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Maurice Joyeux : Les torturés d’El Harrach, (Préface d’Henri Alleg)

Article de Maurice Joyeux paru dans Le Monde libertaire, n° 122, mai 1966

C’en intentionnellement que j’ai signalé, contrairement à la coutume, le nom du préfacier de cet ouvrage mince par son volume mais capital, non pas par son contenu, banal, hélas ! par ces temps de barbarie, mais par la valeur symbolique qu’il revêt. — Henri Alleg, voyons, souvenez-vous ? Il y a quelques années, dans la même édition, un autre livre paru, qui était signé Henri Alleg. Le titre : « la Question » ! Déjà à cette époque un certain nombre d’intellectuels distingués s’agitaient autour de ce livre comme ils le font aujourd’hui. Les mêmes peut-être, si on excepte quelques-uns aujourd’hui installés confortablement à Alger.

Que nous dit ce livre ? « la Question » ? non « les Torturés d’El Harrach » ! Et puis, c’est sans importance. Tous deux disent la même chose et ce qu’ils disent est affreux. Hier comme aujourd’hui on arrête, on séquestre, on viole, on torture, on tue. Les bourreaux ont changé de raison sociale, le nationalisme a remplacé le colonialisme, le socialisme a remplacé le capitalisme. La torture est restée, elle, en permanence comme le témoin de la monstrueuse escroquerie perpétuée au nom des sentiments les plus nobles qui poussent les hommes sur le devant de la scène lorsque leur dignité est piétinée.

Aujourd’hui la bouche amère d’avoir eu si complètement raison, je ne peux oublier ces jeunes enthousiastes irréfléchis se jetant dans l’action pour une cause noble, la libération d’un peuple opprimé, oubliant tout un passé où revient comme une rengaine la même illusion sur le nationalisme petit bourgeois, assassin des classes pauvres au même titre que l’impérialisme le plus exacerbé.

Oui, nous ne pourrons plus lire « les Torturés d’El Harrach » sans lire en même temps « la Question ». Et de cette lecture nous sortirons renforcés dans cette conviction que le libéralisme bourgeois comme le socialisme centralisé ne sont pas des étapes dans la voie de la libération de l’homme, mais des formes différentes dont se sert une classe pour en opprimer une autre. Les attendrissants intellectuels qui, une fois de plus, s’indignent du sort réservé à Ben Bella après s’être indigné du sort réservé autrefois à Alleg, n’ont pas fini de s’indigner. La torture, mais elle est le recours suprême de toute société basée sur l’inégalité des conditions d’existence et sur l’autorité qui impose cette inégalité.

« Les Torturés d’El Harrach » comme « la Question » restent des témoignages importants de la grande duperie du socialisme contemporain qui en jouant la carte nationaliste a abdiqué sa prétention initiale à la libération de l’homme.

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