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Anticléricalisme prolétarien

Article paru dans Le Populaire, 15e année, n° 3324, 15 mars 1932, p. 4

Ne pouvant retracer ici dans tous ses détails la démonstration continue à laquelle procède dans son si intéressant ouvrage notre camarade Marceau Pivert (L’Église et l’École, Figuière édit.), nous voudrions insister quelque peu sur la thèse centrale ; la religion est-elle, peut-elle être, pour un socialiste, et pour le parti socialiste, une « affaire privée » ?

Marceau Pivert ne croit pas qu’il soit possible de s’organiser sur le plan prolétarien, et d’entreprendre une action vraiment socialiste, sans risquer tout au moins de perdre la « foi de nos pères ». Il n’accepte pas que l’on dissimule ce risque aux ouvriers croyants que les propagandistes appellent à cette action collective. Et ces propagandistes ne peuvent non plus dissimuler l’effort antagoniste développé par l’Église contre le socialisme. Le prolétariat a notamment besoin d’une laïcisation intégrale de l’enseignement. C’est pour les socialistes chrétiens que la religion est en effet affaire privée : elle ne saurait l’être du point de vue de l’action collective du socialisme organisé.

« Marx a d’ailleurs vivement critiqué cette formule de Goerter. On pourrait sans doute la comprendre, bien logiquement, comme un réflexe de défense des prolétaires à qui un régime politique oppressif voulait imposer une autre religion que la leur. En ce cas, elle signifie : « Laissez-moi libre de choisir ma religion. » Elle n’a plus le même sens si, au sein du mouvement socialiste, elle permet de contrarier plus ou moins directement l’effort d’éducation nécessaire, la rupture de solidarité avec tout l’appareil idéologique utilisé par la bourgeoisie.

« Donc, une éducation laïque, une philosophie matérialiste, une conception de la liberté qui signifie une conscience claire des déterminismes mis en jeu, telles sont les directions vers lesquelles semble s’orienter le mouvement socialiste. Non pas antireligieux, mais areligieux. Non pas « laïciste », mais intégralement laïque. Non pas persécuteur, mais décidément persuasif, propagandiste et militant.

« Sur tous ces points, l’effort socialiste rencontre la volonté obstinée de l’Église qui veut lui barrer la route. Conséquence du phénomène fondamental qui oppose des forces de perturbation et de transformations sociales à des forces de conservation de l’ordre social. Ni en théorie, puisque la religion exprime un besoin de conservation des valeurs, ni en fait puisque la lutte se déroule sous yeux, on ne peut donc nier l’existence d’un véritable anticléricalisme prolétarien, on ne peut admettre, comme règle générale, que la religion soit une affaire privée. »

(Pages 205-206.)

Cette thèse de Marceau Pivert, fortement étayée, ne peut manquer de fournir l’occasion de discussions particulièrement utiles et intéressantes. Les sections feront bien d’y songer lorsqu’elles seront en quête de sujets de conférences.

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