Article paru dans Pouvoir Ouvrier, n° 95, février 1969, p. 1
La récupération officielle du cadavre de Jan Palach, l’étudiant qui s’est suicidé par le feu, a permis au gouvernement tchécoslovaque de sauver encore une fois la face. Mais les appels au calme qu’il adresse sans arrêt aux étudiants comme aux ouvriers s’accompagnent de plus en plus de menaces contre les « extrémistes ».
L’aile libérale de la bureaucratie au pouvoir est prise entre deux feux. D’un côté la pression russe, de l’autre la poussée des étudiants et des travailleurs qui refusent à la fois le « compromis » imposé par Moscou et le blocage politique envisagé par l’appareil du parti dans le style hongrois ou polonais.
Alors qu’au printemps dernier, les ouvriers s’étaient d’abord tenus à l’écart de la libéralisation déclenchée d’en haut, leur intervention s’est accentuée à mesure que se déroulaient les événements de l’été et de l’automne. Méfiants face à des réformes qui visaient à renforcer le poids de la bureaucratie « technocratique » (directeurs, spécialistes, organisateurs) tout autant qu’à sortir l’économie de la situation catastrophique où l’avaient plongé des années de stalinisme, les travailleurs ont rapidement su profiter de la brèche ouverte pour mettre en avant leurs propres revendications. Dès le mois d’avril des grèves éclataient ici et là pour exiger la destitution de certains directeurs et responsables dans les entreprises. C’est peu après qu’apparaissaient les premiers conseils ouvriers dont la constitution avait été décidée par le gouvernement.
L’intervention russe de l’été provoquait un regroupement de toute la population derrière le gouvernement. Mais le mouvement ouvrier s’affirme progressivement au cours de l’automne. Intervenant sur le terrain politique contre les « collaborateurs » et les « vieux bureaucrates », les travailleurs appuient la grève des étudiants de novembre, menacent de déclencher la grève générale si les Russes obtiennent le départ de Smrkovsky (président du Parlement), arrêtent le travail par solidarité avec les journalistes en lutte contre la censure. En même temps, ils s’opposent à la dissolution, envisagée par le gouvernement, des conseils ouvriers déjà constitués. Il semble, en effet, que les ouvriers, d’abord sceptiques devant ces organismes tombés d’en haut, y aient vu par la suite un moyen de regroupement face à l’appareil de la bureaucratie.
Au sommet cependant, les dirigeants plient sous la pression russe. En octobre, le gouvernement signe le protocole sur le stationnement des troupes étrangères, reconnaissant ainsi le fait de l’occupation. En novembre, le comité central condamne les « excès » de la démocratisation depuis le début de l’année. Le divorce entre les dirigeants et les masses s’accentue. Le suicide de Jan Palach oblige le gouvernement à reculer provisoirement pour tenter de contrôler les réactions de la population : la censure est de nouveau pratiquement abolie, on réclame le départ des troupes russes.
Quelles initiatives va prendre maintenant la bureaucratie du Kremlin ?
Une nouvelle intervention des troupes du pacte de Varsovie aurait des conséquences bien plus graves que l’intervention de l’été dernier, aussi bien en Tchécoslovaquie que dans tout le bloc bureaucratique et dans les partis communistes des autres pays. La bureaucratie russe préférerait donc que l’ « Ordre » soit rétabli par la bureaucratie tchécoslovaque elle-même. Celle-ci hésite encore.
Les étudiants et les travailleurs tchécoslovaques se trouvent dans une situation extrêmement difficile. Seuls, ils ne peuvent pas vaincre, et ils le savent.
Les événements de Tchécoslovaquie ont eu un écho certain dans les pays de l’Est. Si cet écho s’amplifiait, si les travailleurs, les étudiants, les intellectuels de ces pays parvenaient à manifester ouvertement leur opposition à l’intervention, si, à leur tour, ils se mettaient en mouvement, la bureaucratie devrait reculer en Tchécoslovaquie : la voie vers le socialisme, bloquée depuis l’écrasement de l’insurrection hongroise de 1956, s’ouvrirait de nouveau en Europe de l’Est. Dans le cas contraire, la Tchécoslovaquie risque de retomber, que ce soit après un écrasement brutal opéré par des moyens militaires ou par un renforcement progressif de la répression politique et policière, dans la situation où se trouvent aujourd’hui des pays comme la Hongrie et la Pologne.
Ne laissons pas les bourgeois occidentaux utiliser les événements de Tchécoslovaquie pour vanter les « mérites » de la démocratie capitaliste !
Les organisations révolutionnaires qui dénoncent l’intervention américaine au Vietnam, qui se réclament de l’internationalisme doivent organiser des actes de protestation contre l’intervention russe en Tchécoslovaquie.