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Félix Rivière : Une table ronde syndicaliste franco-algérienne

Article de Félix Rivière paru dans La Révolution prolétarienne, n° 168 (429), février 1962, p. 6

Le Congrès Force-Ouvrière vient de lancer un appel pour l’arrêt des effusions de sang et la détermination démocratique du peuple algérien.

Le syndicalisme ne peut rester neutre devant un tel problème, car la guerre d’Algérie et ses prolongements concernent non seulement les travailleurs musulmans, mais encore les travailleurs algériens d’origine européenne et les travailleurs français de France.

L’Algérie est en marche vers son indépendance. Mais à travers le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui, dans une telle affaire est notre souci majeur, c’est non seulement l’arrêt des combats, mais la défense des intérêts des travailleurs d’Algérie et de France, quelle que soit leur origine.

La constitution de l’Algérie nouvelle va poser des problèmes douloureux notamment en ce qui concerne ceux des « pieds-noirs » que l’on appelle les petits-blancs, en l’espèce les travailleurs algériens d’origine française ou européenne.

Il y aurait en Algérie environ 1 million de musulmans sans emploi, sans parler des sous-employés. Nombre d’emplois, tenus par des petits-blancs (parce qu’ils sont petits-blancs) pourront l’être par des musulmans. Ces petits-blancs, algériens souvent depuis plusieurs générations, ont donc comme perspective l’exode vers la France ou ailleurs.

C’est ce sentiment d’angoisse devant l’insécurité, l’incertitude, qu’exploite l’O.A.S. pour des buts, parmi lesquels la coexistence pacifique des deux communautés pour le bien-être des travailleurs de toutes origines et en fin de compte pour l’épanouissement démocratique de l’Algérie est bien le cadet de leurs soucis.

Le problème de base c’est le développement économique de l’Algérie, afin que cette dernière puisse assurer du travail à tous ses enfants..

Problème auquel il faut s’atteler d’urgence ; problème qu’ont étudié les camarades de l’U.S.T.A. dans leur Congrès de Lille, ainsi que les solutions qu’ils proposent; mais problème de longue haleine.

Et en attendant ?

En attendant, il faudra trouver du travail pour le million d’Algériens sans travail qui seront demain, qui peuvent être aujourd’hui la proie facile des aventuriers de tout poil.

Comment ?

Il faudra sans doute que nombre de travailleurs, de toutes origines, s’expatrient en France… ou ailleurs.

Il s’agit pour le syndicalisme de lutter pour la défense des intérêts de tous, sans privilège pour aucun.

C’est dans cette voie qu’il parait urgent que Force-Ouvrière prenne l’initiative de convoquer une véritable table ronde du syndicalisme de France et d’Algérie, afin d’étudier ces problèmes, de rechercher leur solution. Cette recherche ne sera sans aucun doute pas chose aisée, raison de plus pour s’y atteler tout de suite.

Ce qui, par contre, apparait plus aisé, c’est la convocation de cette table ronde.

En effet, Force-Ouvrière groupe nombre de travailleurs français d’Algérie d’une part. D’autre part, elle fait partie de la C.I.S.L., dont fait également partie l’U.G.T.A. Ce n’est pas la faute de F.O. si n’en fait pas également partie l’U.S.T.A. chez qui nous trouvons les mêmes soucis que dans notre syndicalisme libre.

Une telle table ronde, comprenant des représentants des travailleurs français d’Algérie, des travailleurs algériens de France et d’Algérie et des travailleurs français de France, tracerait ainsi la voie à la coexistence pacifique des travailleurs de France et d’Algérie, en France et en Algérie, car elle se tracerait comme objectif la défense et la coordination des intérêts de tous.

Dans la mesure de nos moyens nous aurons ainsi travaillé à supprimer le terrain favorable que constitue pour l’O.A.S. l’angoisse des petits-blancs, nous aurons œuvré à la réconciliation des travailleurs de l’U.S.T.A. et de l’U.G.T.A. Affaiblissant l’O.A.S., nous aurons contribué à empêcher cette organisation de s’imposer en France et de nous appliquer ses méthodes totalitaires.

En poursuivant notre lutte syndicale dans l’entente syndicale, nous aurons œuvré pour la Paix en Algérie et en France, pour la démocratie en France et en Algérie.

A travers une telle orientation, s’inscrira avec bien plus de valeur notre appel au Gouvernement Français et au G.P.R.A. pour des négociations, lesquelles devront être étendues au M.N.A., si nous voulons vraiment que s’arrêtent les effusions de sang.

De telles négociations, s’appuyant sur une telle action syndicale permettent d’envisager un avenir démocratique pour l’Algérie nouvelle et son entente avec une France démocratique.

Félix RIVIERE,
Syndiqué F.O. des Hospices civils de Lyon.

2 réponses sur « Félix Rivière : Une table ronde syndicaliste franco-algérienne »

Quelle clarté !
C’est un texte que je lis et relis depuis ce matin tellement il porte, avec courage, une vision politique positive en se situant exclusivement sur le terrain de classe.

Merci pour le commentaire. Un texte très intéressant, je confirme !

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