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Réponse de Maxime Rodinson à Éléments (revue du Comité de la gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient)

Réponse de Maxime Rodinson au questionnaire d’Éléments, n° 5-6, 2e et 3e trimestres 1970, p. 19 et 47-48

le questionnaire d’Éléments

Nous pensons que la crise du Proche-Orient relève de deux exigences complémentaires :

I — Reconnaître l’irréductibilité de la résistance des Palestiniens et de leur vocation nationale, sans méconnaître pour autant la détermination parallèle des Israéliens à se réaliser nationalement dans un état de leur choix.

II — Aider au développement du combat politique des forces révolutionnaires et progressistes internationales, en particulier chez tous les peuples du Proche-Orient.

La solution actuellement avancée par les organisations palestiniennes est celle d’un État unitaire, démocratique :

I — Pourriez-vous préciser votre attitude à l’égard de cette proposition :

Comment envisageriez-vous les relations, de toute nature, entre les différentes populations de cet État éventuel.

— Quels seraient, d’après vous, les meilleurs moyens qui pourraient hâter cette solution ?

II — S’il s’avère que cet État unitaire n’est pas réalisable sans l’assentiment de la grande masse des travailleurs israéliens, on peut s’attendre à un conflit de longue durée.

— Ne pensez-vous pas que la poursuite d’un tel conflit risque de prolonger l’emprise des impérialismes sur la région ?

— Ne pensez-vous pas que la poursuite d’un tel conflit risque de prolonger les antagonismes nationaux et de freiner la mobilisation révolutionnaire des masses arabes et israéliennes ?


Maxime RODINSON

Maxime Rodinson né à Paris en 1915. Sociologue et orientaliste. Séjourne pendant sept ans au Proche-Orient. Bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale chargé des livres orientaux. Puis directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études (Sorbonne). Enseigne l’éthiopien et le sud-arabique anciens ainsi que l’ethnologie du Proche-Orient. A dirigé la revue « Moyen-Orient ». Auteur de « Israël et le refus arabe« .

Je réponds à votre dernière circulaire encore que les questions soient effectivement mal posées et dans un vocabulaire assez peu adéquat. Par exemple la phrase « la crise du Proche-Orient relève de deux exigences complémentaires » n’a aucun sens en bonne logique. Néanmoins, comme ce questionnaire fait allusion (on ne peut dire plus) à des problèmes importants, je vais essayer de répondre sur ceux-ci.

Il n’est nullement sûr que l’État unitaire et démocratique palestinien soit jamais réalisé. Par conséquent, il est difficile « d’envisager les relations entre les différentes populations de cet État ». C’est simplement un projet qui répondrait à une pacification idéale entre les deux éléments de population qui se disputent la terre palestinienne. Simplement, on peut dire que, pour que ce projet soit parfaitement équitable, il faudrait que ces deux éléments de population soient maintenus dans des relations de parfaite égalité. Entre autres choses, cela implique que des mesures soient prises dès le début pour empêcher l’oppression de l’une par l’autre, que ce soit par des moyens économiques, politiques ou autres. En particulier, évidemment, il me semble qu’il faudrait que chacune des deux populations dispose de structures permettant d’exprimer collectivement ses aspirations et de défendre collectivement ses intérêts. C’est ce que pour le moment, n’admet parmi les mouvements palestiniens que le Front Populaire et Démocratique de Libération de la Palestine (F.P.D.L.P.). Mais les programmes peuvent évoluer.

L’histoire a la mauvaise habitude de ne pas se conformer aux exigences morales, esthétiques, etc. des hommes. Par conséquent il n’est nullement sûr que l’idéal en question se réalise. Il n’est pourtant pas inutile de le mentionner sans arrêt, car cela pourrait pousser la réalité à s’en inspirer un tout petit peu et c’est déjà beaucoup. Le grand obstacle à une solution de ce type me parait être la supériorité militaire absolue de l’État d’Israël qui empêche ses habitants dans leur généralité de rechercher quelque solution que ce soit de ce genre, remettant en cause au moins partiellement des situations acquises ou conquises. La solution la plus équitable possible dans l’état actuel des choses ne peut être qu’un compromis. Or les compromis ne peuvent être envisagés que quand aucun des deux partenaires ne dispose d’une supériorité absolue.

Je crois qu’il faut insister sur le fait que passe toujours sous silence votre Comité ainsi que beaucoup de Comités analogues, ce qui les rend totalement sans influence sur l’opinion arabe, c’est que l’origine du problème se trouve dans l’empiètement sioniste sur la Palestine arabe. Ce n’est nullement une affirmation de propagande politique que de dire que la Palestine en 1880 était aussi arabe que la France est française. Ce n’est nullement une affirmation de propagande ou péjorative que de dire que le sionisme en voulant créer un État juif sur cette terre arabe a déclenché une suite de réactions en chaîne dont nous voyons maintenant l’aboutissement. Aucun comité, ni aucun mouvement qui ne reconnaît pas ce fait élémentaire ne peut avoir d’influence auprès de l’opinion publique arabe alors pourtant que, ce fait admis, tout est possible auprès de ladite opinion. D’un autre point de vue, il me semble que la conclusion à tirer de ce fait élémentaire est que la responsabilité principale de l’établissement d’une juste solution retombe sur les Israéliens.

« L’emprise des impérialismes sur la région » ne découle pas du conflit mais du caractère sous-développé de la région. Il est vrai que l’État d’Israël ne peut être considéré comme sous-développé et que néanmoins l’emprise (acceptée) des impérialismes est forte sur lui par suite de la situation où s’est placé le mouvement sioniste et l’État qui en est la concrétisation en s’insérant dans le monde arabe sous-développé. Assurément la fin du conflit permettrait peut-être une voie de développement qui pourrait limiter au moins cette emprise.

Il est vrai que dans un tel conflit, qui est de type national, l’élément nationaliste a forcément la priorité. D’un autre côté, il est vrai aussi que le mouvement palestinien, secouant les masses arabes dans leur profondeur, donnant un exemple de mouvement populaire, peut servir de détonateur à toute une série de mouvements pouvant prendre des allures éventuellement très révolutionnaires. D’autre part, il est clair qu’en Israël aussi le problème national prime et rend difficile toute évolution progressive de la société.

Je compte que mon texte sera exactement reproduit sans coupures ni modifications qui me forceraient à protester par tous les moyens en mon pouvoir.

Maxime RODINSON

2 réponses sur « Réponse de Maxime Rodinson à Éléments (revue du Comité de la gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient) »

Merci d’ avoir exhumé les documents de Maxime Rodinson , grand érudit du proche orient.

Merci pour ce commentaire ! J’en publierai probablement d’autres au cours de la prochaine période.

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