Catégories
presse

Jean Vogt : Israël. Fusion entre deux organisations marxistes-révolutionnaires

Article de Jean Vogt paru dans Inprecor, n° 55, 21 juin 1979, p. 15-17

Matzpen’s block in the May 1st demonstration, Tel Aviv 1979 (source)

Du 12 au 16 avril 1979, s’est tenu à Jaffa un Congrès d’unification entre la Ligue communiste révolutionnaire (Matzpen-Marxiste), section de la IVe Internationale et le Groupe communiste palestinien. Il s’agit de la première fusion entre 2 organisations anti-sionistes depuis la création de l’Etat d’Israël. Cette fusion a une importance fondamentale pour les révolutionnaires palestiniens et pour tout le monde arabe.

Depuis la création de l’Etat d’Israël et après la disparition de la Ligue des communistes révolutionnaires, organisation marxiste-révolutionnaire qui s’est opposée à la fois à la division de la Palestine et à la création de l’Etat juif au détriment des masses arabes, la gauche israélienne a été dominée par le Parti communiste (Maki et ensuite Rakah), parti dépendant de la bureaucratie soviétique. En 1962, un groupe de membres juifs a rompu avec le PC israélien sur la base d’une analyse encore insuffisante concernant les tâches pour l’avenir et il commença à éditer un journal, le « Matzpen » (« La boussole ») ; à ce noyau central vinrent se joindre deux camarades trotskystes, qui ont pu influencer le groupe dans l’élaboration de conceptions plus claires.

Mais le fondement de l’union était la lutte contre le sionisme, contre l’oppression des masses palestiniennes, contre les conquêtes israéliennes de 1967, pour le droit des Palestiniens de retourner sur leurs terres, et pour l’unification socialiste de la zone arabe. Ces positions allaient déclencher la haine au sein de la population juive qui ne pouvait pas accepter un groupe de juifs s’opposant à l’Etat juif et qui défendait en même temps le droit des Palestiniens à rester sur leurs terres en Palestine. Mais l’absence de clarification politique provoqua, en 1970, une scission donnant naissance à 2 groupes, l’Alliance ouvrière, lambertiste et Maavak-Combate, groupe centriste aujourd’hui disparu.

La division la plus importante se produisit en 1972 au moment où une grande partie de l’organisation demanda son adhésion à la IVe Internationale, avec un programme plus clair et plus cohérent par rapport aux tâches des révolutionnaires juifs et arabes en Israël. La gauche antisioniste fut toujours très critiquée en raison de ses scissions et de la quantité de groupes de gauche. En 1977, un processus de rapprochement s’instaura entre la LCR et le GCP (groupe formé par une partie des lambertistes, alors en pleine crise, en raison de leur attitude sectaire et de leur isolement au niveau international). Ce processus se développa et put s’approfondir au travers de larges débats et dans des actions communes ; il aboutit à la publication d’un mensuel commun pendant une période de 5 mois, et le point culminant fut la préparation des textes pour le Congrès.

Actuellement l’Etat sioniste traverse une crise sans précédent, conséquence de sa politique de colonisation et d’oppression du peuple palestinien. Dans ce contexte, les accords conclus avec l’Egypte (rencontres Begin-Sadate), ne font que confirmer le caractère de cette crise, où la solution que propose l’impérialisme doit obligatoirement satisfaire à la fois, les bourgeoisies arabes et l’Etat sioniste. La politique impérialiste ne peut pas conclure une paix durable qui est rejetée l’ensemble des masses du Moyen-Orient et surtout aujourd’hui après la chute de la dictature sanglante du Shah d’Iran. Le processus révolutionnaire en Iran donna un nouvel élan aux masses et au mouvement révolutionnaire, qui ont compris que la paix et la justice sociale seront conquises par leurs propres luttes et non pas par des accords diplomatiques. Carter, Begin et Sadate ne seront pas capables de mettre en œuvre une paix durable, leurs intérêts étant de mettre fin à la lutte du peuple palestinien et du mouvement révolutionnaire.

Les textes du Congrès montrent bien jusqu’à quel point il existait une réelle convergence entre les deux organisations sur les tâches à accomplir pour les marxistes-révolutionnaires en Israël. Ces accords sont basés sur l’adhésion au programme et à la tradition de la IVe Internationale et sur le désir de construire un parti léniniste, régi par le centralisme démocratique. Les directions des deux organisations arrivèrent à un accord fondamental sur le caractère contre-révolutionnaire de l’accord Carter-Begin-Sadate.

La LCR (Matzpen-Marxiste) – nom de l’organisation unifiée – soutient et est partie prenante de la lutte du peuple palestinien pour le rétablissement de ses droits et pour la libération de la Palestine. La LCR avance la perspective de la construction d’une centrale ouvrière indépendante de l’appareil sioniste et de l’Etat, qui mette en avant une politique de classe et réponde aux intérêts historiques du prolétariat juif, pour son union avec la lutte des masses palestiniennes. L’organisation de la classe ouvrière aura comme premier objectif la défense du niveau de vie des masses, car il a baissé énormément depuis l’instauration de la nouvelle politique économique du gouvernement Begin : l’inflation annuelle est de 88%, alors que la dépendance vis-à-vis de l’impérialisme américain s’accroît sans cesse ; les importations de produits dépassent largement les exportations (les investissements étrangers ont doublé en 1978, 208 milliards de dollars, par rapport aux 103 milliards de dollars en 1977) et la valeur de la lire israélienne a baissé de 22 % depuis le début de l’année.

La LCR reconnaît l’importance de la lutte de libération des femmes et impulse la construction d’un mouvement féministe indépendant, ayant comme axe central aujourd’hui les revendications pour le droit à l’avortement et l’obtention de moyens contraceptifs sûrs et à des prix populaires, revendications avancées dans plusieurs pays, notamment lors de la Journée internationale pour l’Avortement, le 31 mars 1979. Cette revendication a une place privilégiée en Israël, d’un côté en raison du rôle coercitif et réactionnaire que jouent les religieux par rapport à la femme, qui est aussi soumise intérêts particuliers de l’Etat juif : chaque enfant représente un futur soldat.

La LCR est la première organisation à mettre en avant des revendications pour la liberté d’expression ; pour l’amélioration des conditions de réclusion des prisonniers politiques palestiniens et juifs ; pour la lutte contre les bandes fascistes et contre la colonisation des territoires de Cisjordanie.

Le jour de l’ouverture du Congrès fut marqué par un enthousiasme révolutionnaire, puisqu’y participaient d’autres groupes révolutionnaires anti-sionistes ainsi qu’un membre du Secrétariat unifié de la IVe Internationale, et un camarade du Comité central de la Section autrichienne, qui s’adressa au Congrès. Prirent également la parole les camarades répresentants du groupe Alliance ouvrière, du groupe Abne al Balad (« Les enfants du village ») – qui participèrent à la discussion des thèses politiques -, du village arabe d’Um Al Fahm (un des plus importants d’Israël), des représentants du Mouvement national progressiste des Etudiants palestiniens de Tel-Aviv et de Jérusalem. Parmi les messages reçus il faut signaler celui de la Section libanaise de la IVe Internationale et celui de l’Union des Communistes syriens – organisation ayant un large accord programmatique avec la LCR, mais pas encore avec la IVe Internationale.

Tous, participants ou non au Congrès, soulignèrent l’importance de l’unification de nos deux organisations communistes comme étant un premier pas vers l’unification de toutes les forces communistes antisionistes de la Palestine.

L’avocate, chargée de la défense des prisonniers politiques, Lea Tzemel, a proposé comme président d’honneur du Congrès les prisonniers politiques et les six étudiants palestiniens qui furent suspendus pendant trois mois de l’Université, pour avoir manifesté leur solidarité avec l’OLP, raison de leur absence au Congrès. Cette position fut acceptée. Le Congrès salua aussi tous les morts dans la lutte contre l’oppression et, en particulier, les deux jeunes gens qui furent blessés mortellement par les forces criminelles de l’armée israélienne, dans le village de Jaljul en Cisjordanie.

Notre Congrès, qui fut réalisé en pleine période d’effervescence de la révolution iranienne, a décidé aussi de saluer fraternellement les camarades du PST iranien – signalant l’importance du processus révolutionnaire pour tout le monde arabe. Notre organisation, qui en ce moment commence une campagne pour l’achat d’un local central à Tel Aviv, a réussi à collecter plus de 39 000 lires (8 500 F.) pendant le seul premier soir du Congrès, prouvant ainsi le grand élan révolutionnaire qui nous imprégnait.

Le lendemain, sommet du Congrès, sera marqué par le débat sur les thèses politiques et nos tâches pour l’intervention dans le mouvement de masses. Le camarade du S.U. fit l’introduction, en signalant le caractère de l’actuelle crise internationale du système capitaliste ainsi que la nouvelle offensive de la bourgeoisie pour briser la lutte de la classe ouvrière, qui à l’heure actuelle manque d’une réelle direction marxiste-révolutionnaire au niveau international, capable de diriger sa lutte pour la conquête du pouvoir, la défaite de la bourgeoisie et la construction du socialisme. La IVe Internationale, à travers les diverses fusions réalisées dernièrement au Mexique, en Espagne, en Iran, au Pérou, etc., fait un grand pas en avant vers la construction d’une Internationale de masse.

Les thèses « L’offensive impérialiste et les perspectives pour la révolution socialiste arabe » révèlent l’importance de la révolution iranienne au moment où l’impérialisme américain essaye de réaliser des accords sur les dos des masses arabes et surtout aux dépens du peuple palestinien qui se voit bombarder jour et nuit au Liban, au nom « des vœux sincères d’instauration de la paix » de M. Begin. Israël étant actuellement le gendarme ferme et puissant de l’impérialisme américain, il lui est sans aucun doute nécessaire d’effectuer un progressif rapprochement avec les bourgeoisies arabes afin de parvenir à une série d’accords capables de stabiliser la région.

La thèse « Deux années de gouvernement Begin : recrudescence de la crise du sionisme » met l’accent sur la crise politico-économique et idéologique qui traverse actuellement l’Etat juif. Les Israéliens ne peuvent plus nier l’existence du peuple palestinien et sa résistance ; l’idéologie sioniste est incapable d’occulter éternellement les crimes du sionisme, qui n’a jamais réussi à résoudre le « problème juif », mais qui tout au contraire a enfermé le peuple juif dans un ghetto et lui fait supporter des guerres et des conquêtes. D’un autre côté, l’organisation et la mobilisation du peuple palestinien s’accroît chaque jour davantage – de manière indépendante – au sein du propre Etat d’Israël, s’opposant à la politique de conciliation de la part de Rakah, vis-à-vis du sionisme et de l’Etat juif et constituant ainsi un champ d’influence pour les idées marxistes-révolutionnaires. Ceci étant, s’il y a des perspectives de luttes conjointes juives-palestiniennes, cela n’empêche nullement qu’une majorité de la population juive suive aveuglement la politique du sionisme et profite des avantages matériels que l’Etat juif lui offre, pour le simple fait d’être d’origine juive.

La thèse « La lutte pour la libération des femmes et le rôle de la LCR », fait une analyse actuelle de la femme juive et palestinienne. Toutes deux sont opprimées mais à des niveaux différents, car la femme arabe vit dans le cadre d’une société primitive et en plus, elle appartient à un peuple opprimé qui lutte pour ses droits nationaux. Cela fait que les caractéristiques des luttes sont distinctes et se situent à des niveaux différents, constituant pour l’instant des formes de luttes séparées. Ces thèses ont une importance particulière puisque c’est la première fois qu’une organisation de gauche en Israël fait une analyse exhaustive sur l’oppression des femmes, ses racines, sa situation actuelle et les solutions à court et à moyen terme.

Les perspectives organisationnelles furent traitées pendant le dernier jour du Congrès. Les participants de plusieurs secteurs d’intervention remarquèrent les réelles possibilités de développement de la LCR ainsi que de la diffusion des idées marxistes-révolutionnaires antisionistes.

La dernière étape du Congrès fut le vote des documents avec leurs amendements respectifs, démontrant le caractère démocratique des débats et du déroulement du Congrès. En même temps était élu le nouveau Comité central, composé par des membres des deux organisations.

La LCR et la GCP, fusionnées dorénavant en une même organisation – la LCR – posent les bases pour la construction d’un parti communiste révolutionnaire en Palestine, avec un programme marxiste-révolutionnaire, constituant ainsi l’embryon du futur parti qui dirigera les masses opprimées dans leur lutte pour la prise du pouvoir et pour la révolution socialiste.

Les tâches de la LCR sont immenses, et la trajectoire est très difficile. Cette fusion constitue cependant un ferme pas en avant vers la construction du Parti communiste révolutionnaire de la Palestine et de tout le monde arabe.

* VIVE LA LUTTE JUIVE-ARABE POUR UNE PALESTINE UNIFIEE ET SOCIALISTE !

* VIVE LA REVOLUTION SOCIALISTE ARABE !

* VIVE LA IVe INTERNATIONALE, PARTI MONDIAL DE LA REVOLUTION SOCIALISTE !

3 réponses sur « Jean Vogt : Israël. Fusion entre deux organisations marxistes-révolutionnaires »

Bonjour je viens de lire « Sur la Frontière » de Michel Warchawski paru il y a plus de 20 ans et qui retrace en partie l’histoire de ce groupe qui n’a jamais dépassé les 50 militants. C’est un chouette bouquin sur le travail de solidarité, même si je suis sceptique sur certaines des analyses de l’auteur. Par rapport à ce texte précis, ce qui me frappe ce sont les illusions sur la « révolution arabe » qui étaient dominantes à l’époque (en tout chez les trotskystes et les maoïstes) et qui aujourd’hui semblent bien dépassées. Mais peut-être est-ce que je me trompe ?

Bonjour Yves, merci pour ton commentaire. En effet, je partage tes réserves concernant les analystes ou les illusions de ce courant trotskiste sur la « révolution arabe » qui ne font que prolonger celles sur la « révolution coloniale ». Avec le recul, il y a des choses qui paraissent non seulement périmées mais aussi déconcertantes… Néanmoins, il me semble intéressant, surtout dans la période actuelle, d’exhumer des textes élaborés par des internationalistes sincères, sans nécessairement tout cautionner chez eux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *