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Le rendement à l’école primaire

Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 19, juin 1960, p. 11-12


Monsieur l’Inspecteur vient d’expliquer à un jeune instituteur comment il fallait travailler dans la classe.

« Le soir, quand vous sortez, vous ne devez plus avoir de cahiers à corriger (il exige pourtant une correction minutieuse) – voilà comment il faut procéder : Dès que vous avez fini la leçon de morale, vous mettez au tableau l’exercice suivant, calcul par exemple ; quand les enfants ont fini de copier la morale, ils font leur opérations ; vous ne devez pas rester à votre bureau, votre place est dans les rangées ; pendant qu’ils font les opérations, vous corrigez la copie de morale, pendant qu’ils font le problème, vous corrigez les opérations, vous corrigerez le problème en dictant l’orthographe, et la dictée pendant qu’ils rédigent les questions. Vous devez expliquer, interroger, surveiller, corriger, ne pas vous asseoir. Le soir, quand les élèves sont partis, vous avez alors le temps de rédiger votre journal de classe, de faire vos fiches de préparation, de préparer la classe du lendemain, etc. »

Le système semble logique, mais au cas où l’instituteur est capable de l’appliquer, que se passe-t-il du côté des élèves ? Dans le meilleur des cas, pendant que nous corrigeons le texte de morale, ils copient ]es opérations les uns sur les autres, et ainsi de suite ; les corrections en sont facilitées, care sur tous les cahiers nous trouvons les mêmes fautes, et nous obtenons ainsi du même coup un deuxième résultat, que Monsieur l’inspecteur réclame : une classe « homogène », sur les cahiers en tout cas. Dans l’autre cas, c’est-à-dire quand l’instituteur ne sait pas faire régner dans sa classe une crainte suffisante pour maintenir le silence et le calme, même quand il tourne le dos, la plus grande partie de la classe n’essaie même pas de copier les devoirs. Les élèves tirent de leurs poches des objets hétéroclites, la classe se remplit de bruits divers allant des chuchotements et grattements aux chocs, parfois à l’explosion.

Dans un cas comme dans l’autre le maître de la classe se crève, il sort vidé, les enfants, eux, sont nerveusement fatigués, intellectuellement « intacts », et, au début de leur scolarité, profondément déçus.

Le niveau scolaire baisse. Les professeurs des Lycées et Collèges s’en plaignent amèrement, les instituteurs aussi, on l’écrit dans les journaux. Mais ce n’est pas en accélérant les cadences de travail à l’école primaire qu’on l’améliorera, au contraire. L’intelligence des enfants, même celle d’enfants d’ouvriers, ne se fabrique pas à la chaîne.

Les enfants refusent de se plier à ce système et c’est heureux, cela prouve qu’ils sont vivants. Mais il n’est pas heureux que leur intelligence, leur énergie, leur vitalité soient laissées à l’abandon.

Il n’est pas heureux non plus que l’instituteur accepte de rester 6 heures par jour face à face avec des enfants qui le considèrent un ennemi et qu’il finit lui-même par considérer comme des ennemis.

Il faut refuser de s’abrutir en faisant ainsi chaque jour le numéro que voudrait nous voir faire l’inspecteur. Il faut mettre à l’avant de nos revendications l’amélioration des conditions de travail : effectif ne dépassant pas 25, classes à mi-temps alternant avec des activités sportives et éducatrices pour les enfants, création dans chaque groupe scolaire de classes de rattrapage pouvant accueillir les élèves qui présentent des anomalies, etc.

La froideur et la mauvaise humeur que nous réservons souvent aux parents nos élèves, c’est à l’Inspecteur, à la Direction de l’Enseignement qu’il faudrait la manifester. Il faut nous désolidariser du système et chercher nos alliés parmi nos collègues et parmi les parents des enfants. Vis-à-vis de nos collègues, plus de cachotteries, de jalousies destinées à nous faire valoir dans l’espoir d’une promotion au choix. Quant aux parents, il faut les mettre au courant des conditions dans lesquelles travaillent leurs enfants au lieu de les leur cacher, et s’allier avec eux pour trouver des moyens d’action efficaces.

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