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La banlieue lyonnaise en feu. Les éducateurs ont eu chaud

Article signé Dji. M paru dans Courant alternatif, n° 3, novembre 1990, p. 6-7

Une Golf dont il ne reste plus rien. Photo Progrès /Archives Le progrès (Source)

Samedi 6 octobre, Vaulx-en-Velin, cité du Mas-du-Taureau ; Thomas Claudio, 21 ans, circulant sans casque à l’arrière d’une moto, est mort, vraisemblablement par la faute d’un fourgon de poli-ce tentant de coincer le deux roues. Dans cette cité, Thomas n’est pas la première victime du dé-lire sécuritaire ; en 1982, Wahid Hachichi est abattu par un automobiliste qui n’appréciait pas qu’il s’approche de sa BMW ; en 1983 un policier « énervé » tire en direction de jeunes ; en 1985, Barded Barka, qui circule en vélomoteur, est renversé par des Potiers et meurt. L’annonce de la mort de Thomas Claudio allait embraser la cité.

Samedi 29 septembre, du beau monde se presse à Vaulx-en-Velin : Maurice Charrier, le maire PCF de la ville, son collègue Genin également PCF, mais de Vénissieux, Michel Noir maire de Lyon et président de la COURLY (Communauté urbaine de Lyon), sont rassemblés pour inaugurer une tour d’escalade place Guy Môquet à la cité du Mas-du-Taureau, symbole d’une politique « réussie » de réhabilitation des ZUP. Aux chorégraphies de majorettes succèdent les discours des officiels. Tous se félicitent de l’effort fait en matière d’installations diverses et de la baisse de la délinquance qui doit en résulter.

Une semaine plus tard, le dimanche 7 octobre, la place est ravagée : le centre commercial est pillé avant d’être incendié ; un Intermarché, un magasin de sport, un bar PMU, un opticien, un salon de coiffure, sont réduits en cendres… et si la tour d’escalade est encore intacte, c’est bien parce que le feu allumé à sa base n’a pas pris ! Vaulx-en-Velin vit une véritable émeute.

A l’origine, la mort de Thomas Claudio, 21 ans. Le jeune homme circulait sans casque à l’arrière d’une moto pilotée par son copain Laurent Assibile, le samedi 6 octobre dans l’après-midi, quand un fourgon de police surgit et leur bloque brutalement la route. La moto chute et Thomas meurt sur le coup.

La nouvelle circule rapidement dans une cité où les relations avec les flics sont déjà très tendues du fait des contrôles d’identité permanents avec « chasse au faciès », de la pratique du « parechoquage » (quand une bagnole de flic coupe brutalement la route à un deux roues pour le faire chuter). La colère, trop longtemps refoulée, va exploser.

■ DE LA COLERE A L’EMEUTE.

Dans la nuit de samedi à dimanche, 300 jeunes de la cité affrontent les forces de l’ordre jusqu’à 3 h du matin, brulant plusieurs voitures. Le lendemain après-midi, la foule massée autour du centre commercial s’en prend de nouveaux aux forces de l’ordre et procède au pillage des magasins ; on voit des pères de famille participer aux affrontements et des mères insulter les flics.

Dans la soirée, des petits groupes incendient des véhicules, saccagent une école et une bibliothèque, attaquent des stations service pour se procurer l’essence nécessaire aux cocktails molotov. Le GIPN (1) entre alors en action. Des images de télévision montreront ces hommes cagoulés, tout de noir vêtus, armés de fusils à pompe, poursuivre des beurs.

Les feux de l’actualité se braquent sur cette banlieue de l’Est lyonnais. Les pouvoirs publics s’inquiètent, paniquent, agitent le spectre des Minguettes (2) et la crainte de la propagation à l’ensemble de la banlieue mobilise les spécialistes et les associations… Comment se fait-il que les cibles des émeutiers aient été des installations justement mises en place pour animer le quartier et rendre leur vie moins monotone ?

Les premiers à répondre ne trouveront rien de mieux que de remettre en avant le problème de l’intégration ; on les aurait imaginé plus fins ! Les véritables raisons sont ailleurs : réaction contre le flicage intensif des cités, les méthodes arbitraires et racistes des flics, le ras-le-bol d’une vie en banlieue où les animations à la chaîne proposées par les staffs d’éducateurs et d’animateurs ont avant tout pour vocation de calmer les gens, histoire de donner de la cité une image tranquille : « Consomme à outrance les activités, jusqu’à l’épuisement, tu te tiendras tranquille ». Manque de pot, ce sont justement ces lieux d’animations que les jeunes ont visés. Est-ce un hasard ? Car même s’ils n’ont pas lu l’Internationale situationniste, consciemment ou inconsciemment, ils ont choisi leurs cibles : les flics et les supermarchés (symboles de la société de consommation, n’est-ce-pas ?)

Dans les jours qui suivent, les incidents reprennent, mais avec un caractère de moins en moins massif. Aux affrontement contre les forces de l’ordre succèdent des incendies de voiture ou des petits pillages ; des actions isolées effectuées par de petits groupes qui disparaissent rapidement. On signale quelques incidents similaires dans d’autres villes de la banlieue, mais pas de réelle propagation. La tension semble baisser et se calmer à Vaulx-en-Velin. La procédure habituelle pour assurer un retour au calme est rapide-ment déclenchée : venue d’Harlem Désir (il n’osa quand même pas entrer dans la cité par peur de se faire casser la tête), de Claude Evin, manif silencieuse organisée par les « officiels », émergence de leaders responsables parmi les émeutiers, création d’un comité que SOS Racisme tente de chapeauter.

Parallèlement, la presse se met à développer la version de la manipulation extérieure. On parle de « commandos du milieu » en s’appuyant sur des preuves aussi farfelus que la présence de voitures immatriculées dans d’autres départements ou « l’étonnante organisation » à la guérilla urbaine des petits groupes de casseurs. Quiconque se trouvait parmi ces petits groupes pouvait se rendre compte de leur spontanéité et de leur inorganisation totale. Si des gens extérieurs à Vaulx-en-Velin ont effectivement participé aux incidents, ils étaient peu nombreux et pouvaient difficilement diriger des jeunes qui réagissent avec un certain esprit de clocher, fiers de vivre dans leur cité, et où les « étrangers » sont mal considérés.

D’ailleurs, aucune preuve formelle n’est venu confirmer cette thèse, puisque, sur la trentaine d’interpellés, un seul l’a été sur une commune extérieur à son lieu de domicile.

Pourtant, aussi grosse soit-elle, cette version va gagner tous les esprits. Des habitants de la cité du Mas-du-Taureau jusqu’aux jeunes émeutiers, tous se persuadent que les incidents ont été provoqués par des individus extérieurs à Vaulx-en-Velin. Le résultat ne s’est pas fait attendre : il devient bientôt dangereux de se promener au Mas-du-Taureau et si on n’est pas de la ville, il y a risque de subir la réaction violente de jeunes du quartier… les mêmes qui se battaient les jours précédents.

De plus, les raisons officielles relayées par la presse pour expliquer les incidents sont bientôt revendiquées par les habitants et les jeunes de la cité : on réclame un meilleure communication entre les habitants et la police.

On voit bien le rôle pris par les médias dans leur facilité à fabriquer l’opinion. Les habitudes du Mas-du-Taureau qui, dimanche soir, trouvaient justifié l’incendie du centre commercial, se rendirent bientôt compte qu’ils seraient obligés de se déplacer pour faire leurs courses. Si en plus, on leur offre la possibilité de détourner leur colère sur des boucs-émissaires, voilà qui arrange tout le monde et surtout les pouvoirs publics.

■ UN LIFTING POUR LA BANLIEUE (?)

A l’heure qu’il est, la tension semble être retombée et les autres villes de la banlieue ne se sont pas embrasées. Les pouvoirs public semblent reprendre la situation en main et il est facile d’imaginer la suite des événements : d’importants crédits vont être accordés pour reconstruire les locaux détruits ; les éducateurs et les animateurs réclameront une augmentation de la part du budget qui leur est accordée ; ils l’obtiendront et pourront emmener les jeunes faire de l’escalade dans le Vercors, histoire de les fatiguer pour qu’ils se couchent plus tôt et n’aillent pas faire les cons une fois la nuit tombée. On peindra des fresques sur les murs des tours d’habitation et on modernisera les poubelles aux coins des rues. On formera mieux les flics et peut-être même on ouvrira un nouveau poste de police de proximité à l’intérieur de la cité. Les spécialistes de tous poils, sociologues, éducateurs, architectes, se réuniront pour tenter d’expliquer les raisons de l’explosion et pour proposer des solutions. Une fois de plus le calme revenu, on se félicitera des efforts consentis et des résultats obtenus… jusqu’à la prochaine explosion que les spécialistes précédemment cités prétendront avoir prévue.

La banlieue est une poudrière permanente ; il suffit d’une étincelle pour la faire exploser. Dans cette zone, se concentrent tous les maux et les ratés de notre société : l’exclusion, le racisme, le délire sécuritaire, conséquence d’une peur de l’agression généralisée, le chômage, la drogue, l’ennui dû à la tristesse de l’urbanisme et à la concentration dans le centre ville de la plupart des distractions. Dans la banlieue se regroupe une population défavorisée, de plus en plus nombreuse vu la politique de rénovation des quartiers populaires, tant à Paris qu’à Lyon, qui y rejette tous ceux qui ne peuvent plus payer des loyers de plus en plus chers. Signe du degré de misère atteint, on a vu, lors du pillage du centre commercial du Mas-du-Taureau, des personnes sortir du supermarché les bras chargés de pots de Nutella, se désintéressant complètement des objets de valeur.

La banlieue est un phénomène de société. Dans ce système qui se veut de plus en plus consensuel, la révolte de tous ceux qui ne participent pas aux colloques sur « promotion et gestion », qui ne s’associent pas au développement financier de l’entreprise moderne, qui ne vont pas au débat sur la perspective économique des nouveaux marchés, est là pour montrer qu’il existe toujours un antagonisme et un affrontement entre ceux qui ont le pouvoir et la richesse et font tout pour les garder, et ceux qu’ils espèrent berner et utiliser. Trop souvent, pour ces derniers, les alternatives à leur situation sociale sont restreintes : si on refuse à prendre la suite du père ouvrier, on a le choix entre la magouille et ses risques (la prison) ou la fuite dans la drogue. Rares sont ceux qui en sortent.

A Vaulx-en-Velin, la révolte était celle d’exclus ne supportant plus les humiliations, l’explosion d’un ras-le-bol trop souvent refoulé, du flicage, de l’ennui, de la frustration sociale.

Ce que proposeront les pouvoirs publics et les spécialistes n’y changera rien ; ce n’est pas d’un lifting dont a besoin la banlieue.

Dji. M (OCL Lyon)
Le 15.10.90


(1) GIPN : troupe d’élite de la police nationale.

(2) Minguettes : cité HLM de Vénissieux, dans l’Est lyonnais, où de nombreux incidents s’étaient répétés tout au long de tété 1981.

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