Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 51, janvier 1982, p. 14-15
Ça bouge du côté des femmes en Algérie. L’ « Avant-Projet de statut personnel » (déjà approuvé par le conseil des ministres), a dû en effet être soumis à l’APN lors de sa session d’automne. Ce statut personnel est la réédition du code de la famille que le gouvernement essaie de faire passer dans les textes depuis 1966 : 1966, 1972, 1980, voilà les dates où la mobilisation de quelques centaines de femmes et d’hommes a pu faire repousser les avant-projets successifs.
Aujourd’hui, pourtant, l’Etat algérien semble décidé à en finir, et à traduire en lois la réalité quotidienne. Comme le dit El-moudjahid, « il ne s’agit que d’une mise en texte de ce qui est pratiqué tous les jours ». Nous voilà rassurés !
Qu’est-ce que le projet de « statut personnel » ? Tout d’abord, comme
le dit Bitat, président de l’APN, il doit être « conforme à notre religion
et à nos traditions nationales ». C’est en fait en gros la reconduction de
l’absence totale de droits que subit la femme algérienne :
– elle doit avoir l’autorisation du mari pour travailler.
– elle est toujours une éternelle mineure, sous la tutelle du père, du frère ou du mari.
– elle n’a pas droit au divorce, sauf si elle peut prouver que le mariage n’a pas été consommé, ou qu’elle est gravement maltraitée.
Quand on sait comment ça se passe, autant dire que la femme n’a aucune possibilité de divorce. Le mari, par contre, n’a même pas besoin d’alléguer un motif de divorce.
– la répudiation et la polygamie subsistent toujours. Quand on sait par ailleurs que, dans les tribunaux, le « crime d’honneur » (l’homme tuant sa femme ou sa fille soupçonnées d’adultère ou de relations hors mariage) est encore bien souvent reconnu, on mesure jusqu’à quel point les femmes algériennes sont coincées de toute part.
Contre cela, la mobilisation se développe à Alger depuis la fin octobre. Le 28 octobre dernier, une centaine de manifestantes se sont rendues devant le siège de l’APN. Le 14 novembre a eu lieu une manifestation de postières et d’infirmières. Le 16 novembre, une manifestation a rassemblé environ 400 personnes, appelées par le Collectif des femmes d’Alger. Et plus récemment, le 28 décembre dernier, 200 femmes, avec à leur tête des vétérantes de la lutte de libération nationale et des têtes d’affiche de I’UNFA (l’Union nationale des femmes algériennes, organisation gouvernementale), se sont rassemblées deux heures durant sur les marches de la grande poste centrale d’Alger, avant que la police n’arrive.
Bref, une petite mobilisation se met en place, bien souvent dans le milieu universitaire, lycéennes et enseignantes, ainsi qu’un petit nombre de travailleuses. L’UNFA et le PAGS, cependant, semblent ne pas vouloir se laisser prendre de court, et s’emploient à dévoyer le mouvement par des slogans conformes à leur nature de classe : « La parole aux femmes », comme si la femme de Chadli ou des gros bonnets du régime avaient les mêmes intérêts que les femmes de la classe ouvrière, « Non à ce code de la famille », etc. D’une façon générale, ces deux organisations para-gouvernementales ne remettent pas en cause l’absence de droits des femmes, et ne réclament qu’un timide aménagement du statut personnel en laissant croire que le fait que des femmes assistent formellement aux débats gouvernementaux sur ce statut (mais quelles femmes, de quelle classe, si ce n’est de la bourgeoisie ?) changerait quelque chose aux volontés de l’Etat bourgeois de systématiser leur oppression…
Les femmes travailleuses, n’ont rien à attendre de l’Etat bourgeois algérien, pas plus que de l’UNFA et du PAGS, qui aujourd’hui essaient d’encadrer le mouvement pour mieux briser sa résistance.
La lutte des travailleuses et des femmes des masses laborieuses est celle de toute la classe ouvrière en Algérie, hommes et femmes. Nous devons tout faire pour sensibiliser les travailleurs algériens pour qu’ils participent à la lutte contre une oppression qui est aussi la leur. Surtout à un moment où les attaques contre les femmes et les travailleuses se multiplient : interdiction du travail à plein temps pour les femmes, interdiction de sortir du pays sans autorisation, etc.
Les travailleuses représentent une fraction minoritaire et particulièrement exploitée de la classe ouvrière en Algérie, sans parler des femmes de travailleurs qui ne peuvent pas avoir accès au marché du travail : tous les travailleurs doivent se mobiliser pour l’égalité des droits pour les femmes, et contre le statut personnel gouvernemental !