Article d’Auguste Gallois paru dans Force ouvrière, n° 234, 22 juin 1950, p. 12
Richard Crossman, député aux communes et rédacteur en chef du New Statesman and Nation, nous explique que ce livre est issu du feu de discussions qui eurent lieu, un certain soir, chez Arthur Koestler, dans le Nord du pays de Galles.
Et d’abord, pourquoi ce titre ? Pourquoi cette association ? En vue de quelle collaboration ?
Des hommes, pour des raisons louables, sont entrés au parti communiste. Ils ont cru passionnément aux promesses d’un régime édifié par Lénine. Ils ont eu foi dans la réalité profonde du communisme. Et puis, ils ont vu par la suite que le paradis de leur rêve était tout bonnement un enfer. Ils ont compris la contradiction qui existe entre le communisme à l’état pur et le cynisme de l’Etat soviétique et aussi la technique d’action des divers partis communistes du monde.
Sur ces six écrivains de renommée mondiale, les trois premiers étaient des militants convaincus, les trois derniers n’étaient que sympathisants. Tous ont cru que le communisme apportait au monde un immense espoir de libération humaine.
Et, au lieu d’une société plus humaine, plus douce, plus fraternelle, ils ont vu grandir le Dieu des ténèbres ; une société momifiée dans une hiérarchie féroce, rigide, s’est développée dans la brimade, l’injustice et le crime. Ils avaient pensé pouvoir participer à l’installation du socialisme dans une partie du globe et les porteurs du flambeau les ont trahis. Le socialisme vacille, anéanti par des manifestations qu’un homme libre ne peut supporter ni admettre.
Ces hommes de réflexion assistent à la plus vaste mystification de tous les temps. Ils s’en rendent compte. Ils ne peuvent souffrir d’y participer plus longuement.
Aussi, chacun d’eux, avec son origine, son caractère, sa formation nous explique comment et pourquoi il est allé vers le communisme, le bout de chemin qui a été suivi pendant l’adhésion, et, enfin, chacun d’eux confesse les raisons de son éloignement, de son abjuration.
Il a suffi d’un regard jeté sur le régime soviétique, d’une information brève et parfois même fragmentaire, pour que l’ardeur zélatrice d’un Gide, la générosité d’un Silone, la grandeur d’âme d’un Koestler se reprennent, se ressaisissent et abandonnent avec éclat un parti dans lequel ils étaient entrés plus par sentiment que par raison.
La vérité, le drame de ces hommes, c’est qu’ils étaient allés vers cette foi sans la connaitre, par instinct, par spiritualité, et qu’ils s’en détachent au fur et à mesure qu’ils la comprennent mieux dans ses exigences, ses dogmes, son orthodoxie, son absolu politique.
A n’en pas douter, un régime qui se dit prolétarien, mais qui a retiré au prolétariat tous les moyens de revendiquer, prête le flanc à la critique marxiste plus sûrement que le régime capitaliste.
Le décalage entre la réalité et l’idéologie est frappant. On nous dit, avec raison, que l’ouvrier occidental ne jouit pas pleinement des libertés auxquelles l’intellectuel est à ce point attaché. Mais quelles libertés conserve l’ouvrier soviétique, rivé à son usine, doté d’un passeport intérieur, qui ne choisit pas ses dirigeants syndicaux et n’a pas le droit de discuter avec son unique employeur les conditions de travail, de rendement surtout et de rémunération, de cet ouvrier qui ne connaîtra jamais plus de sa planète que ce qu’on voudra bien lui en dire.
L’entreprise stalinienne présente incontestablement une sombre et farouche grandeur. La mise debout d’une immense industrie lourde, la collectivisation de l’agriculture, la mise en exploitation de zones jusque-là inhabitables, tout cela fait au prix de la déportation et de la mort, fut conduit avec plus de résolution et de violence qu’en aucun pays ou à aucune époque.
Et c’est cela que nos communistes admirent !
Mais qu’ils lisent donc les discussions du dernier congrès de la C.G.T. hongroise ! Ils trouveront là des signes certains d’une résistance acharnée, menée par un peuple qui se défend contre une clique qui veut l’asservir.
Jamais encore nous n’avions eu de tels aveux ! Seuls les appointés français et les imbéciles ne voudront convenir que de tels faits existent.
Pourtant, ce sont les communistes hongrois qui nous informent du sabotage dans les normes et des fraudes dans les salaires. Et nous ne les avons pas forcés à nous révéler leurs mécomptes !
Un Gide et un Silone n’avaient évidemment pas besoin de tant de justifications pour se détacher du stalinisme.
A. GALLOIS.
(1) Calmann-Lévy. 480 fr.