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Vaulx-en-Velin : Une révolte à laquelle seule la classe ouvrière pourrait donner un drapeau

Article paru dans Lutte ouvrière, n° 1164, 12 octobre 1990, p. 16

D’un côté, le mur d’escalade de 47 mètres inauguré une semaine avant l’accident mortel qui a embrasé la ZUP, et de l’autre les restes calcinés de l’Intermarché incendié par les jeunes. Photo Progrès / archives Le Progrès (Source)

Trois jours après la mort d’un jeune motard, samedi 6 octobre, à Vaulx-en-Velin, des bagarres continuaient dans cette cité de la banlieue lyonnaise. Le déclenchement immédiat de ces émeutes, c’est la colère contre la police et, d’une certaine façon, l’insatisfaction profonde des jeunes de banlieues pauvres contre la situation et l’avenir que leur réserve la société.

Bien sûr, on nous dit qu’ils ont plein de défauts, ces jeunes ; qu’ils préfèrent voler et défier la police qu’étudier à l’école ou travailler. C’est peut-être vrai pour certains d’entre eux. Mais ce qui alimente leur désarroi et leur révolte, c’est surtout le décalage entre leur pauvreté, l’indigence de la vie de leur famille, vie dont ils ne veulent pas comme avenir pour eux, et tout ce luxe qu’ils voient dans les centres-villes, tout comme la vie brillante et facile que seule leur propose la télévision. Et ils savent bien que ce n’est pas l’argent qu’ils pourraient gagner en travaillant au SMIC ou même un peu plus, ce qui est leur seul espoir, qui peut leur donner accès à tout cet étalage de richesses, surtout quand ils voient comment vivent leurs propres parents après des années de travail !

Tout cela n’est bien sûr pas très nouveau. La délinquance et la révolte asociale de la jeunesse pauvre ont toujours existé, même si les noms des bandes de jeunes ont changé et si la mode des chaînes de vélos a cédé la place à de nouveaux gadgets. Les ghettos urbains misérables se sont même multipliés un peu partout dans le monde, y compris en Europe, en France, dans ces sociétés qu’on nous dit si riches, libérales, démocratiques et modernes mais où les inégalités sociales s’accroissent avec la crise.

Et puis, l’État ne peut pas baisser les impôts sur les bénéfices des industriels, des commerçants et des banquiers, et en même temps consacrer l’argent nécessaire aux équipements sociaux, aux instituteurs en nombre suffisant qui pourraient s’occuper des jeunes dès le début de l’âge scolaire, aux professeurs, aux pédagogues qui seraient nécessaires dans des cités comme celle de Vaulx-en-Velin, qui n’a même pas de lycée pour 45 000 habitants et n’a sûrement pas le nombre de classes d’enseignement primaire qu’il faudrait réellement. L’État ne peut pas à la fois consacrer des milliards à équiper des hélicoptères et des chars d’assaut pour aller faire la police dans le Golfe et à remplir ainsi les poches des marchands d’armes et de pétrole, et en même temps concevoir une police ou des éducateurs qui seraient plus proches de la population et au moins, surtout en ce qui concerne la police, expurgée des éléments racistes.

Dans ces banlieues sordides, même repeintes au goût du jour, on trouve toujours les moyens d’installer un supermarché facile à construire et qui rapporte gros à ses promoteurs. Mais il n’y a pas d’argent pour installer des salles de réunion, des centres de loisirs et des théâtres… Et c’est ainsi que la misère morale, l’ennui et la frustration matérielle vont toujours croissant.

La flambée de la violence de Vaulx-en-Velin ne sera-t-elle qu’un coup de tonnerre isolé, comme en 1981 aux Minguettes ? Ou bien les choses s’aggraveront-elles et les explosions de colère de la jeunesse des banlieues se multiplieront-elles ?

En tout cas, ce serait à la classe ouvrière d’offrir un drapeau à la révolte de cette jeunesse désorientée, car seuls les travailleurs le peuvent, si eux-mêmes sont suffisamment politisés pour faire vivre des partis ouvriers qui se donnent pour objectif de transformer radicalement et de fond en comble cette société.

Sinon, faute d’avoir proposé à temps des perspectives de lutte véritable à ces jeunes aujourd’hui dépolitisés, voire anti-politiques, la classe ouvrière pourrait les laisser suivre n’importe quel sauveur qui prétendra les sauver du racisme, dont ils sont victimes aujourd’hui, en leur proposant un autre racisme comme exutoire à leur révolte. On l’a vu dans le passé.

Et au lieu d’être des alliés possibles des travailleurs et le fer de lance des révolutions, les jeunes des banlieues pourraient alors se laisser embrigader par les pires ennemis de la classe ouvrière et contribuer ainsi à consolider l’ordre social dont ils sont pourtant les victimes.


LA RÉVOLTE DES JEUNES

Dès la mort d’un jeune motard samedi 6 octobre à Vaulx-en-Velin, dans la ban-lieue lyonnaise, la révolte des jeunes de cette ZUP a éclaté. Ils se sont répandus dans les rues de la cité. Le dimanche ils ont incendié le centre commercial du quartier : l’Intermarché et une vingtaine de magasins. Il a fallu près de 700 policiers, CRS et gendarmes pour que le calme revienne vers une heure du matin.

La colère des jeunes de Vaulx-en-Velin était d’abord dirigée contre la police. C’est aux « flics » qu’ils avaient voulu faire payer la mort de leur copain. En effet, la voiture de police qui a heurté la moto lui aurait délibérément coupé la route.

Ils auraient aussi voulu faire payer à la police toutes les humiliations quotidiennes. Depuis quelques semaines, les contrôles, « tatillons » comme dit pudiquement la presse, se sont multipliés. Mais ces contrôles sont surtout marqués par les brutalités physiques et le racisme.

Les jeunes ont donc voulu en découdre avec la police, et disent avoir allumé les incendies pour faire venir les flics et leur montrer qu’ils ne seront pas toujours les plus forts.

Les habitants du quartier ont assisté aux affrontements et aux incendies sans manifester d’hostilité envers les jeunes, plus inquiets des charges policières que des pierres. Et même si, bien sûr ils n’approuvaient pas les destructions, ils essayaient plutôt de montrer comment ils vivaient aux journalistes qui les interrogeaient, de leur parler du chômage et de la misère. Pour conclure : « Ça n’a rien d’étonnant ».


UNE BANLIEUE FRAPPÉE PAR LE CHÔMAGE

La plus grosse partie de la population de Vaulx-en-Velin habite la ZUP qui a été construite dans les années 1970.

La moitié de cette population a moins de 25 ans. Le nombre de chômeurs est de 20 %. La moitié des habitants ne paie pas d’impôts sur le revenu.

Ce ne sont pas les premiers incidents qui se produisent à Vaulx-en-Velin. Dans le passé, on avait vu toute une cité, La Grappinière, se mobiliser contre la police venue arrêter un jeune. En 1981, à la suite des événements des Minguettes, là aussi des voitures avaient brûlé.

Une opération de réhabilitation de ce quartier du « Mas du Taureau » venait de se terminer avec, juste une semaine auparavant, l’inauguration de la plus haute tour d’escalade d’Europe sur le côté d’un immeuble dominant la place. Mais les opérations de réhabilitation, que ce soient la réfection des immeubles, l’ouverture de commerces ou l’aménagement des lignes d’autobus ne résolvent pas les problèmes de chômage des jeunes, ni la misère des familles.

Et ce qui a fait déborder le vase, ce sont les incidents quotidiens entre les jeunes et la police et la mort du jeune Thomas qui s’ajoute à une bonne dizaine d’assassinats racistes dans l’agglomération lyonnaise dont plusieurs à Vaulx-en-Velin.

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