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Liliane : Le retour au pays

Article de Liliane paru dans Informations et réflexions libertaires, n° 54, février-mars 1984, p. 3


Lors du conflit Talbot-Poissy a resurgi une idée déjà développée sous l’ancien gouvernement de droite par L. Stoléru, en 1977 : celle du retour au pays pour les travailleurs immigrés. Il est d’ailleurs à noter que ce principe de retour au pays avait, à l’époque, provoqué l’indignation des partis de gauche et des organisations syndicales (« lois Stoléru = lois scélérates ») alors qu’il recueille aujourd’hui l’adhésion de ces mêmes partis et organisations.

Comment cette notion de retour au pays a-t-elle refait surface, revendiquée cette fois par les immigrés eux-même ? Parmi les multiples raisons l’origine de cette revendication, aucune n’a eu en soi un rôle déterminant, elle constitue plutôt l’aboutissement et l’accumulation de plusieurs facteurs :

— Avant même l’arrivée en France, il y a une vingtaine d’années, l’idéalisation de ce pays, considéré comme un endroit où tout est facile (« là-bas, on peut acheter tout ce qu’on veut », etc.) et la réalité brutale à l’arrivée : les conditions de travail pénibles, voire inhumaines (« où on est considéré comme du bétail »), l’insalubrité des logements, les « marchands de sommeil » avec en toile de fond les manifestations quotidiennes du racisme. De plus, à Talbot-Poissy, où la grande majorité des travailleurs immigrés habite Poissy ou Dreux, la banalisation de ce racisme ordinaire s’est trouvée confortée par les résultats des dernières élections municipales (montée en flèche de l’extrême droite).

— Un autre élément non négligeable : la CSL, syndicat jaune, organisé en commandos paramilitaires et fascistes, régnant en maître sur l’usine et n’hésitant pas à « casser de l’Arabe » comme on a pu le voir en juin 1982, et plus récemment lors des violents affrontements du jeudi 11 janvier dans l’atelier B3.

— L’absence de formation, volonté délibérée du patronat d’avoir ainsi affaire à un sous-prolétariat (et â ce titre sous-payé…), bien aidé en cela par une maîtrise (la CSL) qui détient le monopole du droit à la formation, des promotions, des augmentations et des avantages sociaux (prêts, logements. etc.).

— La grande désillusion. face au gouvernement de gauche, en qui bon nombre de travailleurs avaient placé leur espoir de changement et surtout d’insertion (comme cet ouvrier déclarant, le lundi après l’expulsion par les CRS : « Moi, si j’avais été français, j’aurais toujours voté à gauche. Mais là, je suis étonné de voir un gouvernement de gauche élu par les travailleurs accorder les licenciements et envoyer les CRS ! Pour nous, c’est pas un gouvernement de gauche, ça ! »).

— Autre désillusion non négligeable dans ce vœu de retour au pays : la CGT, considérée jusqu’alors par les travailleurs immigrés de chez Talbot comme une organisation forte, luttant pour leurs revendications (voir juin 1982, où elle a été l’instigatrice de la grève contre les licenciements et où elle s’est opposée avec violence au joug de la CSL), cette même CGT « négocie » les 2905 licenciements et appelle à la reprise du travail après avoir obtenu l’annulation de 1000 licenciements…

C’est à ce moment que prend corps, dans l’esprit des travailleurs immigrés. la solution du retour au pays et c’est en ce sens qu’il faut l’appréhender : comme un constat d’échec et une solution de désespoir plutôt que comme une volonté réelle.

A ce sujet, les questions que nous pouvons nous poser restent nombreuses, d’autant plus que l’ambassadeur du Maroc en France (rappelons que chez Talbot, 750 licenciés sur 1905 sont des Marocains) a déclaré lui-même que le Maroc n’était pas prêt recevoir une telle quantité de travailleurs (ainsi que leurs familles). En effet, indépendamment des problèmes économiques et sociaux que cet afflux de travailleurs impliquerait (chômage. logements…), les véritables problèmes, que l’ambassade se garde bien d’invoquer, sont d’ordre politique : qui voudrait rapatrier ces ouvriers ayant acquis une certains conscience politique et syndicale à travers les luttes sociales vécues en France, et devenus par le même trop combatifs ? (A cet égard, il faut garder à l’esprit les procédés de « fichage » et de dénonciation mis en place par les « Amicales policières marocaines » lors des conflits de 1982 à Talbot…).

De même, qu’adviendra-t-il des enfants nés en France ces dernières années, ayant reçu une éducation et une culture en majeure partie occidentale et pour qui va se poser le problème de la réinsertion culturelle dans le pays de leurs aînés ? Les immigres eux-mêmes ne se considèrent-ils pas, de toute façon, comme des déracinés, balancés entre deux mondes, n’étant pas totalement intégrés à l’un mais n’appartenant plus vraiment à l’autre ?

Face à toutes ces questions restées sans réponse, et qui dénotent bien la diversité et la complexité du problème, le retour au pays pour les immigres doit s’accompagner de nombreuses conditions : d’une part, il doit être basé uniquement sur le volontariat ; d’autre part, il ne s’agit plus pour eux d’accepter une prime dérisoire de départ, comme le proposait Stoléru et comme le propose aujourd’hui encore le gouvernement français. La revendication de ce qu’ils appellent « leurs droits légitimes » comprend le coût de la formation, les indemnités de chômage, les allocations familiales, le préavis, les droits à la retraite… ce qui, calculé sur les cotisations versées depuis de nombreuses années de travail en France, n’a aucune commune mesure avec la prime de 20000 F, voire même 40000 F « généreusement » octroyée par le gouvernement Mauroy.

C’est ainsi que se pose la seule et véritable question de cette revendication, le retour au pays : Une volonté réelle ou un moyen pour les immigrés d’affirmer leurs droits en tant que travailleurs, face à une société qui voudrait les rejeter après avoir tiré profit de leur force de travail, de longues années durant ?

Liliane

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