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Un entretien de M. André Louis avec Messali Hadj à Chantilly

Article paru dans La Voix du peuple, numéro spécial, mars 1962, p. 4

M. André LOUIS au cours de son voyage dans les maquis M.N.A. en 1958

M. André LOUIS est éditorialiste au journal belge « La Cité ». Il vient de rendre visite au Président du M.N.A. MESSALI HADJ à Chantilly. Dans un article paru le 2 mars 1962 dans le journal bruxellois, l’éminent journaliste donne ses impressions et les réponses de Messali. Il nous a paru utile, étant donné les circonstances, de reproduire cet intéressant article à l’attention de nos lecteurs.


« La paix (tardive) est une bonne chose et nous entendons participer à la construction de l’Algérie de demain… »

Au moment où le cessez-le-feu algérien pointe à l’horizon et où la perspective d’un retour à la vie normale en Algérie semble se concrétiser, il est utile d’examiner la situation de l’ensemble des forces politiques en présence. La réalité politique algérienne est des plus complexes. Seuls des observateurs superficiels s’imaginent que le débat est fait, l’opinion musulmane a toujours été fortement nuancée, en raison de considérations ethniques et historiques. Le F.L.N. lui-même est loin de constituer le bloc monolithique que d’aucuns imaginent. Demain l’Algérie sera le théâtre d’affrontements qui surprendront ceux qui croient que l’accord des « Rousses » a mis un point final à l’affaire.

Messali Hadj, leader du M.N.A. est un des hommes qui détiennent les clefs de l’Algérie de demain. Écarté des pourparlers d’Évian malgré les promesses les plus formelles du gouvernement français, le « père du nationalisme algérien » sait aujourd’hui que l’heure de sa rentrée politique et proche. Le M.N.A., même s’il est fortement entamé par la répression et la tentative d’élimination physique poursuivie depuis plusieurs années par le F.L.N. reste, malgré tout, une force politique avec laquelle chacun sera obligé de compter, bon gré mal gré, une fois la paix revenue.

Dans son Manoir de Toutevoie, au bord de l’Oise, prisonnier d’une police tracassière, entouré de quelques amis Messali Hadj suit avec une attention méticuleuse le déroulement des événements. Une indomptable énergie rayonne de son visage, de sa démarche. Sa claustration pèse manifestement à son tempérament combatif.

C’est sans équivoque aucune que Messali aborde le problème des négociations :

« Nous avons été écarté de la conférence d’Évian. C’est dommage ! Non pas pour nous, car – que cela plaise ou non au F.L.N. et à la France – le M.N.A. continue d’exister et de lutter. C’est dommage pour l’Algérie. Aujourd’hui que les « accords » sont connus, il est établi que si les deux mouvements nationalistes avaient fait front commun nous eussions obtenu meilleur règlement.

« Certes, nous avons refusé à un certain moment des ouvertures faites par M. Joxe à l’insu et malgré l’hostilité du F.L.N. C’était au moment où la conférence d’Évian était en panne sur le Sahara et les bases. Autant nous avons défendu, avant comme après la conférence d’Évian, le principe de la présence du M.N.A. aux négociations, autant je persiste à croire que notre entrée en piste à ce moment-là précis était contre-indiquée. On imagine sans peine quelle carte nous étions destinés à être entre les mains de la France à pareil moment… »

Ponctuant ses paroles de coups de canne sur le bord de son bureau Messali, qui vient d’être informé par M. Joxe du programme politique des prochaines semaines, commente :

« Pas question pour nous d’entériner cela. Cela a fait l’objet de négociations qui ont duré des mois entre la France et le F.L.N. Nous n’avons pas été amené à nous prononcer là-dessus à aucun moment. Nous formulons les plus expresses réserves. Notre ligne de conduite est et reste l’autodétermination sans plus. Il est regrettable que nos propositions visant à la convocation d’une « table ronde sans préalable ni exclusive » n’aient pas été retenues. C’eut été tellement plus clair et tellement plus simple.

« Bien entendu, ces réserves ne nous empêcheront pas de nous réjouir d’un cessez-le-feu survenant après une guerre qui n’a que trop longtemps duré ».

Messali se livre très peu sur le différend qui l’a opposé à certains dirigeants du F.L.N. Pressé de questions il laisse cependant tomber :

« Ceux qui ont prolongé la guerre en escomptant notre élimination à l’usure ou qui ont fait des concessions à la France pour nous écarter de la table de conférence ont pris une lourde responsabilité. S’ils avaient voulu nous eussions obtenu ensemble il y a plusieurs années déjà, bien plus que ce qu’ils ont obtenu aujourd’hui ; tout en faisant l’économie du 13 mai, des barricades, du putsch et de l’O.A.S…. Mais cela c’est du passé. Ce qui compte c’est l’avenir. Le concours de tout le monde est requis pour cela. La paix sera chose difficile : il faudra énormément de sang-froid, de volonté, d’oubli de soi… Nous plaidons avec obstination, depuis plusieurs années, la cause de la réconciliation. Peut-être l’imminence des tâches nouvelles rendra-t-elle certains plus sensibles à notre appel ; L’heure n’est pas à la surenchère. Le M.N.A. entend participer de manière active à la construction du futur état algérien ».

Messali Hadj, parmi tous les hommes politiques algériens est une personnalité de premier plan. Sa parfaite connaissance de l’Algérie, des politiciens – depuis, Ferhat Abbas jusqu’à Ben Khedda – son passé, la sagesse de ses vues – en 1936 il formulait des idées précises sur le problème de la minorité européenne -, son parti – seule formation politique organisée en tant que telle- doivent nécessairement l’amener aux premières places du combat politique. Une phase de l’affaire algérienne prend fin avec le cessez-le-feu, une deuxième phase commence, dont les données sont singulièrement différentes.

André LOUIS.

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