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L’esprit d’indépendance 1942-1952, de Hocine Aït Ahmed

Article signé M.C.L. paru dans Le Monde libertaire, n° 519, 23 février 1984

IL en a été de la révolution algérienne comme de la révolution russe et comme de tant d’autres révolutions à la mode de la course au pouvoir sans partage d’un parti ou d’une clique : le cannibalisme politique y a fait des ravages. Un cannibalisme d’un genre un peu particulier, cependant, en ce qui concerne l’Algérie. Un cannibalisme qui non seulement a dévoré ses propres enfants mais également son ou ses pères. Un cannibalisme œdipien, donc !

De ceux qui sont à l’origine de la révolution algérienne, en effet, on ne trouve aujourd’hui guère de traces. Tous ont été liquidés, emprisonnés, exilés, chassés de l’histoire même ! Condamnés au néant dans la mémoire collective de leur propre peuple. Niés, donc ! Redoutés, de toute évidence !

Dans ces conditions, c’est toujours un petit événement lorsque la voix d’un de ces « pères fondateurs » réussit, par le biais d’interviews ou de livres, à trouer le silence orchestré par l’historiographie officielle.

Tel fut le cas, lors de la libération de Ben Bella quand Chadli accéda au pouvoir. Tel fut le cas quand parurent les mémoires de Messali Hadj et de Ferhat Abbas. Et tel est le cas, aujourd’hui, avec la sortie du premier tome des mémoires de Hocine Aït Ahmed (1).

Aït Ahmed est, avec Ben Bella et Boudiaf, l’un des trois survivants des chefs historiques du F.L.N. et, cela va sans dire, il avait énormément de choses à nous dire et à nous apprendre.

Tout d’abord au niveau historique, Aït Ahmed remet un certain nombre de pendules à l’heure. Il nous raconte la naissance de la prise de conscience nationale algérienne avec Messali Hadj et le Parti du peuple algérien – Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (P.P.A.-M.T.L.D.). Il nous raconte la naissance de l’Organisation spéciale (O.S.), l’organisation militaire du PPA-MTLD dont il fut, à 21 ans, la cheville ouvrière et le responsable. Il nous raconte le fameux hold-up de la poste d’Oran dont il fut l’organisateur et dont s’auréola longtemps Ben Bella. Il nous raconte le pseudo-complot berbériste de 1949 et le pseudo-complot colonialiste de 1950 qui révélèrent les limites du messalisme et qui débouchèrent sur la désintégration de l’O.S. Bref. Aït Ahmed nous raconte l’histoire : l’histoire avec un petit « h », l’histoire événementielle, et l’histoire avec un grand « H », celle d’un peuple et de la génération qui allait constituer le F.L.N.

Ensuite, au niveau politique, Aït Ahmed pose à travers son témoignage tous les problèmes de fond de la révolution algérienne en marche. Et ces problèmes sont toujours, hélas, d’une actualité brûlante, en Algérie et ailleurs. Car il nous conte le conflit entre le réformisme populiste messaliste et la révolution. Entre le nationalisme étroit, à la mode arabo-islamique et un nationalisme plus large, fédérant un ensemble de réalités nationales (berbère notamment). Entre une conception totalitaire et centraliste de l’organisation révolutionnaire et une conception démocratique et pluraliste. Bref, il nous conte les problèmes que les révolutionnaires de notre époque continuent à vivre. Et son témoignage est une mine, une mine d’or de leçons à tirer.

Enfin, et ce n’est nullement un aspect mineur de la question, Aït Ahmed nous conte la révolution au quotidien, avec ses tripes, son cœur. En nous brossant un tableau extraordinaire de sa vie, de celle de ses compatriotes et de celle de son pays. Et c’est poignant !

Au bout du compte, et j’espère que ces quelques réussiront à vous en persuader, ce livre est tout simplement capital : au plan historique, politique et humain. C’est une gifle magistrale adressée à ceux qui s’imaginent pouvoir réussir à confisquer l’histoire et la mémoire à leur profit. C’est un monument de leçons à tirer. Et c’est un hymne à l’espoir dans la mesure où il nous aide à comprendre le présent à la lumière au passé, donc à espérer en l’avenir. Un grand livre, donc ! Remarquablement écrit et confectionné, ce qui ne gâte rien. Le premier d’une longue série, on l’espère !

M.C.L.


(1) L’esprit d’indépendance, 1942-1952, en vente à la librairie du Monde libertaire ou chez l’éditeur, Sylvie Messinger, 31, rue de l’Abbé-Grégoire, Paris 6e.

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