Article de René Lustre paru dans Le Libertaire, n° 336, 27 novembre 1952, p. 1
ÉDITÉS pour la première fois en 1936-38 « Les procès de Moscou » sont réédités périodiquement et chaque fois dans un pays différent du glacis stalinien. Les personnages variant seulement, les juges d’hier jouant bien souvent le rôle des accusés du jour, « ces procès » n’intéressent plus, n’émeuvent plus.
Alors que la presse bourgeoise ne commet jamais l’oubli de relater le fait — il y a toujours pour elle une jouissance morbide d’étaler la pourriture de l’adversaire — c’est pour nous, toutes les fois, un accablement, non pas celui de voir des hommes abandonner toute dignité, les compères des procès juges et victimes, ne nous intéressent pas, mais l’accablement de voir cet immense drame, l’horrible, l’hallucinante expérience du stalinisme se perpétuer, fonctionner toujours impeccablement.
La Tchécoslovaquie connaît à nouveau un procès « des traîtres à la nation ». Clementis et Slansky tous deux personnages importants du parti stalinien local sont accusés d’espionnage au profit de l’impérialisme américain ; et comme toujours les accusés se reconnaissent coupables de tous les crimes de la terre. Ça n’apporte rien, l’histoire est connue.
Il reste intéressant encore cette fois de constater que la période choisie pour ouvrir le procès est celle d’une situation critique de l’économie du pays.
Cette situation grave que traverse la Tchécoslovaquie a certainement des raisons diverses mais le facteur principal incombe à la rigidité politique du Kremlin, aveuglé par un centralisme sans bornes. Il suffit que des militants s’insurgent contre cette incompréhension des problèmes que pose chaque pays, voire chaque région pour qu’un procès pour haute trahison soit ouvert contre eux.
Staline donne toujours tort à la réalité. Là est certainement l’explication des procès. La situation géographique des pays ainsi que la popularité du leader n’a permis qu’une seule fois, et pour Tito, une rébellion ouverte de tout le parti contre la souveraineté de Staline.
Mais ce qui est autrement nouveau dans ce procès, c’est l’effrayante réapparition du mobile principal de l’agitation politique du nazisme : l’antisémitisme.
L’accusé numéro un du procès de Prague, Slansky, est un israélite de langue tchèque à qui il est reproché d’avoir protégé des organisations juives sionistes et tous ses complices sont des Juifs, agents des ennemis du peuple et de l’impérialisme américain, saboteurs économiques et assassins des vrais fils du peuple, maintenant héros nationaux comme ce Jan Sverma tué en 1944.
Hitler avait condamné les Juifs, tous les Juifs sans distinction d’opinion et de situation sociale. Il les accusait d’être tous au service de l’impérialisme et du bolchevisme. Staline ne pouvant, sans faire tomber son paravent socialiste, déclarer ouvertement l’extermination des Juifs a simplement changé les termes d’antisémitisme par antisionisme.
Il est certainement vrai qu’Israël soit le jouet des U.S.A. mais sinon autant, surtout pas plus que tous les autres pays du camp américain. Mais, comme Hitler, Staline a compris toute la puissance, pour l’agitation politique du ressort anticapitaliste des masses qu’est l’antisémitisme.
Pour le peuple écrasé, abruti, les termes employés importent peu, le dérivatif lui est offert et le Juif reste la cause de sa misère.
Les fours crématoires doivent déjà fonctionner en Oural et en Sibérie, peut-être aussi à nouveau ceux qui n’ont pas été détruits en Allemagne.
Si la sociologie explique l’antisémitisme et enlève beaucoup d’illusions pour l’éducation des masses sur ce problème qui ne peut être résolu définitivement qu’avec un changement des structures sociales et des rapports nouveaux entre les hommes, nous sommes consternés de voir renaître, relancer par une politique gouvernementale, un mal pour lequel des milliers d’hommes et beaucoup de staliniens sont morts espérant le voir à jamais disparu.
L’antisémitisme de Staline n’est, malgré cela, pas nouveau, il le pratique depuis longtemps en U.R.S.S., des documents irréfutables le prouvent maintenant mais il sut le camoufler.
Il s’engage ouvertement à présent, à l’extérieur, dans cette agitation d’assassins politiques et a bien choisi l’endroit : cette Europe centrale dévorée depuis longtemps par ce mal social qu’est le sentiment antijuif.
René LUSTRE