Article paru dans Le Prolétaire, n° 413, novembre-décembre 1991.
Le Parti des Travailleurs (PT, ex-OST), plus connu par sa dirigeante Louiza Hanoune, est un parti qui se réclame du trotskysme, version « Lambertiste ». Et comme son organisation-mère, le PCI-MPPT/PT français, le PT s’applique soigneusement à mimer un parti réformiste social-démocrate ; c’est ainsi qu’il se refuse à la moindre propagande communiste et développe au contraire avec une insistance écœurante les thèmes principaux de l’idéologie bourgeoise. En France, démocratie, défense de la laïcité et lutte contre la Constitution de la Ve République sont quelques unes des orientations politiques centrales de ce courant ; en Algérie, le PT réussit le tour de force de courtiser les islamistes du F.l.S. tout en se prétendant le meilleur des démocrates.
Dans un éditorial de « Tribune Ouvrière » (l’organe du PT) après l’instauration de l’état de siège, Louiza Hanoune explique « Pourquoi nous avons rencontré le F.l.S. ».
La réponse est :
« Parce que nous plaçons les intérêts du peuple au-dessus de tout. Le peuple a arraché le multipartisme en octobre 1988 et est organisé dans différents partis, conformément aux opinions des uns et des autres. Nombreux sont les partis, qui tout en reconnaissant la justesse des revendications du FIS, l’ont dénoncé parce que par ailleurs (sic !) il est pour la République islamique. Si tous les algériens avaient les mêmes intérêts et les mêmes opinions, il n’y aurait pas eu octobre 1988, le peuple n’aurait pas payé si cher pour la fin du parti unique !
Le PT non plus n’est pas pour une République islamique. (…) Nous sommes pour une République socialiste, mais pour nous, le préalable à tout, c’est la souveraineté du peuple, le libre choix, c’est-à-dire des élections libres à une Assemblée souveraine. Pour nous la démocratie, c’est d’abord et avant tout la liberté d’organisation dans des partis. Par conséquent le FIS est pour nous un parti politique représentatif d’une couche de la société et d’un point de vue politique ».
Donc pour nos trotskystes la différence entre partisans du socialisme et partisans de la réaction islamiste, entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, ne serait qu’une différence « d’opinions », sans trop d’importance, l’essentiel étant l’expression démocratique de toutes les opinions. De même, si tous les algériens n’ont pas « les mêmes intérêts », il existerait des intérêts supérieurs, passant avant tous les autres : « les intérêts du peuple ».
Dans cet effroyable charabia, une seule chose est vraie : tous les algériens n’ont pas les mêmes intérêts. En Algérie comme partout la société est divisée en couches, en classes antagoniques aux intérêts opposés et qui donnent naissance à des partis politiques pour défendre ces intérêts. En Algérie comme ailleurs la bourgeoisie exploite la classe ouvrière ; celle-ci cherche à se défendre contre cette exploitation ; les différentes classes intermédiaires luttent pour éviter leur prolétarisation et pour s’assurer une meilleure place dans la hiérarchie sociale. Dans des situations économiquement difficiles les contradictions sociales deviennent plus aiguës ; la lutte entre les classes risque de mettre en péril le système capitaliste si la classe des exploités entre dans le combat. C’est précisément pour éviter ce danger, pour canaliser la colère des exploités sur la voie sans issue du cirque électoral, que la classe dominante a réalisé la démocratisation de son système politique (ce que le PT veut faire passer comme une conquête d’octobre 88 : les émeutes de la semoule sont transformées en mouvement du « peuple » pour la démocratie…). Le PT s’empresse de contribuer de toutes ses forces à cette sinistre besogne de maquillage démocratique de l’Etat bourgeois. Il va jusqu’à prêcher l’unité entre les algériens, c’est-à-dire en fait la renonciation à la lutte de classe, seule façon qu’a le prolétariat pour se défendre contre l’exploitation et pour améliorer ses conditions d’existence :
« Et c’est précisément parce que nous sommes pour le multipartisme et la démocratie réelle que nous sommes pour l’unité. L’unité se fait sur un minimum d’accord en liaison avec les intérêts de la majorité. Mais elle ne peut se faire que dans le respect des opinions des uns et des autres », etc ; le PT était donc allé discuter avec le « majoritaire » Abassi Madani (dirigeant du FIS) ; Mais quand l’état d’urgence a été décrété et Madani arrêté, le PT a couru pour répondre à une invitation d’entretien avec le Premier Ministre ; « parce qu’il s’agissait une fois de plus du sort du peuple et du pays, nous avons rendu public l’entretien »: d’autres en auraient eu honte, pas le PT, qui n’a pas caché ses divergences d’opinion avec le Premier Ministre. Mais ces divergences n’ont bien sûr pas empêché le PT de participer au grand show télévisé organisé par le gouvernement pour démontrer l’existence d’un consensus politique autour de son action.
Les trotskystes du PT ne sont pas dégoûtés ; ils sont prêts à embrasser la barbe des islamistes ou le nœud-papillon des bourgeois libéraux, à s’unir avec les réactionnaires religieux ou les bourgeois laïques, bref à épouser au nom de prétendus intérêts supérieurs communs à tous, n’importe quelle orientation à l’exception de la seule orientation de classe, celle qui est centrée sur les intérêts des seuls prolétaires contre les intérêts bourgeois. Les communistes véritables sont du côté des prolétaires et des masses exploitées, de la lutte de classe et de la révolution ; le PT, lui, « fidèle à son camp », « se range inconditionnellement du côté des travailleurs, du peuple, de la démocratie » : son camp n’est pas celui du prolétariat, c’est celui de la petite-bourgeoisie. Il y a presqu’un siècle et demi, Marx écrivait :
« En ce moment où les petits-bourgeois sont partout opprimés, ils prêchent en général au prolétariat l’union et la réconciliation ; ils lui tendent la main et s’efforcent de constituer un grand parti d’opposition, qui embrasse toutes les nuances du parti démocratique ; en d’autres termes, ils s’efforcent d’enrôler les ouvriers dans une organisation de parti où prédominent les lieux communs généraux de la social-démocratie servant de paravent à leurs intérêts particuliers, et où défense est faite, pour ne pas troubler la bonne entente, de mettre en avant les revendications précises du prolétariat. Une telle union tournerait uniquement à l’avantage des petits-bourgeois démocrates et tout à fait au désavantage du prolétariat. Le prolétariat perdrait en totalité sa situation indépendante (…) et retomberait au rang de simple annexe de la démocratie bourgeoise officielle. Cette union doit être repoussée de la façon la plus catégorique. Au lieu de se ravaler une fois encore à servir de claque aux démocrates bourgeois, les ouvriers, et surtout la Ligue, doivent travailler à constituer, à côté des démocrates officiels, une organisation autonome, secrète et publique, du parti ouvrier, et à faire de chaque commune le centre et le noyau de groupements ouvriers où la position et les intérêts du prolétariat seront discutés indépendamment d’influences bourgeoises » (extrait de « l’Adresse du Conseil central de la Ligue des communiste, 1850).
Dans la suite du texte, Marx avertit les prolétaires qu’il leur faut se préparer à la lutte contre les démocrates bourgeois et petits-bourgeois car ces derniers se tourneront inévitablement contre eux dès qu’ils auront obtenu satisfaction sur leurs revendications propres. A cette époque en Allemagne la révolution démocratique bourgeoise n’avait pas encore eu lieu. Contre les survivances féodales une lutte commune était possible avec les démocrates, mais surtout pas d’union politique, car elle affaiblirait le prolétariat dans l’inévitable lutte entre les classes qui composent le « peuple », dès que l’oppression féodale aurait été éliminée.
La situation est différente aujourd’hui en ce sens qu’on ne se trouve plus en Algérie devant la perspective d’une lutte révolutionnaire anti-féodale (ou anti-coloniale) intéressant objectivement plusieurs classes du « peuple » ; même dans ce cas nous avons vu que l’orientation marxiste est à l’opposé de l’unitarisme du PT. La situation sociale algérienne est intégralement capitaliste et l’Etat totalement bourgeois. Les revendications des démocrates n’ont donc plus rien de révolutionnaire : ce ne sont que des réformes qui laissent intacte l’exploitation capitaliste dont souffrent la classe ouvrière et les masses exploitées. Cela ne signifie pas que les prolétaires doivent mépriser les concessions accordées par la classe dirigeante, en termes de plus grandes libertés d’organisation, de réunion, de presse, etc. Il leur faut au contraire utiliser toutes ces possibilités pour développer la lutte sur leurs revendications socio-politiques de classe (conditions de vie et de travail, salaires, lutte contre les discriminations envers les femmes, contre les licenciements, indemnités pour les chômeurs, etc.)… Sinon, ces concessions démocratiques seront utilisées à la façon du PT et de ses semblables, pour paralyser la classe ouvrière au nom de l’unité du peuple. Cent fois plus qu’à l’époque de Marx, il faut rejeter cette union entre les classes et travailler à l’organisation indépendante de classe du prolétariat.
Les prolétaires « doivent contribuer eux-mêmes à leur victoire finale en prenant conscience de leurs intérêts de classe, en se posant aussitôt que possible en parti indépendant, et malgré les tirades hypocrites des petits-bourgeois démocrates, en ne perdant pas un seul instant de vue l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : la révolution en permanence ! » (Marx, ibid.).
Et ce vieux cri de guerre, les prolétaires le jetteront à la face des disciples dégénérés du théoricien de la « révolution permanente » qui, à force de manœuvres et de compromissions, ont sombré définitivement dans le marais petit-bourgeois.