Article paru dans Lutte ouvrière, n° 687, 1er août 1981, p. 12
Depuis plusieurs mois, dans la ZUP des Minguettes, des jeunes du quartier s’opposent de plus en plus aux policiers. Dans la nuit de mardi à mercredi 22 juillet, à la suite d’un cambriolage commis par trois d’entre eux, l’intervention des policiers a provoqué la révolte des jeunes présents ainsi que de certains habitants du quartier qui ont assailli les flics à coups de pierres.
La ZUP de Vénissieux, à côté de Lyon, ce sont d’immenses immeubles, et surtout des tours de béton. Il y a aussi un centre commercial, une piscine, une salle de cinéma, un centre social et une chapelle. Plus de 10 000 travailleurs vivent là. La moitié d’entre eux sont des immigrés. Beaucoup de jeunes, beaucoup de chômeurs, et pas que chez les jeunes. Les moyens financiers de la municipalité communiste sont très insuffisants pour faire face à tous les problèmes sociaux posés par cette concentration humaine. Les policiers, eux, qui jouent aux cow-boys, provoquent plus d’incidents qu’ils n’assurent la sécurité des habitants.
Dans ce contexte, le racisme, les accrochages entre jeunes et adultes, la délinquance, la violence se développent.
Une habitante du quartier, par exemple, nous a raconté la chose suivante :
« Il y a deux mois environ, le supermarché d’à côté a engagé un gardien. Armé d’un fusil, il a empêché tous les jeunes arabes de rentrer dans le magasin. Le soir, les cinq vitrines du magasin étaient cassées à coups de pierres. Les gérants du magasin changent toutes les semaines. Celui qui y est en ce moment y est depuis longtemps… depuis un mois ! ».
Des familles « blanches » quittent la ZUP. Quelques tours se vident. Pour inciter les locataires restants à aller ailleurs, les sociétés immobilières qui les gèrent font carrément murer des issues, ne font plus réparer les ascenseurs ni entretenir les abords. Les déprédations se multiplient : graffiti, bris de vitres, des voitures sont même parfois incendiées.
Nous sommes allés dans la ZUP discuter avec quelques jeunes. Voilà ce qu’ils nous ont dit :
« Les flics nous contrôlent même en plein jour, dès qu’on est par groupe de deux ou trois, même quand on est tranquillement allongés sur la pelouse ».
— « Des fois, ils nous embarquent dans l’estafette et nous laissent à une heure du matin à Saint-Symphorien-d’Ozon (à une dizaine de kilomètres de Vénissieux) et là, ils nous disent de nous débrouiller pour rentrer à pied ! Ils n’attendent peut-être qu’une chose : c’est qu’on pique une bagnole pour rentrer nous arrêter à l’arrivée ? ».
— « Ou alors, ils nous gardent toute la nuit au poste pour contrôle d’identité ».
— L’autre jour, ils ont contrôlé un jeune Algérien à cause de son chien. Ils ont insulté le jeune — de toute façon, ils sont racistes — et ils lui ont filé des baffes. Ils ont aussi insulté et frappé son père qui était descendu pour le défendre ».
— « Ils tabassent souvent même des jeunes qui n’ont rien fait : l’autre jour, il y avait une voiture brûlée aux Minguettes. Ils ont pris trois gars innocents, ils les ont mis dans le fourgon, et ils les ont « bourrés ». Alors, après ça, vous voulez qu’on soit potes avec les flics ? … »
Quand certains habitants du quartier traitent les jeunes de fainéants, de bons à rien, et les rendent responsables de tous les accrochages, voilà ce que répondent les jeunes :
« Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Regardez autour de vous. Il n’y a pas de Maison de jeunes, aucun endroit où aller pour s’amuser. A la piscine, on nous rejette dès qu’on est en groupe. Dans les dancings, on ne veut pas de nous ».
— « Alors, quand on reste dehors sans rien faire, on rouille ! ».
Quelques-uns plus âgés nous ont dit aussi :
« Ce qu’on voudrait, c’est pouvoir travailler en sortant de l’école. On voudrait pouvoir faire des stages de formation, mais souvent il n’y a pas de places et il faut attendre longtemps avant d’y entrer ».
Correspondant LO