans l’idéologie léniniste et son corollaire, l’activisme, syndicalisme, légalisme, opportunisme dans le soutien aux luttes des « peuples de couleur ». El Oumami ne fait donc que dire tout haut ce que le P. C. I. pense tout bas… « Imaginons un instant l’invasion de la Syrie par l’armée sioniste. Devons‑nous rester indifférents ou pire appeler au défaitisme révolutionnaire sous prétexte que l’Etat syrien est un Etat bourgeois à abattre ? Si les camarades du « Prolétaire » sont conséquents, ils doivent le déclarer publiquement » (Quelques remarques sur l’article intitulé « Le Moyen‑Orient à la limite de deux époques » dans El Oumami de septembre 1982). (Nous soulignons). En effet, El Oumami (2) a raison sur ce point, si le P. C. I. a un minimum de cohérence, il doit lui aussi inévitablement rejoindre ses anciens amis dans le soutien non seulement de l’Etat bourgeois palestinien, l’O. L. P. (ce qu’il fait critiquement !) mais aussi de la Syrie (!) tombant dans la « guerre populaire révolutionnaire » vieil adage maoïste qui ne sert que de cache ­sexe à la participation à l’un des fronts de guerre impérialiste. Comment peut‑on en effet rejeter la seule position ouvrière, le défaitisme révolutionnaire et donc participer à une guerre bourgeoise, tout en « sauvegardant l’indépendance de classe » ? C’est en revenir aux vieilles inepties social‑chauvines (participer oui mais …) qui n’ont comme unique fonction que de faire participer les prolétaires à une boucherie, pour des intérêts qui n’ont jamais été et ne seront jamais les siens. Le P. C. I. et ses jeunes disciples jouent aujourd’hui le même rôle contre‑révolutionnaire que les trotskystes dans les années ’30 : le recrutement radical et critique de prolétaires pour l’un des fronts bourgeois, le soutien direct à l’un des camps impérialistes.

Et évidemment, des ces arguties pseudo‑théoriques, nos « léninistes algériens » tombent rapidement dans la plus plate apologie nationaliste et chauviniste « Palestine vaincra » ne signifie une fois de plus que le sacrifice de centaines de milliers de prolétaires sur l’autel de la nation, de la patrie, … ou quelles soit arabe, russe ou allemande, c’est celle du capital ! « Palestine vaincra » comme hier « F. N. L. », « Vietnam », … « vaincra » signifie toujours d’abord le cimetière généralisé, puis avec la « reconstruction nationale », les camps de travail forcé ! Ce sont ces soi‑disant communistes (mais « vraiment algériens » !) qui, vingt ans après l’ « indépendance nationale de l’Algérie » veulent orienter la lutte des prolétaires de Palestine, du Liban, de Jordanie, etc. dans la même ornière pourrie qui a permis au capital d’encore un peu plus se développer à partir du massacre d’ouvriers en Algérie, comme dans tous les pays « libérés ». La libération nationale n’est que la libération du capital ! Et qu’en est‑il de leur mot d’ordre « Pas de paix sans la destruction d’Israël » (El Oumami n °1) ? Outre la signification contre‑révolutionnaire du mot d’ordre de « paix », la paix comme la guerre n’étant toutes deux que des moments de la politique du capital, la destruction nécessaire est celle de tous les Etats bourgeois du monde entier parce qu’ils maintiennent tous les rapports de production capitalistes, l’esclavage salarié, Israël tout comme l’O. L. P., la Syrie, … ou l’Algérie.

Mais évidemment, « Le Prolétaire » n’ose pas encore ouvertement affirmer de telles inepties contre‑révolutionnaires, il préfère grenouiller avec « des limites entre deux époques », avec des « clôtures de la phase nationale‑bourgeoise » … pour en fin de compte soutenir dans les faits, la même politique bourgeoise que ses anciens amis d’El Oumami. De plus, les pieds que mettent ces derniers dans le plat bourgeois permettront au P. C. I. d’apparaître comme « plus radical », lui permettra presque, de se refaire une nouvelle « virginité »…

Mais nous ne nous faisons aucune illusion, El Oumami n’est qu’un pur produit du P. C. I. et celui‑ci en arrivera, tout naturellement, à ressortir, un peu plus tard, les mêmes positions bourgeoises que toutes ses « théorisations » préparent depuis bien longtemps. En ce sens, le titre de l’article de scission « Du parti‑programme au parti d’action révolutionnaire » explicite clairement la démarche d’El Oumami, simplement continuer la même ligne que celle du P. C. I., un peu plus activiste, un plus ouvriériste, un peu plus populiste, un peu plus léniniste, un peu plus nationaliste, … tout à fait bourgeoise.

C’est cette involution sinistre que sont contraints de suivre tous les groupes et individus qui, au nom du « concrétisme », de l’ « activité », des « tâches immédiates », du « programme minimum », des « revendications transitoires », … quittent le terrain de la défense intransigeante des intérêts historiques du prolétariat pour s’enfoncer toujours plus dans le marais de la contre‑révolution. Que les révolutionnaires mesurent la distance séparant ces soi‑disant successeurs du combat de la gauche communiste d’Italie, de sa pratique et ses prises de position (3) ! Quant à nous, c’est au nom de la gauche communiste d’Italie et de toutes les fractions communistes du monde que nous appelons les prolétaires à détruire ces organisations du capital.


Notes

(1) Sur la guerre au Liban, nous renvoyons les lecteurs à nos textes : « Contre la guerre impérialiste : la révolution communiste mondiale » dans Le Communiste n° 14 et « Guerre au Liban : Le prolétariat n’a pas de patrie » dans Action Communiste n° 7.

(2) El Oumami est devenu, entre-temps, l’ « organe des communistes léninistes algériens » et ces individus ne se sont même pas rendus compte de la contradiction existant entre le titre de leur revue : « L’Internationaliste » et leur conception nationaliste du parti et de l’internationale conçue comme une addition de partis nationaux, contradiction de plus avec la gauche communiste d’Italie et sa conception marxiste du parti mondial.

(3) Il nous suffit de rappeler l’ensemble des contributions de la fraction à l’étranger (Bilan‑Prometeo) systématiquement camouflées par tous les épigones actuels de même pour de multiples contributions d’individus comme Bordiga, Vercesi.

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