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Pierre Lambert : Veillée d’armes en Afrique du Nord

Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 334, du 23 avril au 6 mai 1954, p. 3

LES partis dirigeant la lutte nationale d’Afrique du Nord, principalement le Néo-Destour et l’Istiqlal, se sont efforcés dans une certaine mesure de trouver des solutions particulières à chacun de leurs pays durant toute une période. Une nouvelle étape sonne aujourd’hui qui exigera pour le Néo-Destour, l’Istiqlal et le MTLD l’élaboration d’une stratégie commune aux fins de répondre aux aspirations des masses.

L’IMPERIALISME FRANÇAIS UNIFORMISE SA TACTIQUE TERRORISTE CONTRE L’INDEPENDANCE DU MAGHREB

En Afrique du Nord, les efforts tentés par l’impérialisme de dresser l’écran protecteur de fallacieuse réformes se sont soldés par un échec retentissant. La nouvelle vague de terreur colonialiste frappe indistinctement toutes les couches de la population arabe à travers le Maghreb.

En Tunisie, Bourguiba reste déporté ; les assassins de Ferhat Hached et de Hedi Chaker demeurent impunis. Les exécutions en cours précisent la contenu de la politique de réformes de M. Voizard.

En Algérie, où la répression permanente est depuis toujours la seule forme de gouvernement, l’administration prépare de nouvelles provocations à Constantine, Oran et dans le département d’Alger. Messali Hadj est toujours déporté à Niort.

Au Maroc, « l’événement le plus important qui se soit produit depuis la déposition du Sultan », selon « Le Monde » du 18-4-54, ce sont « les importantes mesures dont les dispositions appliquées la nuit dernière ont été préparées en secret à Rabat, afin que l’effet de surprise, donc d’intimidation, joue pleinement ».

Quels en seront les effets ?, ajoute « Le Monde ».

A une question précise, il faut répondre précisément. Nul doute que ces mesures renforcent encore plus la haine et la volonté de combat des masses contre l’impérialisme français.

LES DONNEES ACTUELLES DE LA SITUATION

La situation en Afrique du Nord, malgré la répression accrue est loin d’être en voie de stabilisation. Bien au contraire. Si la société « officielle » française dans les colonies se retrouve dans sa masse autour de l’appareil répressif, de larges secteurs de la bourgeoisie française se déchirent quant à la politique à suivre. L’affaire de la déposition du sultan est démonstrative à cet égard. Dans le gouvernement français, si Martinaud-Déplat et Bidault ont pleinement souscrit au « complot » Juin-Guillaume-Le Glaoui, la plupart des ministres y étaient opposés.

L’échec du plan de réformes en Tunisie, la déposition de Sidi Mohamed ont ruiné la politique de « réformes » et sapé les bases d’un compromis souhaité par certains. La résistance des masses aux mesures de force prises par l’administration a ouvert une nouvelle période où l’antagonisme inconciliable entre l’impérialisme et les mouvements nationalistes se manifeste infiniment plus clairement.

TOUTE POLITIQUE DE REFORMES EST VOUEE A L’ECHEC

L’impérialisme français, qui doit reculer partout dans le monde devant la pression grandissante de ses rivaux, allemands, américains et anglais, s’efforce de s’accrocher bec et ongles à son « domaine » nord-africain. Alors que les investissements français diminuent, dans le reste du monde, y compris en France même, en Afrique ils augmentent considérablement : 728 millions de dollars en 1947, 1.100 millions de dollars en 1952.

L’orientation politique du capital financier français est très clairement formulée dans ce rapport du Conseil d’administration de la Banque de l’Union Parisienne :

les entreprises contrôlées par la BUP « ont été amenées par la réduction des programmes d’équipement dans la métropole, à déplacer leurs achats vers l’extérieur, et grâce à l’ouverture de nouveaux chantiers en Afrique du Nord, elles se trouvent d’ores et déjà assurées d’une activité suffisante pour les prochaines années. Malgré un ralentissement général de l’acticité économique au Maroc, la Compagnie Marocaine a vu même le volume de ses affaires commerciales continuer à progresser ». Le rapport fournit également des indications sur les difficultés accrues sur le marché mondial.

Tout en s’efforçant de préserver la stabilité politique de l’impérialisme français, contre les mouvements d’indépendance d’Afrique du Nord, Wall-Street cherche à supplanter la France. La rivalité sourde mais féroce au Maroc, le récent voyage de l’amiral Fechteler en Afrique du Nord en sont deux des manifestations les plus spectaculaires.

Ainsi, avec des possibilités moindres de résister à la concurrence internationale accrue, l’impérialisme français, dont tout le système de domination est menacé par la montée révolutionnaire des masses, tant en France qu’en Afrique du Nord, est incapable de promouvoir une politique de réformes. Il ne peut effectuer des concessions réelles aux aspirations des peuples qu’il opprime. Les espoirs, qui un temps ont pu, en Tunisie et au Maroc, semer quelques illusions, se sont brisés net sur la sanglante réalité des faits. Le gendarme et le policier, le Tribunal et les camps de concentration, les prisons et les condamnations à mort, uniformisent la situation dans toute l’Afrique du Nord, du Maroc, en Tunisie et en Algérie.

De cette situation, tous les partis nationalistes tendent à tirer la principale des leçons. A une stratégie d’ensemble et unifiée de l’impérialisme français, répondre par des tactiques différenciées c’est s’affaiblir partout. Unifier le front de l’indépendance nord-africaine, c’est décupler la capacité d’offensive des forces anti-impérialistes. Présenter un front uni et sans fissures, c’est être plus à même d’utiliser en France les puissants mouvements de classe du prolétariat français, qui mûrissent, et dont la grève d’août 53 a été le signe le plus visible. Le récent accord du Caire entre les partis nationalistes d’Afrique du Nord peut ouvrir cette voie.

P. LAMBERT

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