Article paru dans Action communiste, n° 4, mai 1981, p. 11-13
Ces dernières années, alors que le racisme a toujours été soigneusement entretenu et maintenu latent dans la société, les luttes raciales resurgissent avec vigueur. Les haines raciales éclatent pour donner caution à des expulsions massives de prolétaires immigrés, ou pour aboutir à l’organisation de milices-commandos qui sillonnent les quartiers à forte concentration d’immigrés, pour y mener les ratonnades et y maintenir un climat de terreur. Si la campagne du P.C.F. en est un exemple caricatural, ailleurs cela se fait parfois encore de manière plus discrète. En Belgique, par exemple, sous un climat de campagne de démocrates anti-racistes, les expulsions sont nombreuses, mais l’information en est encore soigneusement filtrée.
Le racisme, s’il existait déjà avant lui, est une expression de la capacité du capital, à entretenir et envenimer des différences réelles pour assurer sa domination. Ces inégalités de fait que les hommes sont différents sont élevées en catégories immanentes et morales, et transformées en antagonismes. Lorsque le capital arrachera les noirs africains de leur communauté d’origine pour les soumettre à l’esclavage, le mythe de la supériorité blanche donnera la caution nécessaire au traitement inhumain réservé aux races « sauvages » et « non-chrétiennes ». Et dans leur révolte, les bourgeoisies locales canaliseront les luttes contre les colonisateurs blancs pour occulter l’exploitation du prolétariat entretenue par elles. Dans les pays en crise, le prolétaire immigré, minorisé, marginalisé, sera la cible toute trouvée au mécontentement des ouvriers locaux pour expliquer la dégradation de leurs conditions de vie.
Particulièrement en période de crise, les objectifs de toutes les les fractions bourgeoises, syndicales ou staliniennes, sont d’aviver le racisme en accusant les immigrés de « voler » le travail aux « nationaux », de faire la concurrence qui fait baisser les salaires, d’ être des parasites au chômage. Le capital, dans sa course effrénée pour les profits, engendre toutes des différences catégorielles entre les hommes et les idéologise pour envenimer les rapports entre ces catégories : cela évite la cristallisation de la société en classes antagoniques et assure la perpétuation du fonctionnement du capital.
Maintenir une société où règne l’harmonie des citoyens au service du capital, tel est le but des campagnes anti-racistes actuelles mises sur pied par tous les démocrates. Leur fonction n’est que de glorifier l’immigré bon citoyen, de l’intégrer en lui octroyant les droits de n’importe quel autre citoyen, et d’exclure les autres qui sont potentiellement dangereux pour la stabilité de la domination de classe. En les isolant et en les excluant, le danger de les mêler aux autres éléments combatifs de la classe révolutionnaire est écarté du même coup.
L’anti-racisme de la bourgeoisie est tout basé sur les grands sentiments idéalistes, sur l’humanisme le plus scélérat. C’est un anti-racisme tout empreint de racisme lorsqu’il s’agit de faire appel à l’ouvrier blanc pour qu’il reconnaisse dans son infinie mansuétude (appelée pudiquement « compréhension ») les autres races. Le ton est donné : opposons les races, les classes ne s’y retrouvent pas.
Pleine de mansuétude, la bourgeoisie condescendante demandera aux peuples de s’accorder ces vétilles : c’est peut-être la garantie de leur soumission reconnaissante ? Car c’est toujours la fraction dominante (sûre de sa supériorité) qui pourra se permettre de « reconnaître » une culture, une race, une langue. Les exploités, dans les luttes pour briser les chaînes de l’esclavage, ne revendiquent rien : ils prennent ; ils ne « reconnaissent » rien, sinon leur force à casser l’ennemi de classe. Alors que la lutte anti-raciste des communistes est la mise en pratique de la solidarité de classe, la veulerie anti-raciste de la bourgeoisie fait appel à l’opinion publique, soumise par définition à la démocratie, stigmatise les différences raciales pour que frères de classe ne puissent s’identifier mais qu’ils puisent s’égorger pour le plus grand profit d’une bourgeoisie béate.
Les fractions bourgeoises de toute tendance partent de la situation réelle misérable des ouvriers immigrés pour canaliser les luttes sur les particularismes de leurs conditions. De leur condition d’exploités, on fera une question morale d’idéal d’hommes égaux, on les fera lutter sur le terrain des droits. Occultant la communauté d’intérêt qui existe entre tous les prolétaires, de briser les chaînes de l’esclavage salarié, quelles que soient les divisions mises en avant par la bourgeoisie, cette dernière utilise au contraire ces barrières catégorielles de statuts, races, nations, pour désamorcer tout le contenu subversif de la lutte. Elle mobilise sur tous les incidents raciaux en les braquant sur l’obtention des droits et des libertés.
En Belgique, le ton des campagnes anti-racistes est donné depuis les attentats des fascistes du « front de la jeunesse » : c’est une succession de déclarations humanistes d’hommes politiques de toute tendance réclamant le « droit à la différence ». Les parlementaires vont jusqu’à faire adopter une loi condamnant tout propos ou attitude raciste. Le bel exemple donnant bonne conscience aux-démocrates : on pourra expulser, mettre en prison, torturer, du moment que le prétexte ne soit pas ouvertement racial. La ségrégation continuera et le mythe des immigrés parasites et sales sera perpétué, mais l’immigré bon citoyen sera protégé puisqu’il existe une loi : les autres, c’est parce que ce sont des provocateurs.
Le droit de vote et l’égalité des droits en général permet aussi de maintenir les luttes dans le cadre strict de l’ordre bourgeois par l’illusion entretenue que ces droits obtenus permettront un réel changement des conditions de vie. Mais la réalité pour celui qui veut voir est parlante : il suffit de prendre l’exemple des Etats-Unis. Il y existe en diverses villes des quartiers ghettos de porto-ricains ayant tous les mêmes droits que n’importe quel citoyen américain. Pourtant, ils sont parmi les premières victimes de la crise, vivent le chômage en masse, croupissent encore toujours dans leurs bidon-villes et subissent continuellement la ségrégation.
Plus près, l’Angleterre a donné la citoyenneté britannique aux prolétaires venant des pays du Commonwealth du temps où il existait encore. Les émeutes de Brixton viennent de nous révéler avec force les changements de conditions de vie que cela a occasionnés. Les émeutes ont montré que dans ces quartiers en ruines, les habitants étaient déjà organisés pour se protéger des attaques répétées des flics et des fascistes du WASP. Et de plus, elles sont l’exemple flagrant que cette lutte est celle de tous les exploités, quelle que soit la couleur de leur peau. Blancs, noirs, tous y sont intimement solidaires, y luttent côte à côte contre les flics. Le problème racial est greffé sur cette lutte de classe pour tenter de la désamorcer, de la détourner. L’idéologie filtre les médias pour ne laisser passer que ce qui la reproduit.
Tous les bourrages de crânes les plus racistes soient-ils se font en plus au nom de l’anti-racisme, pour que l’intégration soit plus aisée. Si la Belgique se veut la plus libérale en ce qui concerne l’immigration, elle n’en a pas moins arrêté depuis 1976 l’octroi des permis de travail. En France, la « reconnaissance » des immigrés est en voie de réalisation : la bourgeoisie revendique, de la droite à l’extrême gauche, le contrôle de l’immigration pour mieux les intégrer. Il s’en suit naturellement un fichage systématique, la débusquation plus aisée des éléments à reconduire à la frontière. Si de toutes parts s’élèvent des critiques virulentes contre le P.C.F., il ne s’agit que de critiques de formes et non de contenu des campagnes racistes. Si la plupart des grands partis bourgeois modèrent et nuancent leurs discours pour la crédibilité comme pour la campagne électorale, le P.C.F. dépasse le simple problème parlementaire de rassembler le plus possible de voix pour organiser les prolétaires afin d’affronter leurs frères de classe dans la tentative de résolutions bourgeoisies à la crise : produire français, sauvegarder l’emploi des français pour les français, etc. Outre la pêche électorale, le P.C.F. vise donc à obtenir une influence et une force réelle au sein des prolétaires. Il organise alors les commandos qui mènent les ratonnades au sein des foyers immigrés, expulsent ceux-ci de force des bâtiments pour la « défense du peuple ». De l’autre côté, les fractions bourgeoises organisent l’expulsion, la lutte pour les droits égaux pour les travailleurs « honnêtes et sincères » et le contrôle de l’immigration.
Là où la lutte de classe contraint les prolétaires à imposer un rapport de forces à la bourgeoisie, où la seule solution pour en finir avec toute l’exploitation et la misère matérielle qui en découle est de recourir à la force organisée, la bourgeoisie désamorce cette potentialité révolutionnaire pour annihiler la classe dans des luttes pour l’obtention de droits supplémentaires, garanties mythiques de l’amélioration des conditions d’existence. Ce faisant, la bourgeoisie met l’accent sur les particularismes réels qui, envenimés, placent les prolétaires sur le terrain de la concurrence.
Les communistes, oeuvrant pour l’anéantissement de la société capitaliste, ont tout intérêt, au contraire, à mettre l’accent sur le côté subversif de la société : la communauté d’intérêt qui place tous les prolétaires sur le même pied face à l’exploiteur. Cette communauté d’intérêt qui est la condition d’exploités de la classe ouvrière, et qui dépasse les différences de races ou de nationalités. Cette communauté d’intérêt qui s’exprime dans la lutte lorsque les prolétaires arrêtent et sabotent la production, lorsqu’il rejettent la défense de l’économie nationale et la paix sociale signifiant l’alourdissement des chaînes de l’esclavage.
2 réponses sur « Racisme/anti-racisme : Une même campagne contre les ouvriers immigrés !!! »
Le PCF qui organise des ratonnades dans les foyers d’immigrés ? Cela a-t-il été vérifié ?
L’article fait référence, me semble-t-il, à l’attaque du foyer malien de Vitry-sur-Seine en décembre 1980 mais sans doute également à l’affaire de Montigny-les-Cormeilles de février 1981, au moment où, selon Le Monde, des élus communistes mènent la « guerre à la drogue ». C’est à cette période que Georges Marchais intervient dans le débat sur l’immigration.