Article de Pierre Morain paru dans Le Combat syndicaliste, 27e année, Nouvelle série, n° 120, 1er mai 1954, p. 3
1er Mai, jour de fête. En France, mascarades de défilés avec parfois torchons tricolores ; à Moscou, défilé militaire.
Ainsi depuis la politisation syndicale. Mais les cris et regards de détresse des damnés de la terre, les victimes du capitalisme, doivent être un immense levain de haine pour que ces 1er Mai deviennent une formidable journée de lutte révolutionnaire.
Que ces cris de détresse, que ces regards haineux projetés depuis un an, s’ajoutent à ceux accumulés depuis toujours par les victimes du profit.
Cris et regards des militants de la liberté, dans les prisons et camps de concentration d’Afrique française et anglaise, d’Espagne, de Bulgarie, d’U.R.S.S., d’Amérique du Sud, d’Ensisheim en Alsace ; des prisonniers de « droit commun » qui ont tué ou volé « illégalement », souvent poussés par la misère, victimes d’un régime qui tue et vole légalement ; des bagnards retour de Guyane.
Cris douloureux des torturés d’Afrique du Nord, de Madagascar, d’Indochine, d’Espagne.
Cris de courage, faiblement entendus, des objecteurs de conscience emprisonnés.
Cris et regards douloureux, quand ils ne sont pas aveugles des Nord-Africains, chargés par la police le 1er Mai 1953 à Valenciennes-Anzin, fusillés le 14 juillet à Paris ; des grévistes allemands écrasés par les tanks russes.
Cris et regards des Vietnamiens, tués pour leur indépendance, des jeunes Français engagés par la misère, victimes des affiches, de nombreux étrangers engagés dans la légion, victimes de faux engagements après avoir passé au bagne militaire de Sidi-Bel-Abbès, des « mercenaires » coloniaux engagés par misère ou de force dans cette lutte d’Indochine, pour la préservation des coffres-forts de capitalistes français ou américains hystériques.
Cris des femmes, des gosses assassinés, torturés, violés, brûlés dans cette lutte, dans les escarmouches israélo-arabes, dans les ratissages d’Afrique du Nord.
Cris et regards des atomisés continuant à crever des bombes de Nagasaki et d’Hiroshima, des pêcheurs japonais touchés il n’y a pas encore deux mois par les folles expériences des savants, folies ignobles aux visions d’apocalypse et aboutissements normaux du capitalisme.
Cris et regards affolés des gosses orphelins de Corée, d’Indochine, des gosses Eurasiens employés et endoctrinés des deux côtés, des gosses vietnamiens employés à la jouissance sexuelle des ignobles maîtres financiers européens, des boys de toutes couleurs, des gosses Rosenberg, des gosses crevant de faim aux Indes, en Amérique du Sud, et partout, des gosses morts de froid cet hiver, des gosses martyrisés par des parents plongés par le capitalisme dans la dégénérescence humaine, des gosses qu’une vie anormale a conduits dans les centres de « rééducation » avec comme perspectives finales l’Indochine, des gosses abandonnés à l’ignoble Assistance Publique, des gosses de sana, des gosses vagabonds, des gosses tués manque de soins si ce ne sont les impositions de mains des hideux disciples de sectes mystifiés par la religion, création indirecte du règne de l’Autorité et de l’Argent.
Cris et regards des vieux auxquels l’on préfère des chiens de flics, des tuberculeux étudiants et autres, des chômeurs, des malades, des sans-logis, des mal-logés, des clochards, des exilés nord-africains en butte au racisme, des exilés étrangers sans travail, des Sud-Africains internés dans les parquages des mines d’or, des noirs et des porto-ricains d’U.S.A., des hommes et des femmes sous le joug du travail forcé en Afrique Noire ; des filles du prolétariat que la misère a poussées à vendre leur chair en enrichissant les tenants des bordels, des vastes « bousbirs » d’Afrique du Nord tels ceux du Glaoui.
Multitude de cris faisant chœur à ceux des travailleurs du monde entier se crevant à la « productivité » avec des salaires misérables, parfois dans des conditions effrayantes.
Mais immenses cris de colère enivrante et encourageante des grévistes de France, d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre, d’Amérique, du Japon, de Berlin et d’Allemagne, d’Afrique Noire, de Tunisie ; des résistants nord-africains, des « terroristes » marocains, des trois porto-ricains revalorisant les représentants de la vie du capitalisme américain, des vietnamiens chassant de leur sol le capitalisme français. Des Mau-Mau.
Immense cri révolutionnaire couvrant le monde entier, laissant espérer le jour où, délivré de ses tyrans capitalisme et Etat, le genre humain pourra fêter alors le 1er Mai.
DEBOUT LES DAMNES DE LA TERRE !
P. MORAIN.