Article d’André Bell paru dans Masses, n° 2, mai-juin 1931, p. 8
Ce livre est un exposé de la question noire aux Etats-Unis. L’auteur raconte comment la race noire a été introduite en Amérique, comment elle y a vécu avant et après l’abolition. Elle fait historique de la loi Lynch et montre les deux races en présence séparées par la ligne de couleur. Frontière d’ailleurs théorique, variable, d’une incertitude déconcertante. D’un côté, le privilège, la haine. De l’autre, la misère, l’effort d’une humanité méprisée et qui veut vivre. La poussée vers le Nord aujourd’hui arrêtée d’ailleurs par la crise économique. En dépit des lois, les noirs n’ont pas de droits. Et quoique leur situation ne soit pas la même dans le Sud et dans le Nord, ils restent partout les parias. Pas de contact avec la race maudite. Les blancs ne touchent pas les peaux noires, sauf aux jours de lynchage.
Il était difficile d’écrire un tel livre parce que la question noire est complexe et requiert une expérience psychologique avisée (les sophismes du préjugé de race sont innombrables), une droiture de jugement inflexible soutenue par une sympathie toujours en éveil ; bref, un sens de l’humain dont on déplore le plus souvent l’absence dans un genre d’ouvrages où on le cherchait avant tout. Il nous déplairait d’accabler d’épithètes littéraires un livre que son auteur considère à juste titre comme un « acte ». Il est rare qu’un écrivain engage autant de lui-même dans ce que nous appelons ses livres. Il est rare que l’émotion et le ton s’égalent au pathétique de ce grand sujet : la douleur des hommes. Mais le sensible frémissement de ces pages s’accompagne de la clairvoyance la plus aiguë. Il ressort de l’analyse de Magdeleine Paz que le préjugé de couleur est en grande partie une justification désespérée des intérêts les plus sordides. Aberration criminelle de la sensibilité, tant qu’on voudra. Mais aussi réaction de défense du capitalisme menacé. D’où cette conclusion à laquelle ils est impossible d’échapper. Il y a un fait qui domine la question noire et qui peut-être en masque le véritable aspect aux yeux des oppresseurs comme aux yeux des opprimés : c’est que la structure sociale établie par le régime capitaliste écrase tout aussi bien la majorité des blancs que la totalité des noirs ; il n’y a pas de disjonction dans l’injustice et le seul recours de ceux qui en souffrent est de s’unir contre elle dans le monde entier. C’est peut-être une des habiletés du capitalisme que de maintenir des barrières haineuses entre ceux qui devraient se liguer contre lui. Mais il n’est pas admissible que l’âme de l’homme soit faite pour autre chose que la vérité.
André BELL.