Article paru dans Pouvoir Ouvrier, n° 2, janvier 1959, p. 1-3.
Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la libération et tous les partis ont adopté comme programme la grandeur, la puissance et l’indépendance de la France. Ils ont échoué. De Gaulle va peut-être réussir si les ouvriers le laissent faire.
La polémique entre les partis aujourd’hui se réduit à quoi ? A se chamailler pour savoir si les méthodes de De Gaulle sont bonnes ou mauvaises pour réaliser cette grandeur française.
Pour nous, nous pensons que la méthode de De Gaulle est bonne. De Gaulle veut la grandeur de son pays, c’est-à-dire l’enrichissement du gros capital, la puissance de l’industrie française, la puissance de l’armée française, un grand pays de Dunkerque à Tamanrasset, un pays indépendant qui aura bientôt sa bombe atomique et peut-être son spoutnik.
Pour parvenir au rang de grande puissance, il faut qu’un petit pays se sacrifie, c’est-à-dire avant tout sacrifie sa classe ouvrière.
En effet, pour concurrencer les autres pays, ne faut-il pas diminuer les prix de revient de la production ? Et pour diminuer ces prix de revient ne faut-il pas diminuer le pouvoir d’achat des travailleurs et augmenter la productivité ? La France ne sera pas un grand pays industriel si elle met les bénéfices dans les œuvres sociales ou augmente le niveau de vie des travailleurs. Dire qu’il faut à la fois être un grand pays industrialisé d’une part, et prôner l’augmentation des salaires de l’autre est une contradiction. Dans le cadre de la concurrence capitaliste il n’y a pas d’autres solutions que celles que préconise De Gaulle.
Ainsi on fait produire tous les travailleurs du monde entier pour que leur pays soit le plus fort. On augmente leur productivité, on diminue leur pouvoir d’achat, cela se passe surtout dans les pays sous-développés, de Belgrade à Pékin et pourquoi trouverait-on anormal que cela se passe à Paris ?
Pour être un pays respecté, ne faut-il pas avoir une armée forte et une bombe atomique ? Tous ceux qui veulent à la fois que la France soit un grand pays et réduire le service militaire sont des démagogues, des menteurs ou des fous.
Pour être un pays indépendant, il faut moins consommer à l’intérieur et vendre plus à l’extérieur. C’est la politique de De Gaulle, qui réduit la consommation des travailleurs et dévalue le franc. Comment peut-on vouloir que la France, c’est-à-dire le capitalisme français soit indépendant, et prôner le contraire de ces solutions ?
Avons-nous, travailleurs, à nous sacrifier pour l’indépendance et la grandeur de la France ?
Non. Car la grandeur de la France, c’est quoi ? C’est la grandeur de l’industrie, des patrons, des industriels et des banquiers, ce n’est pas la nôtre. C’est la force d’une armée qui a pour but de défendre la propriété de ces capitalistes et de combattre d’autres ouvriers comme nous. C’est la puissance d’une armée qui colonise, pille, tue des ouvriers et des paysans africains. L’indépendance de la France, c’est l’indépendance de Monsieur de Gaulle par rapport à Monsieur Dulles, ce n’est pas l’indépendance de l’ouvrier par rapport à son patron. Nous n’avons rien à faire de l’indépendance ou de la dépendance des capitalistes entre eux. C’est tout cela la grandeur d’un pays et c’est contre quoi on doit lutter.
Tant que les usines n’appartiendront pas aux ouvriers, nous ne pourrons pas non seulement jouir des fruits de notre travail, mais la concurrence entre les pays entraînera toujours une aggravation de notre niveau de vie. Dans 50 ans on viendra encore nous demander de faire des sacrifices pour que l’industrie française puisse concurrencer l’industrie allemande ou anglaise tandis qu’on demandera la même chose aux ouvriers allemands et anglais pour concurrencer l’industrie française.
C’est au nom de cette concurrence que l’on saigne la classe ouvrière française et cette concurrence, ce n’est pas les capitalistes ou les hommes d’Etat avec leurs plans ou marché commun qui l’aboliront. Il n’y aura plus de concurrence seulement si les travailleurs prennent en main leurs usines et qua si les travailleurs de tous les pays s’entendent entre eux. Quand.les ouvriers gèreront eux-môme leurs usines ce ne sera pas pour faire des bénéfices ou pour fabriquer des bombes atomiques ou des spoutniks, mais uniquement pour produire pour la satisfaction des besoins des populations. La gestion des usines par les ouvriers, le pouvoir aux ouvriers est le seul objectif valable qui pourra solutionner le problème de la concurrence des marchandises et des armes entre les pays. Tout le reste n’est que démagogie et mensonge.
Comment réaliser un tel objectif ?
En faisant des pétitions ? En allant protester au parlement? En envoyant des lettres à De Gaulle ? C’est ce qu nous proposent les partis des gauche. Le régime bourgeois français veut relever son économie, il est prêt à tout pour cela et ce ne sont pas les larmoyades de la gauche qui l’empêcheront de réaliser ses objectifs. Seulement des grèves, des manifestations sérieuses pourront arriver à bout du régime et c’est cela qu’il faut faire comprendre à nos camarades de travail. Ce sont pour de tels objectifs et de telles méthodes qu’il faudra s’organiser et faire de la propagande. Lecteur, nous te demandons de le faire avec nous.