Article d’Abdoul le Bougnoul paru dans Informations et réflexions libertaires, n° 76, février-mars 1988, p. 4-5
R.C.N…
I – DECODER LE CODE !
Le code de la nationalité vient de connaître de nouveaux soubresauts après les propositions de la réforme présentées, début janvier 88, par la « Commission des sages » à Chirac. Il y a des chances pour que ces propositions soient prises en compte après les prochaines élections d’autant plus que les pratiques restrictives dans ce domaine sont déjà appliquées dans une large mesure – recrudescence des expulsions, prolongation inconsidérée des délais d’attribution de la nationalité française aux demandeurs – avant même que le législateur se prononce sur la décision de réforme.
La volonté de restreindre « l’accès automatique » à la nationalité, de renforcer l’arsenal répressif, préparé par la gauche [1], et systématisé par la loi Pasqua du 9 septembre 1986, relative aux droits d’entrée et de séjour des immigrés ; et par conséquent de produire de nouveaux étrangers – pratique nécessaire à une idéologie de bouc émissaire – nous paraissent les objectifs immédiatement machiavéliques de cette réforme.
Le débat sur celle-ci ne relève pas du simple domaine juridique et son enfermement apparent dans l’espace du droit a piégé les Beurs qui ont laissé le champ libre à S.O.S.-Racisme. L’égalité juridique induite par l’accès à la nationalité française, implique – ne serait-ce qu’en principe – l’égalité des droits. Autrement dit, la précarité économique, sociale et politique de celui qui se définit par l’absence de papiers français est plus grande que chez celui qui en possède. Il ne s’agit pas ici de misérabiliser le cas en insistant sur l’hyper-marginalisation des uns par rapport au autres, mais d’introduire une contradiction peu perceptible dans l’analyse classique qu’elle soit d’ailleurs de type libertaire ou non.
Celle-ci minimise les inégalités inhérentes aux dimensions extra-économiques. Un certain anarchisme a manifestement des difficultés de se débarrasser du néo-marxisme.
L’internationalisme et le fédéralisme n’impliquent-ils pas une reconnaissance implicite du fait national ? Pourquoi ces valeurs généreuses et les solutions devenues « traditionnelles » émanent avant tout des acteurs qui appartiennent aux pays impérialistes ? Le dépassement d’une problématique nationalitaire est facilement perceptible chez des individus qui n’ont plus besoin de prouver leur appartenance juridique à une Nation ou à une Culture. Dans ce sens, il est rapide d’affirmer que les révolutionnaires des pays du « Tiers-Monde » adoptent des positions nationalistes par cupidité et par désir d’accéder au pouvoir. Un débat sur la décolonisation et l’ethnocentrisme de certaines idées libertaires devrait être mené. En l’occurrence, il n’est pas étonnant de voir que la réforme du Code de la Nationalité (R.C.N.) n’a pas la même importance chez des groupes qui ont des références idéologiques communes.
Si on poussait ce raisonnement jusqu’au bout, on devrait assister à une
forte demande de naturalisation de la part des immigrés afin d’accéder à une plus grande égalité des droits. Or, ceux-ci manifestent des comportements ambivalents : si les uns demandent cette naturalisation, les autres la refusent pour des raisons symboliques, à cause d’une fidélité à une histoire ou tout simplement « victimes » d’une certaine représentation de l’immigré nourrie par des acteurs politiques qui ont intérêt à précariser leurs situations. Précisons, au passage, que la R.C.N. n’est pas seulement un projet machiavélique des différentes droites de « restaurer le sentiment national par épuration de la population française », mais aussi le produit d’une politique hypocrite de la gauche, qui au nom du respect de la différence a déblayé le terrain à la droite (expulsion, aide au retour) [2].
Ce prétendu « libre choix » est exploité par le libéralisme qui résume son action sur cette question par la contestation du droit du sol (article 23 du Code et article 23 de la loi 1973) et par l’exigence d’une épreuve initiatique (il faut mériter l’attribution de la nationalité).
II – LE CONTENU D’UNE REFORME
L’enjeu de la R.C.N. concerne 100.000 personnes par an : 40.000 enfants naissent français d’un ou de deux parents étrangers, 20.000 deviennent français à leur majorité et 40.000 adultes sont réintégrés ou naturalisés. Le rapport Voisard ne cache pas ses présupposés xénophobes et les préjugés alimentés à l’occasion de certaines immigrations : « Les populations concernées, principalement maghrébine, nous sont lointaines par leur culture et leur religion (…). On ne peut nier aujourd’hui l’inquiétude face à l’Islam … il ne semble pas qu’historiquement la France ait été capable de vivre longtemps avec de trop nombreux ressortissants étrangers sur son sol, et c’est sous cet éclairage que doit être abordée la réflexion ·sur le code de la nationalité » [3].
En tenant compte du concept de « distance culturelle » et de la crainte d’attribution de la nationalité aux « non-assimilables », le conseils des ministres du 12 novembre 1986 confie à la « Commission des Sages » un projet de réforme qui propose la suppression de l’acquisition « automatique » de la nationalité à 18 ans pour les enfants nés en France de parents étrangers et la suppression aux conjoints de Français de cette acquisition par déclaration après 6 mois de mariage.
L’examen critique de la R.C.N. par le Groupe d’Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés (G.I.S.T.I.). montre : 1 – que les dispositions en vigueur concernant les jeunes ne traduisent pas par une totale automaticité dans l’obtention de la nationalité à l’instar des jeunes français d’origine, mais par une absence de formalité puisque les intéressés peuvent faire le choix de décliner la qualité de Français (article 45 de la loi) et le gouvernement peut s’opposer à cette acquisition pour « Indignité ou défaut d’assimilation » (article 46 et 106) ; 2 – que le mariage avec un conjoint français n’exerce aucun effet automatique sur la nationalité. La déclaration de changement de nationalité est une démarche lourde et soumise à plusieurs conditions.
Autrement dit, l’actuel code de la nationalité est suffisamment restrictif et la réforme consiste à augmenter les obstacles afin de doubler l’arsenal répressif et de donner une base juridique aux expulsions. Les cas de ceux qui ne peuvent prétendre à la nationalité française s’élargissent : condamnation pour crime, à plus de 6 mois de prison, à une peine quelconque d’emprisonnement. Lorsqu’on cannait la « visibilité » dont font l’objet les jeunes issus de l’immigration aux yeux de l’appareil policier, on comprend bien les finalités de la R.C.N.
III – LA COMMISSION DU SACCAGE
Tout en confirmant les principales orientations de la réforme – déclaration expresse d’adhésion à la Nation – suspicion vis-à-vis des conjoints de français la « Commission des Sages » donne une lecture souple à la contestation du droit du sol. Ainsi les jeunes issus de l’immigration ont un délai de réflexion de 5 ans (de 16 à 21 ans) afin d’opter pour la nationalité française et les conjoints de français doivent attendre plus de 6 mois pour faire une déclaration de changement de nationalité. Les conclusions de cette Commission ne font qu’« humaniser » des décisions qui reflètent l’adoption du principe d’une inégalité de fait augmentée d’une inégalité de droit entre français (quelque soit leur appartenance socialo-économique) et les immigrés.
Le rapport de M. Hannoun intitulé « L’homme est l’espérance de l’homme » rejoint les conclusions des « Sages » : une réforme libérale mais suffisamment répressive (quel espoir !). Il précise : « que l’acquisition passive, voire par omission, de la nationalité française ne joue par un rôle positif sur le plan de l’intégration. De même, il est normal (sic) de préciser qu’il ne saurait y avoir de droit à la naturalisation. » Avant de parler des conséquences de cette position sur les restrictions des droits politiques des immigrés, mentionnons qu’une association comme France Plus juge les propositions des « Sages » « globalement positives », alors que – chose étonnante – S.O.S.-Racisme condamne le projet « en retrait par rapport à la législation actuelle ». Cette évolution d’H. Désir est-elle inhérente à l’entrée en force des Beurs où à une stratégie de « socialiser le combat anti-raciste » ? [4] Assistons nous à un clivage S.O.S.-Racisme/P.S. puisque celui-ci juge « la logique du Rapport est un logique d’intégration et non d’exclusion » contrairement à la plate-forme R.P.R.-U.D.F. ? [5] L’introduction des préoccupations de l’immigration dans l’anti-racisme de S.O.S. – si elle n’est pas conjoncturelle – risque de créer une distance avec le P.S. De son côté celui-ci se rapproche de la droite en mettant en question les pratiques antérieures et le discours sur la France plurielle.
IV – DE NOUVEAUX HORIZONS ?
Mais cette prise de conscience de la question migratoire dans l’anti-racisme de S.O.S.-Racisme est tardive et anachronique par rapport au mouvement immigré et beur en particulier, qui malgré sa division et ses faiblesses propose actuellement d’autres lieux d’intervention et d’autres concepts parmi lesquels mentionnons celui de Nouvelle citoyenneté. Il est nécessaire de faire une coupure épistémologique entre citoyenneté et nationalité, entre nationalité et droit de vote, etc… pour mieux comprendre cette nouvelle donne. Contrairement à ce que pense M. Hannoun, les droits du citoyen ne sont pas liés à l’appartenance à la Nation et ne sont pas essentiellement le droit de vote et d’éligibilité. [6]
L’extra-territorialité de certain groupes, comme chez les immigrés, ou la non-reconnaissance dans une nationalité, chez les anarchistes par exemple, montrent que la nationalité comme définition juridique des individus est inadaptée. « On pourrait alors imaginer avec C. Wihtol de Wenden une nouvelle citoyenneté comme remplacement du concept flou de citoyen par la notion plus précise d’usagers… ». Mais on est encore loin de la réalisation de cette utopie. En sortant de la France l’anarchiste présentera un passeport français et l’immigré doit jouer la carte de la double nationalité qui reste la solution la plus satisfaisante dans l’état actuel des choses. En attendant des jours meilleurs, comment faire pour s’opposer aux expulsions, créer des réseaux de planques, investir des nouveaux espaces de citoyenneté (comités de locataires, de parents d’élèves, d’associations familiales, etc … ? [8]
Abdoul le Bougnoul
NOTES
1 – Voir articles parus dans I.R.L. entre 1982 et 1985 sur la question de l’immigration.
2- Le bureau de la F.A.S.T.I. proche du P.S. affirme dans un document intitulé : « La Nationalité des Jeunes Immigrés » que : « La F.A.S.T.I. va intervenir auprès du Ministère de l’intérieur pour que les jeunes immigrés puissent avoir le libre choix de nationalité. » (F.A.S.T.I., Document Hors Série, p. 2).
3 – J. Voisard, C. Ducastelle : « L’Insertion une nécessité de la politique de
l’immigration » dans « Hommes et Migrations », n° 1099, janvier 1987, p. 15.
4 – Suite aux conseils de certains intellectuels qui affirment qu’un mouvement d’opinion risque de disparaître s’il ne s’attaque pas aux situations sociales qui engendrent l’exclusion. Cf. F. Dubet « S.O.S.-Racisme et la revalorisation des valeurs », Esprit, novembre 1987.
5 – Déclaration de J.J. Queyranne porte-parole du P.S. à la suite de la présentation du « Rapport des Sages » à Chirac le 7.1.1988.
6 – Le rapport Hannoun n’est pas, pour cela favorable au droit de vote des immigrés. Ce dernier ne va pas, selon lui, dans le sens de l’intégration car l’éligibilité des immigrés pose des problèmes constitutionnels.
7 – C. Wihtol de Wenden : « Etat des études en matière de citoyenneté et de nationalité », Dossier Migration, Jan.-Février 1985, n° 24.
8 – Cf. R.E.F.L.E.X. (Réseau d’Etudes, de Formation et de Liaison contre
l’Extrême-droite et la Xénophobie), déc. 1987, n° 12 et surtout l’article : « Etats généraux de l’Immigration, mode d’emploi », et Revue Im’médiat, n° 7, Automne-Hiver 1987-88.