Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 413, 8 juin 1956, p. 1
CLAUDE GERARD est arrêtée pour avoir effectué un reportage dans les maquis messalistes. Les six-févriéristes d’Alger exigent qu’elle leur soit livrée. Claude Gérard a commis un crime inexpiable. Elle a rapporté que les maquis contrôlés par le MNA couvraient un large secteur de l’Armée de Libération Nationale, soutenu par le peuple algérien unanime. Elle a rapporté le programme politique des combattants de l’ALN.
Il s’en est fallu de peu que Claude Gérard ne soit transférée en Algérie. Mais la protestation émanant des milieux les plus larges : résistants, démocrates, intellectuels, militants ouvriers de toutes tendances s’est avérée plus forte que les vichystes d’Alger. Claude Gérard est restée à Paris. Il faut des à présent exiger sa libération immédiate.
Voici en apparence un phénomène très curieux : la grande presse a passé complètement sous silence les reportages de Claude Gérard parus dans « Demain », dans le journal marocain « El Alam », organe de l’Istiqlal, dans « L’Observer » de Londres ; alors que la plus large publicité a été assurée aux nombreux articles et livres publiés sur les maquis FLN.
A de rares exceptions près, la grande presse a réussi ce tour de force d’informer ses lecteurs de l’arrestation de Claude Gérard sans dire un mot du motif de son inculpation. Reprenant la fausse information relative à ses relations (inexistantes) avec Monsieur de Maisonseul, incarcéré, lui, à la prison d’Alger, sous l’accusation d’avoir noué des rapports avec des dirigeants du FLN, la grande presse tend à faire croire que Claude Gérard aurait fait son reportage dans les maquis FLN !!!
Le « Temps de Paris » s’est particulièrement distingué dans le mensonge. Mais « Le Monde », l’honnête « Monde », dirigé par le « scrupuleux » Beuve-Méry – qui venait justement de faire une si belle conférence sur la liberté de la presse ? Il n’a pas appelé à la répression comme son concurrent et ennemi. Non. « Le Monde » a simplement passé sous silence l’objet du reportage de Claude Gérard. Et il a fallu une vigoureuse mise au point, publiée en partie, d’Emile Kahn, Président de la Ligue des Droits de l’Homme, pour que les lecteurs du « Monde » sachent que Claude Gérard n’est pas un agent de renseignement du gouvernement français, comme on aurait pu le croire en lisant ce journal.
Les omissions et sous-entendus du « Monde » ont un sens, si on les relie à la campagne discrète, mais systématique, que mène cet organe. Ainsi, lorsque Messali fut transféré d’Angoulême à Belle-Ile, « Le Monde » informait ses lecteurs de telle façon qu’ils pouvaient penser que le leader national algérien avait sollicité lui-même sa déportation !
Ce n’est pas un hasard. Organe « éclairé » du grand capital, « Le Monde » apprécie correctement, en fonction des intérêts de la fraction de l’impérialisme français dont il exprime les vues, le MNA et le FLN, Messali Hadj et Ferhat Abbas.
C’est pourquoi « Le Monde » n’a pas voulu « éclairer » ses lecteurs. C’est pourquoi il truque ses informations comme « Le Temps de Paris ». Il nous revient une appréciation de Léon Trotsky sur l’ancien « Temps » où Beuve-Méry était rédacteur :
« Ce journal dit la vérité dans les questions sans importance vitale pour la bourgeoisie, pour mentir avec plus d’autorité quand celle-ci estime que cela en vaut vraiment la peine… »
Des militants de notre Parti sont inculpés, interrogés, perquisitionnés. Article 80. Atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, atteinte à l’intégrité du territoire national, etc.
Autres paradoxes. « LA VERITE » mène campagne pour le droit du peuple algérien à disposer de lui-même. Ce principe est inscrit dans la Constitution française (Constitution bourgeoise). Ceux qui ont pour charge d’appliquer cette Constitution la violent cyniquement. Prenons un exemple. Il y a eu un statut de l’Algérie, voté par le Parlement en 1947. Les trotskystes étaient, notons-le, opposés à ce statut. Mais la question est ailleurs. Messieurs Naegelen, Léonard, Soustelle, Lacoste étaient ou sont chargés d’appliquer ce statut, qui n’a pas été abrogé. Ils ont préside à sa violation. Si l’on se place sur le terrain de la logique, violer une loi de l’Etat, le statut, c’est porter atteinte à l’autorité de l’Etat. En stricte justice Naegelen, Léonard et consorts devraient être poursuivis. Pensez-donc !
Noun affirmons que l’Algérie n’est pas la France. Les faits sont là. En Algérie, le peuple subit la plus honteuse des discriminations raciales ; une oppression nationale manifeste. L’Algérien n’est donc pas Français. Article 80 pour ceux qui le disent !
Nous menons campagne pour l’indépendance de l’Algérie. Et nous ajoutons : c’est au peuple algérien lui-même, par l’élection d’une Constituante au suffrage universel direct et secret, sans distinction de race et de nationalité à déterminer la forme juridique de son existence, les formes de ses relations avec le peuple français. Il n’y a là que l’application des règles les plus élémentaires de la démocratie formelle bourgeoise. Article 80 !
Les gros colons d’Alger ont mobilisé une fraction des Européens le 6 février. Tomates, mottes de terre, dirigées sur l’incarnation de l’autorité de l’Etat : le président du Conseil Guy Mollet. Aucune poursuite n’est engagée contre les responsables de ces manifestations. Si ce n’est deux manifestants, porteurs d’armes, condamnés à 6.000 fr. d’amende avec sursis, relaxés en appel.
Mais « LA VERITE » est saisie. « LA VERITE » appelle à l’ « émeute », parce que nous avons écrit que, pour assurer la paix et le retour des jeunes, une large manifestation pacifique devant l’Assemblée Nationale ferait bien mieux l’affaire que des délégations et des pétitions. Article 80 contre « LA VERITE » ! Louanges et lauriers aux responsables des manifestations d’Alger qui ont infléchi vers la guerre la politique du président du Conseil.
P. LAMBERT.