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Diffamation sur le prétendu terrorisme anarchiste ; Le point sur Israël

Article d’I. Lauden suivi d’un commentaire de Joël Gochot parus dans Le Monde libertaire, n° 190, mai 1973, p. 8-9

In May 1972, gunmen attacked an Israeli airport, killing 26 people (Source)

Diffamation sur le prétendu terrorisme anarchiste

Ces derniers temps, il a déferlé un ouragan de crimes politiques sur notre monde tumultueux ; terreur individuelle et piraterie aérienne qui ont pris un caractère dangereux. Une vague de terreur et de criminalité, exportée du Japon, de la Turquie et de l’Amérique latine, qui n’évite pas notre pays. Les terroristes qui se déguisent avec des plumes idéologiques se comportent de plus en plus en bandits et en bourreaux inhumains. Mais ces bandits idéologiques sont pires que les simples criminels : ils se dissimulent derrière des idées et une phraséologie et ignorent le regret ou le remords.

Il n’y a pas que la Nazodnoïa Volia et les S.R., mais aussi les autres partis socialistes en Russie tzariste qui aient utilisé les moyens de la terreur individuelle. Des groupes bolcheviques ont dévalisé des caisses gouvernementales et l’argent vole leur servait pour les besoins du parti. Dans le « Bund » yiddish aussi, s’est déroulé une large discussion pour savoir si l’on devait se servir du terrorisme individuel, mais jusqu’à aujourd’hui, ils tirent fierté de Hirch Lecker qui a tiré sur un fonctionnaire tzariste pour venger les sévices subis par les détenus politiques.

De même on impute aux anarchistes l’usage de la terreur, pourtant, même chez eux se sont déroulé, autour de cela, des discussions sévères qui ont même conduit à une scission dans leurs rangs. En définitive, l’anarchisme en tant que mouvement profondément humaniste a complètement rejeté la terreur en tant que méthode. Cela n’a pourtant pas empêché et n’empêche pas jusqu’à présent d’identifier l’anarchisme au terrorisme. On ne comprend pas quel intérêt ont les journalistes israéliens et le journal Rechout Achidour de faire passer chaque crime pour un acte des anarchistes ? Serait-ce de la mauvaise foi, de la mauvaise volonté ou du charlatanisme ? Pourtant, à ce jour tout ceux qui lisent un journal savent pertinemment que les groupes terroristes de la Turquie, jusqu’en Amérique latine, se proclament ouvertement en tant que marxistes. L’ « Armée Rouge » japonaise est une scission du Parti Communiste japonais et n’a rien à voir avec les anarchistes japonais, qui sont plutôt amicaux à l’égard d’Israël. Les terroristes sud-américains sont entretenus par le dictateur communiste F. Castro de Cuba dans les prisons duquel sont enfermés bon nombre d’anarchistes cubains. Tous les autres groupes terroristes arabes ou de la « gauche marxiste » sont entretenus par Moscou ou par Pékin. La diffamation à l’égard des anarchistes va si loin, qu’en Italie, pour tous les meurtres et les actes criminels des néo-fascistes, on arrête des anarchistes innocents, ceux-là même qui combattent contre le fanatisme.

Les journalistes israéliens tiennent aussi les anarchistes pour des ennemis d’Israël, alors qu’il est connu que le porte-parole actuel de l’anarchisme se trouvant en Allemagne, est Auguste Zav’hi qui ne cesse de louer les structures des Kibboutzin. Auguste Zav’hi est aussi un collaborateur permanent du plus ancien journal yiddish du monde, le Freie Arbeiter Stimme auquel participent également d’aussi épouvantables « terroristes » que Dr Y. Krouk, M. Gross-Zimerman, Mendel Mann et d’autres. De même les anarchistes suédois sont connus pour être des amis d’Israël. Et s’il s’agit du groupement israélien des socialistes libertaires, ils restent fermement sur la terre d’indépendance juive en Israël, en tant que foyer de tous les juifs qui sont obligés ou veulent aller là-bas.

Déjà en 1936-1937, les libertaires israéliens participèrent au combat de la communauté juive contre les pogroms arabes. Un grand nombre de nos camarades sont disséminés dans les Kibboutzim israéliens. Alors, pour quelles raisons les journalistes israéliens se permettent-ils de diffamer et de falsifier l’anarchisme ? Si nous critiquons l’injustice sociale, les intrigues des politicards israeliens, l’enrichissement des spéculateurs sur le compte du peuple et de la caisse d’Etat, c’est à cause de notre souci pour ce pays et pour ses travailleurs. Est-ce qu’une organisation aussi hautement humanitaire peut avoir quelque chose de commun avec les meurtriers de l’aerodrome de Lod et d’autres actes de banditisme des terroristes marxistes ? Nous nous détournons avec dégoût de la haine maladive des ennemis d’Israël qui est en tant que tel, un refuge pour les juifs miraculeusement sauvés, qui ont les mêmes droits que tous les autres peuples sur leur terre. Nous ne sommes que contre les politicards israéliens qui veulent enlever aux arabes leurs droits et qui oublient qu’il faut se comporter avec eux respectueusement et tout faire pour vivre avec eux en paix.

Enfin, pour qu’on nous comprenne bien, nous faisons remarquer que si nous refusons toute dictature et toute guerre, toute terreur et toute agression, il ne faut pas pour autant identifier l’anarchisme avec ce pacifisme extrême qu’est le gandhisme. Nous sommes fiers de Shalom Schwartz-Bart, cet anarchiste qui a tué le bandit ukrainien et fomenteur de pogroms qu’était Petliovra. Nous sommes contre la guerre en tant que barbarisme sauvage, mais nous estimons profondément morale, la défense de sa propre existence et les voies de tous nos proches, de même que celles de tout un peuple. Nous ne pouvons rester neutres quand une guerre nous est imposée pour notre défense et nous sommes obligés avec DES ARMES QUE NOUS HAÏSSONS de protéger notre vie et notre existence.

Avec grand peine, nous avons lu la résolution de la conférence de l’Internationale Socialiste, qui condamnait la vague de terreur qui déferlé sur le monde comme le fait de la droite et la gauche des groupes pseudo-anarchistes. L’opposition des délégations britannique, canadienne, hollandaise, suédoise et du Bund yiddish n’ont servi à rien, malgré l’argument que l’anarchisme n’a rien en commun avec cette terreur. La résolution des partis socialistes a été entérinée, et la honte en est encore plus grande que les groupes de la délégation israélienne aient voté pour.

« Est-il étonnant, alors, que la radio israélienne se permette de nommer les anarchistes de bandes de terroristes qui sont entretenus par des gouvernements marxistes ? »

Un des premiers kibboutzim, à sa fondation

Le point sur Israël

Ce texte est une traduction inédite d’un article paru dans le mensuel anarchiste américain Freie Arbeiter Stimme (la Voix Libre du Travail) numéro 2994. Pour l’historique de ce journal et du mouvement anarchiste d’expression yiddish, nous reportons les lecteurs à l’article de J. Barrué, au numéro 176 (décembre 1971) du Monde Libertaire.

Pourquoi cette traduction ? Nous l’apportons comme une pierre à la connaissance du problème israélo-arabe, comme un élément à insérer dans un ensemble. Il nous apparaît, hors de son contexte linguistique et culturel, sujet à certaines contradictions avec notre idéal et difficilement négligeables pour un anarchiste. C’est pourquoi nous l’avons fait suivre d’un commentaire critique et d’une analyse rapide du problème.

Pour certains, cet article de Lauden dénotera un certain parti pris ; je regrette de n’avoir jamais rencontré de libertaire d’origine arabe qui ait écrit ou parle sans trop de sectarisme sur le Moyen-Orient. Il y aura certainement chez certains lecteurs imbibés de culture gauchiste, pour lesquels il n’est qu’une vérité, La Dominanté, une réaction d’agacement. La faute en est à l’absence de réflexion. Nous nous trouvons actuellement en face d’un syllogisme : « Je suis révolutionnaire, les révolutionnaire soutiennent la révolution palestinienne, si je ne la soutiens pas, je ne suis pas un révolutionnaire ». Tel est le langage démagogique de l’extrême-gauche. Je dois noter qu’historiquement le développement du soutien à la révolution palestinienne et de l’antisionisme ne date pas de longtemps. A quoi cela est-il dû ?

LE PROBLEME DU MOYEN-ORIENT

Il faut tenir compte de plusieurs mouvements simultanés de la conscience des troupeaux et des objectifs de leurs états-majors, tenir compte aussi des erreurs et des actes inhumains pratiqués par les uns et les autres. Le Moyen-Orient est un point-clé de l’hégémonie internationale par sa localisation-tampon entre les grands blocs, par sa richesse pétrolière, par les masses incultes qui, dans l’optique marxiste-léniniste d’une « tricontinentale » seraient à même, si on savait les manier, d’infléchir l’équilibre international des forces politiques ; il en va tout autant pour le monde occidental. D’un côté comme de l’autre : IMPERIALISME SUR LES RICHESSES NATURELLES ; IMPERIALISME SUR LA FORCE DE TRAVAIL DES HOMMES ET SUR LEUR ESPRIT. Les francs-tireurs gauchistes y voient quant à eux une possibilité de propagande dans leur pays et dans ces pays. Les propalestiniens sont des curés colonisateurs en drapeaux rouges. Elle est loin déjà l’époque des Soldats de dieu, des Croisés, des Inquisiteurs de l’Eglise du Christ. Aujourd’hui c’est l’Eglise de Marx.

Il y a donc autour de ce drame, vieux de plus de 25 ans, toute une trame de passions vécues par les uns ou les autres avec foi, sincérité, fanatisme, subjectivisme ou opportunisme. Je pense important de sérier les grands courants d’engagement, des belligérants aux sympathisants.

I – Sur place ; un rapide historique.

Israël apparaît comme Etat en 1948, avec l’accord de l’O.N.U., animé d’une volonté de vivre à tout prix, après le génocide nazi en Europe. Voici, côté israélien, l’origine passionnelle du conflit : un traumatisme de l’extermination, la violence du « jamais plus » des anciens juifs des ghettos. En plus de cette émigration vers un asile sioniste de rescapés des camps de concentration (mythologie religieuse), il y a eu l’Alya (le « Retour ») des victimes, en général, de l’antisémitisme ; à la recherche de la sécurité. Enfin cet autre mouvement, le plus important à nos yeux, de militants socialistes et anarchistes, venus après la prise du pouvoir des bolchéviques en U.R.S.S. C’est eux qui fondèrent la civilisation originale du kibboutz, cette structure libertaire, pratiquant l’économie distributive, constituée en fédération, refusant Etat et famille, argent et propriété, combattant en milices armées les agressions des bandes pillardes des cheiks de la région.

En Egypte, en Syrie, après la seconde guerre mondiale, des spécialistes nazis trouvaient asiles ; on y utilisait leurs compétences. Mein Kampf, traduit en arabe, était abondamment diffusé ; et bientôt les marxistes russes puis chinois arrivaient. On note divers points qui aboutissent à la formation du conflit israélo-palestinien.

Premier antagonisme : celui de la « science » contre l’obscurantisme.

Deuxième antagonisme : un héritage spirituel historico-religieux évoluant sous des tensions sociales (se rappeler l’importance numérique du sous-prolétariat juif par rapport aux quelques grandes familles de la finance) contre une structuration religieuse, absolutiste et figée.

Troisième antagonisme : un mouvement de tendance socialiste libertaire, fixé sur des terres incultes, cédées par leurs propriétaires arabes – avec ou sans achat – contre une société féodale et servile, passive.

Quatrième point : une propagande antisémite dirigée par les spécialistes allemands ; puis antisioniste par les Moscovites puis les Pékinois.

Les Sionismes

Mais les frictions entre les deux civilisations restent passagères, jusqu’en 1947-1948 où l’émigration se fait de plus en plus massive, composée par une population diversifiée, démunie, traumatisée et hypnotisée par le mirage de cette « Terre élue ». (Dans le rituel israélite, tous les ans, revient la phrase « l’année prochaine à Jérusalem » ; le sionisme n’est donc pas récent, mais correspond à une aspiration datant de la destruction d’un royaume d’Israël par les Romains). Ce sionisme utopique devient fonctionnel pour beaucoup ; leur culture religieuse et nostalgique fait le reste. Le sionisme est un mouvement hétérogène. Croyants, athées, socialistes, hommes de droite et de gauche, prolétaires et capitalistes convergent vers cette terre où le seul frein est exercé par l’occupant britannique. 1948 : l’Etat est instauré par les politiciens, avec ses structures policières, religieuses, militaires et économiques. Un Etat religieux et « socialiste » ; les villes n’existant pas, l’hydre étatique doit s’installer par l’absorption et la récupération des structures des kibboutz. En fait, c’est la fin d’une société libertaire et le sourire vainqueur de l’autorité. De l’autre côté, la propagande belliciste arabe prépare les Palestiniens musulmans à la certitude d’une extermination par les armées du nouvel Etat. Et c’est la guerre. Ce sont des massacres de part et d’autre. Il existe deux versions, l’une rejetant sur l’autre les responsabilités du conflit. Les Israéliens gagnent. Ceux que l’on appellera le peuple palestinien, s’enfuient par crainte ou par contrainte. Exode partiel : une partie reste ou reviendra dans ce pays ; les autres, réfugiés dans les pays limitrophes, sont parqués dans des camps : il n’y aura pas intégration de ces exilés. On peut supposer la volonté des dirigeants arabes et de leurs conseillers étrangers, de conserver cet abcès à démographie galopante, ignare ; un futur bélier contre le nouvel Etat.

Les camps de réfugiés voient bientôt surgir une génération spontanée de théoriciens marxistes qui militent, forment des organisations « nationalistes » (la Libération Nationale, dont le sionisme politique se réclame aussi !) entraînent leurs camarades, se trouvent armées puis passent au terrorisme. En Israël, les armes arrivent aussi.

« REVOLUTION » PALESTINIENNE ET « SOCIALISME » HEBREU ?

1964 :
« Charte Nationale Palestinienne ».

Art. 9 :
« La lutte armée est le seul moyen de libérer la Palestine. C’est une stratégie et non une tactique ».

Art. 8 :
« Les contradictions entre les forces nationales palestiniennes sont secondaires et doivent être reléguées au second plan ».

Art. 5 :
« Sont palestiniens les citoyens arabes qui ont résidé en permanence en Palestine jusqu’en 1947 … [de même] celui qui est né d’un père arabe palestinien – après cette date – en Palestine ou ailleurs. »

Art. 6 :
« Seuls les juifs ayant résidé en permanence jusqu’au début de l’invasion sioniste (1917) dans ce pays sont considérés comme palestiniens. »

Si l’on peut estimer à juste raison que l’Etat d’Israël est un Etat comme n’importe quel autre, mais à structure occidentale, avec son capitalisme, son exploitation de l’homme par l’homme, ses parias, sa police, son armée, son refus de la « subversion » libertaire (mais ici inversée, l’Etat ayant assimilé, englobé et anéanti la défunte civilisation des kibboutzim). Un Etat avec ses politiciens au pouvoir ou le recherchant, avec en plus le problème d’être une enclave dans un monde musulman hostile, on aura alors une topographie de sa réalité : une réalité étatique et nationaliste.

Et de l’autre côté ? Des populations arabes régies par le même principe étatique. Mais avec un retard scientifique, technologique et même « humaniste » ; les concepts de masses et de fanatisme aveugle se retrouvant facilement dans ces milieux incultes, abrutis par leurs dirigeants spirituels ou politiques. Dans ces pays, les marxistes ont fait école ; ils ont emmené leur idéologie, leurs « conseillers techniques », leur aide économique et militaire. Dans ces contrées, l’appel à la Tricontinentale de Che Guevara a été suivi, on y a crée un deuxième Vietnam, « contre l’impérialisme yankee et ses valets sionistes ». C’est donc bien, encore une fois, le combat pour l’hégémonie entre les différents blocs politiques de la terre et contre les intérêts des populations locales. Quant aux chefs palestiniens, je réfère les lecteurs au titre d’un article d’octobre 72 : « Un futur Etat assassine déjà ». Un futur Etat, car ces chefs ont été formés à l’école des capitalismes d’Etat ou des Etats capitalistes. Au Moyen-Orient la voix libertaire est une immense muette. Qu’on en juge par exemple par cette phrase d’Ahmed Choukairy : « Nous jetterons les juifs à la mer, nous tuerons leurs femmes et leurs enfants, nous libérerons la Palestine arabe. » (Nouvel Observateur. ) Mai 67. On voit dans quelles lignes sont poussées les populations réfugiées ; Etats arabes et Etat israélien savent la réponse meurtrière qu’il faut donner à la proposition de surenchère. Les uns après les autres s’appliquent la loi du talion. Mais l’on peut se poser de savoir s’il existe chez les uns et les autres une expression sincère et cohérente visant à la paix et au socialisme ou s’il n’y a que des toxicomanes de la politique et du pouvoir. Sous des apparences révolutionnaires les uns ne sont-ils pas que des copies démarquées et équivalentes de leurs collègues du gouvernement d’Israël ? Révolution nationale implique nationalisme. Les exploités restent des exploités dans tous les Etats, même au Moyen-Orient. La révolution, comme la guerre de survie, consiste-t-elle à tuer des exploités détériorés en chair à canon sous uniforme ? La paix, la liberté peuvent-elles être le fait de fanatiques et de populations guerrières ?

Nous, anarchistes, ne saurions soutenir ni l’un ni l’autre de ces soupirants au pouvoir total. Nous sommes contre tout Etat et contre toute dictature, fût-elle celle d’un prolétariat inexistant. Nous condamnerons tout Etat, arabe ou israélien et quel qu’il soit. Mais nous nous élèverons à chaque fois contre celui qui aura semé la mort et la destruction, quel qu’il soit.

II Les sympathisants

Nous avons parlé de blocs hégémoniques, politiques et financiers ; leur rôle est indéniable dans la permanence de ce conflit. Ils y sont face à face, soutenant leurs « amis » respectifs. La politique française, elle, poursuit sa trajectoire de prestige, son rôle de tribunal mondial, intègre et impartial, avec une certaine amicalité intéressée pour ses anciennes colonies. La masse grégaire des « intellectuels et progressistes » français a réagi, évolué (sic), vers une sympathie inconditionnelle pour le clan arabe. Mobiles psycho-sociaux, certes, la défense des travailleurs émigrés (louable) puis l’exploitation, moins louable, de leur potentiel politisable est à retenir ; à retenir aussi les contacts persistants entre les anciens amis du F.L.N. algérien, marxistes et catholiques, avec leurs anciens camarades de lutte. Les groupes gauchistes ont perdu leurs militants d’origine israélite, ceux qui sont restés sont devenus pro-arabes par culpabilisation idéologique. Enfin, le vieux racisme français infléchira vers les uns ou les autres suivant les événements.

En France, les deux camps se heurtent autour des notions antisionisme – antisémitisme. L’inconscient collectif israélite ne peut ressentir l’attaque du sionisme qu’en tant qu’expression antisémite, dont se défend le lobby palestinien. Il existe aussi un racisme anti-arabe de la part des premiers, relevant d’un parti pris dans ce combat, de notions bibliques et d’une certaine tradition occidentale. En concept d’ensembles et d’interactions mathématiques, il faut pourtant admettre que la population israélienne, fixée en Palestine, ne saurait abandonner ses lieux de vie et de travail, c’est une réalité. Un autre est que cette population est essentiellement d’origine israélite, est que dans tous les pays la constante du juif bouc émissaire (cf. le texte raciste du « protocole de Sion »), jamais intégré dans ses territoires d’exil ; cette valence fanatique qu’est l’antisémitisme est loin d’être inexistante, elle est pour beaucoup dans la constitution d’une conscience globale d’un peuple juif, dans l’esprit de ces individus discriminés. La constitution d’une conscience collective a déterminé leur volonté de s’assumer et de s’imposer, non en tant qu’individus mais en tant que nation, et ce, malgré les nombreux révolutionnaires sortis de ces rangs.

Constitué par des Israélites, l’Etat sioniste attaqué par l’antisionisme, l’est en fait par l’antisémitisme. Querelle de mots, car c’est la réalité vécue qui importe : angoisse de la persécution entretenue dans les populations par des langages fignolés de théoriciens. L’absence d’individuation chez les uns comme chez les autres aboutit à un cul-de-sac autoritaire et revanchard. La violence met un point d’orgue à l’esprit mouton.

En France, les gauchismes, la gauche, l’Eglise, les gaullismes voient leurs propagandes indochinoises se dégonfler depuis la crevaison de l’abcès asiatique, accord de paix signé par les Grands Politiciens. Il leur faut un nouvel horizon de propagande-agitation, de mobilisation et formation de militants. C’est là l’origine essentielle de leurs positions sur le conflit du Moyen-Orient.

CRITIQUE DE LAUDEN

Je reviens maintenant au fond de l’article de Lauden. S’il existe une mise au point nécessaire sur le problème du terrorisme et sur la diffamation des étatistes contre l’anarchisme, s’il exprime bien notre conception de la violence défensive, il me semble qu’il y existe quelques ambiguïtés quand il parle plus en anarchiste d’origine israélite qu’en anarchiste. Cela est peut-être dû au fait qu’écrit dans un journal à lecteurs disparates, réunis par une communauté de langue, il ait voulu ménager le chou et je pense qu’il a tort, car il en ressort une sorte d’auto-disculpation à l’égard de ses ex-coreligionnaires. D’autre part, les mots ont une dynamique dangereuse. Ainsi il parle de « haine maladive des ennemis d’Israël », « Israël » signifiant l’Etat d’Israël. Dans le même passage, le mot « miraculeusement » ; depuis quand les « miracles » sont-ils des notions libertaires ? Un miracle est l’œuvre de la volonté d’un dieu, une œuvre salvatrice ou rédemptrice, mais une œuvre surnaturelle divine. Puis, il parle de « leur terre » ; accepterions-nous la propriété d’un sol qui ne peut appartenir par aucun droit, à qui que ce soit ? Il y a là un point de nationalisme et de patriotisme, que l’on ne saurait accepter, sans rejeter en même temps notre esprit de fédéralisme ou d’individualisme ; la terre que je travaille n’est pas une propriété transmissible, elle est une possession tant qu’y dure mon activité. Devenue « mon » ou « nôtre », attribut irréfutable, c’est désormais l’accaparement, le vol, la suprématie. Il y a un deuxième passage où j’émets de sérieuses réserves : « Nous estimons profondément morale la défense de sa propre existence et les vies de tous nos proches… et de protéger notre vie et notre existence ». Lauden doit vouloir, veut parler de la réponse d’un anarchiste à une agression, une attaque, un massacre ; mais dans le contexte du texte, sa plume a l’air de défendre et justifier la politique militaire d’un Etat, de celui d’Israël. Or tout Etat, en guerre, se défend, résiste ou disparaît pour laisser place à un autre. C’est de guerre qu’il s’agit, et si je comprends les sentiments de Lauden, je ne saurais prendre parti pour un Etat ou pour un autre quand les populations s’entretuent et ne vivent plus ou pas une structure sociale à laquelle j’adhère. Dans cette phrase on retrouve un peu du sens de la solidarité familiale. Dans cet Etat comme partout nous subirions les mêmes injustices sociales, les mêmes totalitarismes.

Dernière réserve : celle qui a trait au courant de sympathie des libertaires pour la population israélienne : une population d’anciens opprimés dont beaucoup le restent et qui subit une critique internationale et partiale pour laquelle tout le bien est d’un côté et tout le mal de l’autre.

HORIZONS LIBERTAIRES :

Voici donc les réserves : Lauden n’attaque pas l’Etat en soi, il ne récuse pas explicitement la notion de peuple juif, voire de race. Pour le reste, l’auteur constate mais n’explique pas. Cet article écrit après la vague d’attentats marxistes et des diffamations contre notre idéal, reste un article personnel et inédit d’une position libertaire quant au conflit israélo-arabe.

C’est à nous anarchistes d’expression française, dans ce pays, d’exprimer nos positions face aux politiciens et aux fanatiques ; à nous de participer à l’apparition d’un horizon libertaire, fédéraliste et fraternel entre les individus sous la houlette étatiste de ce côté du monde. En tous les cas, ici, c’est à nous de combattre les partis pris et les mensonges, les démagogies de la droite et de la gauche. A nous aussi de rejeter les traces de religiosité, d’anti-arabisme et d’antisémitisme qui peuvent parfois subsister dans notre esprit et d’avancer vers la liberté.

JOEL GOCHOT

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