Recension parue dans Le Libertaire, n° 79, 29 mai 1947, p. 3
Sous ce titre parut à Genève, au lendemain même de Sedan, un ouvrage rédigé en quelques nuits par Bakounine, au retour de la tentative insurrectionnelle prolétarienne de Lyon.
L’intention du vieux bouteflamme des révolutions de 1848 devenu l’un des hommes les plus écoutés de la Première Internationale, était de placer les Français devant le dilemme soumission ou résistance à la réaction internationale incarnée à la fois par la bourgeoisie française et l’impérialisme allemand. Ce dilemme, nous le connaissons par récente expérience : c’est celui posé en 1940 par l’avènement de Pétain, et dénoué — très partiellement et très provisoirement, hélas — par les mouvements authentiquement populaires de libération en 1944. Il se pose d’ailleurs, dans de termes presque identiques, toutes les fois qu’un pays vaincu ou militairement affaibli se trouve au bord d’une révolution intérieure et doit compter avec l’invasion ou l’occupation étrangère (Russie 1917, Allemagne 1918, Hongrie 1919, Espagne 1936, etc…, etc.) Entre la dictature militaire autochtone (celle d’un Korniloff, d’un Noske, d’un Galliffet, d’un Negrin etc.) ou étrangère (celle des Franco et autres Quisling imposées par l’envahisseur), il n’y a qu’une différence de degré, mais le résultat est le même : oppression, misère et, tôt ou tard, massacres de paysans et de prolétaires. A l’acceptation de la guerre militaire ou de la paix dictée par les conquérants, Bakounine oppose les méthodes propres de la Révolution Sociale, et qui permettent, selon lui, de rendre le pays ingouvernable et inhabitable par les armées de la réaction, tout en réalisant les pas décisifs vers le socialisme et la liberté. Mais cette action doit être quasi instantanée. Le temps manque pour convertir les masses par la propagande ordinaire ; il faut recourir à l’agitation et à la force libératrice et exemplaire des faits. Sous cet angle, Bakounine ne craint pas de propager les mesures les plus audacieuses destinées à insurger les paysans, en accord avec les ouvriers des villes, et à terroriser l’adversaire par une guérilla et un sabotage universels.
Ces tactiques à corps perdu, où l’audace d’un Danton est mille fois dépassée, conservent-elles leur valeur dans le monde du XXe siècle ? La question peut être discutée, sur la base des expériences récentes (Ukraine makhnoviste), Ruhr et Allemagne centrale, Espagne et Résistance Européenne 1940-1945. Toujours est-il que Bakounine est et reste le seul véritable théoricien original de la défaite tournée en insurrection, ou pour parler un langage plus général, de la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et en révolution sociale », tactique proposée, esquissée et abandonnée par Lénine, de la chute du tzarisme à la paix de Brest-Litovsk. A ce seul titre, et même s’il n’était pas l’une des œuvres les plus riches et les plus dynamiques d’un prodigieux insurrecteur d’hommes, le livre de Bakounine resterait capital.